The Boss is back in town
On hésite un peu à s'exprimer sur le sujet. Tapie a ramené avec lui un certain "niveau de débat", et ce débat ne tolère plus la moindre ironie, il se plait au contraire dans l'exercice d'une agressivité prononcée, vaguement haineuse, qui semblait n'attendre que cela pour se lâcher. L'accueil réservé au dernier Tabloïd, exercice de pure dérision s'il en est, a prouvé cette brutale perte de l'humour. Les hallucinations de lecture se multiplient, comme si Tapie était accusé par avance, comme s'il fallait être amnésique par ailleurs, comme s'il était surprenant que nous fassions la gueule...
Imprévu, mais attendu
Car le plus fascinant dans ce retour imprévu, c'est qu'il s'est imposé en un temps record comme une évidence absolue. Une semaine après son annonce, il semble même parfaitement naturel, tout le contraire d'une déflagration. Comme s'il avait inconsciemment été attendu par tout le football français. A l'exception d'un éditorial du Monde, et d'un autre de Gérard Ernault dans France Football, remarquable, aucun article ne s'est véritablement ému, personne n'a osé évoquer la morale ou plus modestement la complaisance invraisemblable du milieu. Dans les clubs, les professionnels sont restés dans un prudent mutisme, assez logiquement. Plus fantastique, Aulas ET Le Graët semblent y voir le moyen de remettre de l'ordre à la Ligue. France 2 et Canal+ se sont disputé l'honneur de faire la promotion de l'intervention de la vedette sur le site de son fils (Freegoal, d'une nullité pourtant exemplaire). Très prosaïquement, tout ce monde comprend que le spectacle et l'audience sont garanties avec Nanard devant les caméras, que les journalistes auront du grain à moudre, en mettant simplement en scène la star. Et pour être tout à fait honnête, ce n'est pas totalement une catastrophe pour les Cahiers du foot non plus (mais de fascination pour le grand maître nous n'aurons point).
En cette période de morosité et de catastrophes industrielles dans notre football national (surtout dans les "grands" clubs), les acteurs de celui-ci pensent peut-être que des personnalités comme Tapie sont indispensables pour animer le grand cirque qu'est devenue l'élite sportive, et ils l'accueillent avec bienveillance. Tant mieux pour la paix dans le milieu.
La règle du je
Toujours est-il qu'on a bien reconnu notre vedette des 80's, inchangé dans la forme: péremptoire, hâbleur, orgueilleux*, il tire à vue et délivre l'explication de texte de son retour avec une assurance inébranlable. "Au revoir" pour Clemente, "Gare à vos miches" pour les joueurs et régime dissocié pour tout le monde.
"Je n'ai que le championnat à disputer (…) Le championnat de France je veux le gagner (…) Je ne vais pas le jouer pour faire de la figuration, j'ai envie de le gagner". L'ambition est parfaitement légitime, mais ce qui frappe, c'est ce "je" quatre fois répété, le "je", le "moi", l'ego en lequel s'incarne désormais l'équipe. On peut ainsi poursuivre notre définition du populisme de Tapie en faisant remarquer comment le personnage entretient le culte de sa propre personnalité et endosse à nouveau le rôle de démiurge omniscient qui ne se départit pas de son éternel sentiment de supériorité. Pourtant, Tapie déborde un peu sa ligne de crédibilité, notamment lorsqu'il s'échauffe et révèle ses trucs et sa stratégie (comme la menace faite aux joueurs de relégation avec l'équipe), quand sa confiance en lui-même devient presque aveugle, quand perce le goût de la revanche. La mégalomanie altère-t-elle sa lucidité, ou bien c'est juste qu'on a perdu l'habitude? Car il lui faudra très vite faire la preuve qu'il n'a rien perdu de son efficacité, que ses méthodes marchent toujours. D'autres empereurs sont revenus d'exil, et certains n'ont pas duré plus de Cent Jours.
Bénévole mais actionnaire
Lors de la conférence, un journaliste se fit vertement rabrouer lorsqu'il voulut demander des précisions sur les conditions d'entrée de Bernard Tapie dans le capital du club. On aurait pourtant besoin d'éclaircissements, tant semble singulier le montage qui permet à un homme sans fortune de devenir actionnaire "optionnel" de l'OM à hauteur de 15% pour un franc très symbolique, plus une option sur 20% du compte courant de Louis-Dreyfus (?). Ce dernier s'est-il encore fait rouler? Le capital de l'OM est aujourd'hui plutôt dévalué (l'échec de RLD pour constituer un nouveau tour de table témoigne de la défiance des investisseurs comme dirait cet empaffé de Jean-Pierre Gaillard), il pourrait très vite se revaloriser si Tapie réussit à redresser le club. Equilibriste invétéré, le nouveau boss espère également être indemnisé dans le procès qui l'oppose au Crédit lyonnais (qui avait repris Adidas avant de le revendre avec bénéfice à Louis-Dreyfus), et renouer ainsi avec une fortune plus respectable que celle de ses comptes surveillés. Et en cas d'échec, il ne risque que son amour-propre (mais c'est déjà énorme).
La saison des come-back
On se demandait enfin quel technicien allait prendre en charge l'équipe sous l'égide du superintendant, quel entraîneur allait assumer la situation consistant à travailler dans la sphère de Tapie. De tous les candidats potentiels crédibles sportivement, on voyait mal lequel accepterait ses inévitables ingérences. L'hypothèse Goethals, poussée par le Belge lui-même, prenait même des allures crédibles, malgré son caractère comico-nostalgique. On n'était pas si loin, puis c'est le bien connu Tomislav Ivic que Tapie a choisi de rappeler et qui va retrouver le banc de l'OM. Cauchemar des supporters de certains des clubs qu'il a dirigés en raison d'options désespérément défensives, le Croate a tout de même laissé à Marseille le souvenir du titre de 92, en copropriété avec Goethals. S'il applique sa philosophie du jeu, ce ne sera donc pas "Droit au but" au Vélodrome. Mais, relevant de troubles cardiaques survenus en décembre dernier, l'ex-directeur technique du Standard de Liège servira plus probablement d'assistant au patron, qui ne demande rien de plus.
A suivre, donc.
PS : "Je ne reprendrai pas le combat politique", assure Tapie, qui ne fait pas la différence entre combat et carrière politique. Mais Gaudin prend déjà ses distances. Il se défausse de toute responsabilité dans ce come-back (signalant qu'il n'a pas été consulté), rappelle le temps où "la mauvaise gestion de l'OM avait abouti à sa faillite financière et à sa descente en deuxième division", attribue à la Mairie le mérite du redressement, et affirme que la Ville restera vigilante en matière de transparence et de rigueur. Même s'il ne servira pas tout de suite, le décor est dressé.
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* Ces adjectifs ne sont pas des insultes.