Franchissement de ligne : concrètement, on fait comment?
Tribune : L’arbitrage vidéo, ça suffit ! – 2.
Seule utilisation apparemment viable des technologies, la vérification du franchissement de ligne par le ballon s'avère d'une étonnante complexité lorsqu'on imagine son application...
Seule utilisation apparemment viable des technologies, la vérification du franchissement de ligne par le ballon s'avère d'une étonnante complexité lorsqu'on imagine son application...
Auteur : Jacques Blociszewski
le 30 Mai 2008
"L'assistance vidéo", pour le football, est plus que problématique. Elle est impraticable pour la quasi-totalité des actions de jeu, et j’ai déjà expliqué (cf. notamment Le Match de football télévisé, éd. Apogée, 2007) pourquoi la vidéo ne servirait à rien pendant le match et même détruirait le jeu.
D’ailleurs, pourquoi l’utiliserait-on pour vérifier un penalty mais pas une expulsion, une simulation mais pas un but marqué sur hors-jeu, etc.? L’assistance vidéo crée par essence de la discrimination. Elle entraînerait des contestations sans fin, hacherait le match et attirerait le football dans un dangereux engrenage. Ceci n’empêche pas de soi-disant experts et d’anciens arbitres de prôner la vidéo à tort et à travers. Or ce sont là des idées inapplicables, voire irresponsables.

Un seul cas peut être envisagé: la vérification du franchissement de la ligne de but par le ballon. Si l’assistance vidéo se résume à cela, il n’est pas question d’oser l’appeler "arbitrage". Arbitrer est une tâche d’une ampleur sans comparaison avec cette intervention technique, qui serait très ponctuelle. Depuis une vingtaine d’années, très peu de buts ont été refusés alors que le ballon avait à coup sûr franchi la ligne. Et seulement une petite poignée d’entre eux ont sans doute influé sur le résultat du match ou la suite d’une compétition. Plus certainement, l’adresse d’un attaquant est la meilleure façon d’éviter les discussions: faire trembler les filets n’est pas interdit! Enfin, une fois mise en œuvre, la vérification du franchissement de ligne ne résoudrait absolument aucun des problèmes du football, qui sont d’une gravité sans commune mesure avec la minuscule évolution que la vidéo représenterait ici.
De plus, l’aspect théoriquement décisif de ces situations litigieuses ne l’est jamais autant qu’on le dit, car un match comporte mille rebondissements et une forte composante psychologique (sentiment de révolte en cas d’erreur de l’arbitre, union face à l’adversité, etc.).
Le souci de vérifier à tout prix révèle avant tout la névrose de la télévision et la volonté exacerbée des gens de pouvoir et d’argent de supprimer toute erreur dans le foot, et surtout celles en leur défaveur. Or, sans erreur, il n’y a ni vérité, ni jeu, ni vie.
Le doute est permis
Par ailleurs, vérifier le franchissement de ligne est loin d’être simple. Il faut en premier lieu éviter que les images utilisées soient celles de la télévision. Au moindre problème, le soupçon planerait en effet sur le réalisateur, a fortiori lors d’un match international s’il est de la nationalité d’une des deux équipes – ce qui est presque toujours le cas – ou si la chaîne de télé est partie prenante dans la gestion d’un des clubs concernés.
Un système neutre doit aussi être performant. Il faut que l’image soit probante et qu’aucun corps de joueur ne masque la balle. Et lorsque celle-ci ne touche pas le sol, la vérification est très aléatoire.
Dès lors, plusieurs questions se posent. D’abord, qui demandera la vidéo? L’arbitre ou l’arbitre assistant? L’arbitre vidéo? Les entraîneurs? Et quand arrête-t-on le jeu pour vérifier? Au rugby, la difficulté est moindre, car après un essai (réellement marqué ou non), l’arbitre siffle et le jeu s’arrête. Au football, au contraire, après un éventuel franchissement de ligne, le ballon sort du but et le jeu continue. Quand, alors, interrompre la partie?
Une application très difficile
Pour vérifier, il existe plusieurs cas de figure.
Première hypothèse
Imaginons qu’une technique parfaite soit trouvée. La décision est alors connue en deux secondes, l’arbitre central étant directement averti par un signal sonore ou visuel – sur sa montre – l’informant qu’il y a but (si c’est le cas). On est ici proche de l’instantanéité, ce qui aurait de solides avantages. Toutefois, la FIFA, à l’issue des tests qu’elle a effectués, n’a à ce jour pas trouvé son bonheur. Les technologies testées ont été le ballon à puce et un système fondé sur des caméras numériques reliées à un traitement informatique des images. Elles sont lourdes à installer, chères, et la FIFA dit avoir relevé, dans l’application de ces techniques, des limites plus que gênantes et même une erreur. De plus, pour éviter au maximum la discrimination, elles devraient être mises en place partout, et en tout cas dans tous les stades où se jouent des compétitions nationales et internationales de premier plan. On imagine le chantier et les coûts…
Seconde hypothèse
Faute de technique parfaite et instantanée, on utilise alors un système fondé sur un visionnage d’images très attentif par un arbitre vidéo (en gros, comme au rugby).
Plusieurs cas sont possibles:
1) L’arbitre – ou l’arbitre vidéo? – demande la vérification, par radio et oreillette, puis il laisse le jeu continuer et ne l’arrête (seulement s’il y a but) qu’après que l’arbitre vidéo a fait connaître sa décision positive.
