Everton Free School, le football dans la communauté
À l'ombre de Goodison Park à Liverpool, une école insolite doit son succès à la Foundation d'Everton FC, un modèle caritatif inscrit dans la matrice de la Premier League.
Everton Free School est la première et plus importante école dirigée par un club de football. Démarrée en 2012 avec seulement six élèves, elle en compte aujourd'hui presque trente fois plus.
La première grande réforme des Conservateurs, à leur arrivée au pouvoir en 2010, fut la dérégulation totale du système éducatif. Au cœur de l'idéologie Tory, la création du statut "d'academy" (via l'Academies Act 2010). Dans leur majorité, les établissements scolaires publics furent progressivement contraints à se convertir à la nouvelle religion de l'académisation [1].
L'une des émanations de cette mutation ultralibérale est la "Free School", nomenclaturée comme academy. C'était l'un des chevaux de bataille, hautement symbolique, de la campagne électorale de David Cameron : permettre à n'importe qui, en à peine deux ans, d'ouvrir une école (généreusement et entièrement) financée par l'État et habilitée à délivrer des diplômes d'État.
Malgré les milliards investis [2], l'expérience est considérée comme un échec. Sauf en ce qui concerne l'Everton Free School, grâce au savoir-faire d'Everton FC en la matière, acquis à la faveur des bouleversements structuraux et financiers qui accompagnèrent le boom de la Premier League.

À l'origine, des fondations solides
Le concept de Free School est un pur produit des Conservateurs dernière mouture. Il reflète le modus operandi de la société britannique en général, marquée par l'initiative personnelle et les projets communautaires, la libre entreprise, l'omniprésence des œuvres caritatives et le désengagement, réel ou feint, de l'État.
La pierre angulaire de la réussite de l'Everton Free School est la vitalité des programmes "football dans la communauté". L'historiographie fait remonter l'essence de ces liens aux origines du football anglais, quand nombre de clubs, tel Everton, furent fondés par des instituteurs ou membres du clergé (lire l'excellent livre Thank God for Football de Peter Lupson, l'historien d'Everton FC, et voir ce clip).
Puis, pour expliquer l'essor spectaculaire des clubs, vint la notion un peu abstraite "d'identité dans la communauté", notion toujours fréquemment mise en exergue car d'apparence organique et saine, mais quelque peu galvaudée. Toutefois, aussi historiques soient les liens entre football et religion au Royaume-Uni, les racines pérennes de ces initiatives de type communautaire datent des années 1980.
En 1986, afin de remédier à la mauvaise santé à la fois du football (hooliganisme, racisme, désaffection du public et des médias) et de la société, surtout dans le nord du pays (chômage de masse, désindustrialisation, émeutes), la PFA, le syndicat des joueurs, soutenu par la Football League, conçut un programme inédit : le "Football in the Community" (FitC), l'ancêtre de la foundation.
Six clubs du Nord Ouest - Bolton, Bury, Oldham, Preston et les deux Manchester - se portèrent volontaires pour mener à bien le projet pilote. Celui-ci, autour de l'idée centrale du développement de liens entre les clubs de football et leur communauté immédiate, détermina une série d'objectifs en quatre volets : formation et aide à l'emploi pour les jeunes ; prévention de la délinquance ; maximisation de l'utilisation des infrastructures des clubs ; implication des minorités ethniques dans des activités sociales, pédagogiques ou de loisir.
Une expansion spectaculaire
L'expérience s'avéra concluante et, au début des années 1990, une cinquantaine de clubs avaient créé leur fondation, souvent encore embryonnaire. Les clubs, principalement par manque de moyens, renâclèrent à mettre la main à la pâte et élaborèrent des structures chargées de trouver des financements externes.
C'est toujours le cas aujourd'hui : les fondations de clubs britanniques, entités légalement indépendantes, sont majoritairement financées par la Football Foundation, la Premier League et des subventions diverses. Une réalité parfois retournée en critique contre les clubs, qui en retirent des bénéfices certains, notamment en termes d'image et de médiatisation, mais rechignent à contribuer financièrement [3].
