Ibrahimovic, Payet : joueurs sur écoute, la LFP fait fausse route
En convoquant Zlatan Ibrahimovic puis Dimitri Payet, la commission de discipline de la Ligue risque de créer une situation dangereuse: sanctionner à partir d’informations visuelles partielles et inégales. Et qui pourrait entraîner des dérives...
Dimanche dernier, à l’issue de la rencontre opposant les Girondins de Bordeaux au PSG, Zlatan Ibrahimovic a tenu un discours injurieux à l’égard des arbitres et des institutions du football français. Enregistrés par une caméra d’Infosport, ces propos ont rapidement agité les réseaux sociaux avant d’être relayés par d’autres médias et de faire réagir jusqu’au Premier ministre. Sur le fondement de l’article 407 des règlements de la LFP, la commission de discipline s’est saisie du dossier. Le même soir, c’est Dimitri Payet qui a usé de mots malheureux à l’endroit des arbitres. Diffusés par Canal+ le lendemain soir, dans J+1, ces propos ont trouvé un écho particulier après ceux du joueur parisien, et lui aussi a été convoqué par la commission de discipline. S’il n’est possible de préjuger ni d’une future reconnaissance de culpabilité de l’un ou de l’autre de ces joueurs, ni d’éventuelles sanctions, ce double épisode soulève différentes questions.
Différence de traitement
Il est indéniable que les attitudes de joueurs aussi médiatiques ont une influence sur bien des spectateurs, y compris les plus jeunes. Il est certain que le respect de l’arbitre doit être placé au cœur du football. En cela, les propos tenus, en eux-mêmes, ne sont pas acceptables. Il faut toutefois savoir raison garder. Le football reste un sport avec des contacts et où l’on exige des joueurs un engagement maximal. Après une prestation ou un résultat décevant, il est normal qu’il y ait de la frustration et qu’elle puisse être exprimée en privé. Les discours des joueurs doivent être contextualisés. Si l’on est en droit d’attendre d’eux qu’ils fassent preuve de recul et de modération en interview ou en conférence de presse, il est hypocrite et malsain d’exiger un contrôle absolu de toutes leurs réactions “à chaud” et non destinées aux caméras, sur le terrain ou en rentrant aux vestiaires.
Capture d'écran Infosport
Si le cas d’espèce n’est pas nouveau (Clément Grenier avait déjà été dans le même cas à l’issue d’un derby perdu à la maison contre Saint-Étienne), le fait que tous les propos spontanés volés par la caméra d’un diffuseur puissent conduire à sanction inquiète et des dérives sont à craindre. Premier constat: il existe une lourde rupture d’égalité selon l’étendue de la couverture médiatique d’un club ou d’un joueur par les diffuseurs. Avec cinq caméras braquées en permanence sur eux, les David Beckham et autres Zlatan Ibrahimovic ne peuvent plus rien se permettre. Qui saura si, dans le même temps, un Emmanuel Imorou ou un Pierre Bouby – deux des pros actifs et disponibles sur Twitter – n’ont pas les mêmes réactions ou pire? “Un grand talent implique-t-il de grandes responsabilités?” L’équité sportive ne doit pas être indexée sur la valeur médiatique d’un club ou d’un joueur. L’attirance de certains médias pour le buzz ne doit pas être une variable de mise en œuvre de ces procédures.
Procès d’intention
Le cas échéant, ce serait la porte ouverte à des dérives plus insidieuses, plus graves. Consciemment ou inconsciemment, un journaliste pourrait protéger un joueur qu’il apprécie en ne diffusant pas un enregistrement “pirate”. Et inversement. Quand on connaît les liens qui unissent les propriétaires de beIN Sports et du PSG, ne peut-on pas craindre que le premier protège le second? Ou pire, qu’il utilise ses ressources de diffuseurs pour dénoncer les propos des rivaux du club parisien? Ne pourrait-on pas craindre que Canal+, Eurosport, France Télévisions ou Orange ne fassent pression sur beIN Sports lors des appels d’offres pour l’obtention des droits télévisuels en menaçant de rendre publics de tels enregistrements? Avérées ou fantasmées, ces craintes sont pourtant dispensables.
La saisine de la commission étant consécutive à la rédaction d’un rapport par un arbitre, de telles procédures ne doivent pas être dépendantes des délais et de l’étendue de la couverture de ces matches. Elles ne doivent pas non plus dépendre de la susceptibilité plus ou moins prononcée d’un arbitre par rapport à un autre ou de l’intensité des réactions de tous les tiers: supporters, réseaux sociaux, hommes politiques… Et elles laissent place, enfin, à un flou juridique malheureux: quelle était l’intention du joueur? Un officiel pouvait-il raisonnablement entendre ces propos? Ces dernier étaient-ils destinés à des oreilles particulières? Le joueur avait-il conscience de la présence d’une caméra? Le joueur parlait-il de l’arbitre ou d’un coéquipier? Zlatan Ibrahimovic parlait-il de l’arbitre, des instances du football français ou de la France? Des mots volés à chaud n’offrent pas le contexte d’un discours structuré en conférence de presse, dont les tenants et les aboutissants sont bien plus transparents.
Spontanéité très contrôlée
Pire, on pourrait craindre que les clubs développent des moyens permettant de faire sanctionner leurs rivaux par l’espionnage des réactions de leurs salariés. Alors qu’une polémique connexe agite le monde du handball [1], il ne faudrait pas inciter les clubs à lancer une course à l’armement: installation de micros et de caméras dans tous les recoins de leur stade, visionnage de l’ensemble des bandes de vidéosurveillance…
Finalement, doit-on y voir les conséquences d’un emballement médiatique d’un soir ou le développement d’un certain puritanisme des instances du football français, à l’instar de leur répression naissante contre l’usage de banderoles par les supporters? Aujourd’hui, le joueur de football phare doit-il être creux? Un Éric Cantona ou un Paul Gascoigne doivent-ils définitivement laisser place à des joueurs formatés dont les discours neutres et l’apparence lisse seraient dictés par des conseillers en communication ou des agents valorisant leur produit? Les contrats de travail des joueurs du PSG leur interdisent bien, par le jeu des primes, de critiquer le club. On sait les téléspectateurs de J+1 friands de ces scènes d’échanges ou de réflexions spontanées de joueurs pendant ou après les matches. La saisine systématique de la commission de discipline risquerait fort d’inciter les diffuseurs à revenir à des émissions plus aseptisées pour éviter de créer de nouveaux problèmes dans le football français.
[1] En Ligue des champions, lors du huitième de finale aller contre Dunkerque, le staff du PSG Hand regardait beIN Sports sur tablette électronique pour connaître le contenu des temps morts de son adversaire. L’USDK a en conséquence refusé que ses temps morts suivants soient filmés.