2) Il arrête le match au premier arrêt de jeu. Pendant ce temps, l’arbitre vidéo a regardé les images.
3) Il arrête le match juste après l’éventuel franchissement.
Premier cas: le jeu continue jusqu’au signal de l’arbitre vidéo.
Il faut quelque cinq secondes avant que le premier ralenti n’arrive. Il en faudra ensuite au moins dix autres pour que l’arbitre vidéo décide (à supposer que le premier ralenti soit le bon) et transmette sa décision à l’arbitre de champ. Comme au rugby, celui-ci devra lui demander confirmation qu’il a bien entendu. Dans cette situation "idéale", une vingtaine de secondes au minimum sont nécessaires, mais ce pourra être beaucoup plus long. Or, même en vingt secondes, il a pu se passer énormément de choses sur le terrain, et la balle, dégagée au loin, peut très bien se retrouver devant l’autre cage, avec, pourquoi pas, un but inscrit!
Si tout se passe bien, et si la vérification montre rapidement qu’il y avait but, la situation, bien que compliquée, n’est pas trop problématique, même si un aménagement du règlement sera de toute façon indispensable. Il faudra en effet ajouter, aux cas actuellement prévus, l’arrêt de jeu pour assistance vidéo.
Dans ce cas de figure, donc, le jeu a certes continué, mais après quelques secondes, l’arbitre vidéo alerte l’arbitre central par radio, et on accorde le but. Il y a alors balle au centre et coup d’envoi. Encore faudra-t-il que l’arbitre vidéo soit sûr de son fait et puisse décider rapidement et de façon fiable. Accorder ainsi très vite un but à tort serait plus que dommageable… Mais si l’attente se prolonge et que, pendant ce temps, un but est marqué de l’autre côté, que fait-on?
Si, en revanche, la vérification montre qu’il n’y avait pas but, les secondes ou minutes nécessaires pour vérifier auront été bien longues, et plutôt bizarres. Le jeu aura en effet continué, mais en ayant inévitablement été influencé par le doute et l’attente. Et ensuite, les joueurs ne seront pas explicitement informés de la décision!
Deuxième cas: l’arbitre arrête le match au premier arrêt de jeu.
On formalise donc la procédure. L’inconvénient est que le premier arrêt de jeu peut ne survenir qu’une ou deux minutes après l’action. Là encore, si un but est marqué, que fait-on? On annule le second but parce que tout ce qui se sera passé pendant ce temps n’aura pas "existé"? Catastrophe en vue…
Troisième cas: l’arbitre décide d’arrêter le match juste après l’action litigieuse, pour vérification.
L’avantage est celui de la netteté: il ne risque pas d’y avoir but de l’autre côté. L’inconvénient est qu’il va falloir attendre tous ensemble que l’arbitre vidéo décide. Mais surtout, l’attaque en cours serait ici interrompue, et les attaquants protesteraient, arguant qu’ils auraient pu marquer pendant la suite de l’action.
En outre, si la vidéo montre qu’il n’y a pas but, le match aura été arrêté pour rien, voire aura été faussé. Une éventuelle contre-attaque adverse aura été étouffée dans l’œuf, et le cours normal du match interrompu abusivement, puisqu’il n’y avait pas but.
Dans ces deux derniers cas, si on arrête le jeu et que la décision de l’arbitre vidéo est négative (il n’y a pas but), il faut… reprendre le match ensuite. Mais comment?
Dans le cas n°2 (l’arbitre a arrêté le match au premier arrêt de jeu), la reprise se fait par la remise en jeu consécutive à l’arrêt: c'est-à-dire par une touche, un corner, etc.
Dans le cas n°3 (la vérification se fait juste après l’action litigieuse), la seule possibilité serait de faire une "balle à terre", là où le jeu a été arrêté.
On voit que rien de tout cela n’est évident…
Ballon à puce : attention, bogues !
C’est pour éviter le redoutable délai nécessaire à la consultation d’images que la FIFA avait décidé de privilégier le ballon à puce. C’était a priori un choix plutôt judicieux, car la décision était alors censée être immédiate, l’arbitre recevant un signal instantané. Encore faut-il que le système fonctionne. Outre le côté assez surréaliste et disproportionné de cette usine à gaz – ou à puces –, il vaut mieux ici éviter les bogues! Avec les défaillances que l’on observe couramment dans notre environnement technologique (effets larsen, pannes informatiques, portables inaudibles, etc.), la fiabilité de la puce restait à prouver…
Pis encore, des incidents catastrophiques auraient pu survenir, en raison d’un possible conflit entre la puce et l’image. En effet, si la puce reste muette alors que l’image de télévision, elle, montre que le ballon a franchi la ligne, l’effet dans les médias (voire dans le stade) est garanti: 100% scandale.
L’International Board a décidé le 8 mars dernier d’arrêter les expérimentations technologiques concernant la ligne de but. On le comprend tout à fait, tant sur le principe que sur les modalités, et c’est là une décision claire et remarquable. Outre le fait que les tests techniques n’ont semble-t-il pas été concluants, cette décision est surtout une question de philosophie du jeu et s’explique par le refus justifié d’entraîner le foot dans un engrenage périlleux.
L’utilisation de la vidéo pour le franchissement de ligne est trop souvent considérée comme allant de soi. Nous pensons avoir démontré au contraire combien, même dans ce cas, elle est aléatoire et au moins autant source de problèmes que de solutions. Le vacarme actuel autour de "l'arbitrage" vidéo est ainsi réduit à une rumeur dénuée de sens. Tout ça pour ça!