Dans une deuxième phase, les clubs tirèrent les enseignements du rapport Taylor (après la tragédie d'Hillsborough) leur recommandant de renforcer les liens avec leur communauté. Le programme fut considérablement boosté par le lancement de la Premier League en 1992, puis - dans une moindre mesure - par l'arrivée des Travaillistes en 1997, soucieux d'ancrer davantage les clubs dans un rôle d'acteur social, en partie pour contrebalancer l'explosion du coût de la billetterie et le délitement des liens avec le socle du supportariat.
Le gouvernement mobilisa une "Football Task Force", dont la réflexion avec d'autres acteurs, tels le ministère des Sports et la Football Association (fédération anglaise), aboutit à la création de la Football Foundation, aujourd'hui l'un des principaux mécènes des foundations de clubs, par exemple à Newcastle United.
Au milieu des années 2000, les clubs professionnels s'étaient dotés en quasi-totalité d'une fondation, qui adopta le statut de charity pour bénéficier d'une fiscalité plus douce. Par la suite, les fondations se professionnalisèrent et établirent de nombreux partenariats avec des acteurs locaux et nationaux - entreprises, associations, municipalités, conseils généraux, agences pour l'emploi, ministères, organismes liés à la jeunesse, l'éducation ou la santé, etc.
Par exemple, dans le North East, la Foundation of Light de Sunderland AFC ou la Newcastle United Foundation, dont les multiples activités sont détaillées ici et là. Cette dernière emploie une centaine de permanents et de nombreux freelancers, pour un budget annuel avoisinant les 4,5 millions de livres.
Les joueurs sont incités à endosser un rôle "d'ambassadeur" et à soutenir les actions, parfois coordonnées régionalement ou nationalement entre clubs, et portant sur des domaines aussi variés, outre ceux précités, que l'insertion professionnelle, l'environnement, la lutte contre l'isolement des personnes âgées ou la précarité alimentaire (voir ici pour le NUFC) ou même l'aide aux réfugiés.
Everton Free School, exception et modèle
L'Everton Free School a été inaugurée en 2012, avant de s'agrandir en 2015 avec un Sixth Form College (premières et terminales), pour un coût total de 4.2 millions de livres (visite guidée). Son bâtiment est attenant au People's Hub, le centre névralgique de la fondation "Everton in the Community".
Intimement liée à la fondation et s'inscrivant pleinement dans cette filiation, l'école accueille aujourd'hui cent soixante-dix adolescents de quatorze à dix-neuf ans, en marge du système. Les plus jeunes suivent en majorité un programme personnalisé, sanctionné par des cursus à vocation professionnelle comportant un apprentissage, et/ou des modules isolés du GCSE (le brevet des collèges, passé en seconde en Angleterre, sur deux ans et une dizaine de matières).

L'école peut aussi servir de tremplin vers un parcours éducatif plus classique. L'enseignement comprend un tronc traditionnel (anglais, maths et une matière scientifique) et un élémentvocational (professionnel). Comme l'explique la sous-directrice, l'école tente, généralement par le biais du sport ou des arts de la scène, de reconnecter les jeunes avec les études et de les mener vers des diplômes tels les BTEC et NVQ (comparables au CAP-BEP et bacs pros).
Dans ce schéma, l'environnement et les infrastructures d'un club de Premier League (dont Finch Farm, le centre d'entraînement de l'effectif professionnel, mis à la disposition de l'école), s'avèrent cruciaux et les stages n'ont quelquefois rien de conventionnel ! La section lycée propose des diplômes liés au sportif, tel le BTEC Sport, ou à l'encadrement aux métiers d'animation, comme le NVQ en "activity leadership", des cursus qui permettent de passer les diplômes du brevet d'entraîneur de la Football Association.
Les taux de réussite y sont élevés, celui du "Level 3 BTEC Extended National Diploma in Sport", équivalent à trois A levels (modules du baccalauréat anglais), atteint parfois 100%. Ce BTEC permet d'intégrer un cursus universitaire de sport au Royaume-Uni ou aux USA via une bourse, après validation d'un stage, souvent effectué dans ou via la fondation d'Everton, laquelle encourage également les élèves à faire du bénévolat au sein du club, localement ou dans des pays en développement.
