Le diable sans costume Pravda
La visite du site officiel de l'Olympique lyonnais révèle qu'en matière de communication, le club n'arrive pas à la cheville de la propagande soviétique...
Nul besoin d'être un grand connaisseur en ballon rond ou en gestion d'entreprise pour mesurer les mérites de l'Olympique lyonnais, club sain, régulier, ambitieux, qui règne sans partage sur la Ligue 1 et semble parti pour s'installer durablement dans le gotha européen.
À cette admiration sincère pour la réussite sportive s'ajoutait de ma part un intérêt pour une pratique assez rare dans le football hexagonal: la publication de communiqués sur le site officiel du club.
Avoir un site officiel est chose courante pour un club. Il sert principalement à vendre des produits dérivés, à mettre en avant les sponsors, à stariser encore un peu plus nos chers pousseurs de baballe et, accessoirement, à feindre le journalisme en relatant les matches de l'équipe concernée avec ce qui pourrait passer, de très loin, pour une certaine objectivité.
Plus des bonus à la con comme l'interview du joueur qui a marqué un doublé et qui dit qu'il est très content, celle du président qui promet à l'intersaison "la meilleure équipe de ces dix dernières années" ou encore les résultats de l'équipe B des moins de 16 ans.
Jusqu'à aujourd'hui, il semblait que, sur ce terrain du site off' également, l'OL se distinguait, en ajoutant à ces pratiques communes celle consistant à publier des communiqués officiels en réaction à, grosso modo, tout ce qui peut se dire ou s'écrire sur l'OL – et qui n'est pas empreint d'une admiration béate pour le Manchester United du Rhône.
N'ayant jamais visité les augustes pages de ce site, j'avais développé une sorte de mythe : pour moi, le site off' de l'OL, c'était le retour à l'emploi pour tous les soviétologues mis sur la paille par la fin des régimes communistes en Europe de l'Est, c'était l'avènement d'une nouvelle aube pour la rhétorique de parti unique, c'était un petit bout de Cuba chez nous, c'était le come-back des lendemains qui chantent fort, et tant pis s'ils chantent faux.
Kaboul en défense
Il convient ici de faire une pause et de rappeler aux plus jeunes de nos lecteurs la caractéristique principale de la soviétologie, qui revenait, pour un politiste occidental, à étudier le régime de pays où il ne pouvait pas foutre les pieds – à part les intellectuels aux ordres qui, eux, n'avaient pas besoin de s'y rendre, puisqu'ils savaient par avance qu'ils allaient décrire un bilan "globalement positif". Ces politistes devaient donc mener leurs travaux sur la seule base du décodage des discours officiels, ce qui demandait beaucoup d'expérience, pour ne pas dire un talent certain.
Ainsi, pendant la guerre en Afghanistan, un soviétologue lisait un communiqué de l'Etat-Major soviétique sur le modèle: "L'équipage d'un char de la glorieuse Armée Rouge a été aujourd'hui décoré pour l'action héroïque qui lui a permis de rejoindre sa division au péril de sa vie, bien qu'il ait été isolé en territoire hostile, coupé de ses courageux camarades et en butte au feu nourri des forces réactionnaires à la botte de l'Occident".
Et notre soviétologue de traduire aussitôt : "Du fait d'un matériel obsolète et mal entretenu ayant entraîné la défaillance de son système de communication, mais aussi de l'alcoolisme invétéré de son équipage, un tank soviétique s'est retrouvé isolé dans un territoire pourtant prétendument sous contrôle gouvernemental et s'est fait harceler par des moudjahidin gagnant chaque jour en confiance et en audace. L'équipage a réussi à prendre la fuite et à rejoindre son unité, où un lourd châtiment disciplinaire lui sera infligé".
La lutte des classes de collège
On espérait retrouver ces joies du décodage à la lecture d'OL Web, avec une prose ampoulée alternant avec maîtrise les arguments irréfutables et les contre-vérités flagrantes, je m'attendais à une logorrhée pleine de talent, réagençant les faits pour leur faire dire tout et son contraire.
On s'attendait, surtout, à un peu de sel dans la diatribe, à un peu de mordant dans les attaques. À des réactions aussi belles que celle du Président du Steaua Bucarest au lendemain de la rouste prise en finale de C1 face au Milan AC, qui avait déclaré, apparatchik imperturbable: "Lacatus vaut cinq Van Basten et Hagi dix Maradona".
Grosse déception, ce n'est pas du tout au niveau attendu, c'est du ventre mou très loin de la rhétorique soviétique, sans style, sans verve polémique. Bref, c'est nul comme un fat croyant épingler Cyrano en lui disant qu'il a un grand nez, comme un vulgaire site off' de club de foot, comme le site de l'AS Monaco – pour vous dire si c'est sans saveur.
On n'en donne pour preuve qu'un seul exemple, tiré du communiqué du 28 octobre, vigoureusement intitulé "Ça suffit!" et réagissant à un "article" du site d'Eurosport prétendant que l'OL est aidé par les arbitres... Du grand journalisme, n'en doutons pas, et a priori du pain béni pour un polémiste un peu virulent qui veut se faire les crocs.
Et pourtant, la seule lecture des dernières lignes de la "réponse" de l'OL montre à quel point on est loin du compte :
"Certes il y a des erreurs, mais sur une saison ne pensez-vous pas honnêtement qu’elles s’annulent. Et puis n’existe-t-il pas une justice dans le football après l’expulsion justifiée de DIATTA (OL/ASSE), Juninho a vu son penalty arrêté par Janot. De même le PSG a transformé victorieusement son penalty alors arrêtez ces ridicules critiques. Monsieur la domination de l’Olympique Lyonnais vous agace peut-être mais restez fair-play. Il est de bon ton dans certains milieux de taper sur le leader il devrait plutôt l’applaudir".
Affligeant. Indigne d'un bientôt sextuple champion de France. Un texte qui conjugue une syntaxe similaire à la technique de Bernard Mendy avec un argumentaire comparable au fond de jeu du FC Nantes. Jean-Michel Aulas va-t-il supporter longtemps qu'un des secteurs de sa holding joue à un niveau CFA?
N'a-t-il pas les moyens d'embaucher un porte-plume qui nous pondrait des envolées cinglantes dignes d'un Krouchtchev martelant la tribune de l'ONU avec sa godasse? Doit-on désespérer de retrouver enfin, quinze ans après la fin de l'URSS, un peu de talent dans la mauvaise foi, un peu de grandeur dans la paranoïa, un peu de génie dans l'indignation?