À tous les échelons, l'accent est mis sur des valeurs comme la solidarité, le respect et la tolérance. Un système bien huilé et parfaitement intégré verticalement, dans lequel les élèves s'épanouissent tout en trouvant leur voie professionnelle.
De lourdes ardoises pour les collectivités
D'autres clubs ont ouvert une Free School, avec des fortunes diverses. Parmi eux, Derby County, et la Derby Pride Academy, un établissement qui accueille une vingtaine d'élèves(pour autant de staff) présentant des difficultés d'ordre comportemental, émotionnel et/ou social. Le dernier rapport d'inspection d'Ofsted (services d'inspection) est élogieux.
Bolton Wanderers a également tenté l'aventure. Mais la cupidité du club, qui y vit surtout une opportunité supplémentaire d'éponger ses dettes, fit capoter le projet et l'école n'attira qu'une centaine d'élèves, très en deçà du seuil de viabilité. Le rapport calamiteux d'Ofsted précipita la fermeture de l'école, après seulement trois ans d'existence. Comme pour les nombreux autres fiascos estampillés Free Schools, les collectivités locales ont dû régler l'ardoise.
En 2012, Tottenham Hotspur se laissa également séduire, après que le ministre de l'Éducation eut contacté les clubs de Premier League pour leur vendre l'idée. La construction du Tottenham University Technical College coûta au contribuable presque treize millions de livres et le loyer annuel, facturé au ministère par une société liée aux propriétaires du club, s'élevait à 600.000 livres en 2014, avec des coûts de fonctionnement de deux millions l'année. Et ce, pour à peine cent élèves au départ et trente-huit à la fermeture définitive en 2017...
Le modèle Free School reste très controversé et les quelques exemples de réussite comparables à Everton, question taille, s'appuient sur des moyens et ressources considérables, d'ordinaire rattachés à de gros "Multi Academy Trusts" (voir annotation 1 ci-dessous).
La Free School d'Everton fait presque figure d'exception et sa vitalité met en lumière l'incontestable succès des programmes "Football in the Community", enfantés dans leur incarnation actuelle par la Premier League. Et quoi de plus cool qu'une tenue de foot comme uniforme scolaire ?
[1] Une academy est un établissement scolaire public entièrement autonome. En bref, il ne dépend aucunement du rectorat et tout y est "flexible" et aléatoire (grille salariale facultative, précarité des contrats, droit du travail hypothétique, idem pour le STPCD - le "School Teachers' Pay and Conditions Document", soit les accords de branche qui régissaient la profession jusqu'en 2010 -, etc.). Environ 80% des écoles secondaires anglaises ont le statut d'academy(le reste étant toujours sous le contrôle de l'équivalent du rectorat. Les trois autres nations britanniques ont rejeté l'académisation). Une academy fait habituellement partie d'un "MAT" (Multi Academy Trust), des groupements qui peuvent compter jusqu'à soixante-dix écoles. Les plus gros MATs, tels l'Academies Enterprise Trust ou la Harris Federation, fonctionnent comme des chaînes avec à leur tête des "supers chefs d'établissement" (CEO), souvent issus du monde corporate, rémunérés jusqu'à 500.000 livres par an.
[2] Le déploiement du programme Free School, initialement très rapide, a été fortement ralenti. En cause, sans doute, de piètres résultats et des coûts astronomiques. Malgré la réticence des gouvernements successifs à communiquer sur le sujet, la facture a été évaluée à 3.6 milliards de livres en 2017, soit trois fois le coût initial escompté, pour seulement 422 écoles (des petites, voire minuscules, structures). Un quart de cette somme est parti en frais légaux et de conseil.
[3] Ce communiqué de Roman Abramovitch, le 26 février, illustre la dimension prise par les foundations, dont le cadre désormais déborde largement celui du caritatif. Dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'oligarque russo-israélien-portugais confie la gestion de Chelsea FC aux administrateurs de la Chelsea Foundation, tout en soulignant son rôle dans la communauté. Les fondations sont devenues des « brands » à part entière, au même titre que les clubs et les joueurs vedettes.