Dans les Cartons : Toulalan, un danger appelé latéral et Johan Cruyff
Le Bayern Munich est toujours là mais il laisse la vedette à d'autres: l'éternel Jérémy Toulalan, le match Celta Vigo-Real Madrid ou encore Johan Cruyff. Anims Johan.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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Jérémy Toulalan, l’inqualifiable
Raphaël Cosmidis – Si l’AS Monaco a concédé une dizaine d’occasions et pas trente face au Stade de Reims, dimanche, elle le doit en grande partie à Jérémy Toulalan. Titulaire devant la défense, accompagné de Joao Moutinho et Mario Pasalic au coeur du jeu, la “Toul’” a tout fait: récupéré les ballons, coupé les lignes de passes, rattrapé les errements de ses partenaires. À trente-deux ans, il ne décline toujours pas et brille même dans une équipe qui a pourtant perdu ses vertus défensives cet été.
Ce match à Auguste-Delaune, Monaco aurait très bien pu ne pas le gagner (succès 1-0 au final), si Nicolas De Préville avait été plus adroit, si Theoson Siebatcheu n’avait pas complètement raté la balle d’égalisation à quelques secondes de la fin. Les Champenois l’ont emporté au nombre d’occasions, pas au score. Au contraire de la saison passée, où chaque match monégasque semblait suivre le même schéma – première période timide, victoire à l’usure et en contre-attaque en deuxième période –, les scénarii réservés par les hommes de Leonardo Jardim sont beaucoup plus variés cette saison, parce que bien moins maîtrisés.
Du onze de l’exercice précédent (Subasic - Fabinho, Abdennour, Carvalho, Kurzawa - Toulalan, Kondogbia - Carrasco, Moutinho, Silva - Martial), seuls cinq joueurs demeurent. L’ASM a perdu son défenseur central le plus compétent, son latéral le plus créatif, son couteau-suisse au milieu, et un attaquant capable de tout face à tout le monde. Jardim a perdu tant de joueurs qu’il a changé de système de jeu. Ouste le 4-2-3-1 ou 4-4-2, bienvenue à un 4-3-3 se déformant selon qui dessine le triangle du milieu.
Avec Jérémy Toulalan, Jardim dispose de l’une de ses rares garanties, un joueur tout sauf mobile qui compense par sa lecture du jeu, qualité impossible à mesurer si ce n’est par l’émerveillement. Toulalan ne rate pas une ligne du livre adverse. “Purée, il est partout”, finit-on par s’exclamer, oscillant entre l’admiration et l’exaspération. Le corps de Toulalan semble avoir tellement de peine à se déplacer qu’on est stupéfié, fatigué de le voir constamment en mouvement. Ses cheveux poivre et sel ont fait croire qu’il avait vieilli plus vite que les autres, mais Toulalan est encore là, comme d’autres milieux défensifs, rôle qui sourit au temps qui passe. Entre Malaga et Monaco, l’ex-Nantais a connu deux projets qui ont fini en queue de poisson, mais il est resté debout. À son poste, il vaut mieux.
Pédago : Suivre son latéral
Christophe Kuchly – C’est l’une des caractéristiques qui différencient les joueurs de couloir entre eux: la capacité, ou la volonté, de revenir derrière à la perte du ballon. On peut être Dirk Kuyt ou Cristiano Ronaldo, c’est-à-dire défendre comme un chien et être quasiment deuxième latéral ou, au contraire, faire l’impasse. Les deux situations sont calculées: dans un cas on profite d’un volume de jeu énorme de la part de joueurs plus endurants qu’explosifs et sans doute aussi moins brillants; dans l’autre on préserve les talents offensifs en les exonérant de tâches énergivores.
Ne pas suivre la montée d’un latéral quand on est ailier n’est donc pas forcément une mauvaise chose, à condition que les compensations soient bien effectuées. Le but: enfermer le latéral ou le couper de l’action pour ensuite se projeter rapidement dans son dos. Bien fait, cela amène de nombreux buts (là aussi, le Real était grand spécialiste avec Carlo Ancelotti). En revanche, si on s’oublie, notamment sur les phases de transition, cela se paye cash… et on blâme le joueur offensif. C’est ce qui est arrivé lors du (superbe) match entre le Celta Vigo et les Madrilènes, plus particulièrement à Nolito.
Passé par Barcelone (mais acheté pour renforcer la réserve et pas du tout formé en Catalogne comme on peut souvent le lire), l’international espagnol est un homme de couloir moderne: en faux pied, il repique dans l’axe d’où il oriente le jeu ou frappe au but. C’est d’ailleurs sur un petit enchaînement crochet intérieur-tir qu’il violenta les filets de la réincarnation costaricienne de Lev Yashin. Mais cette explosivité – qui aurait pu/dû être encore mieux récompensée – naît d’une gestion des efforts payée cash sur le deuxième but du Real. Seul dans la surface, Danilo ne tremble pas alors que Nolito lance un petit sprint désespéré une dizaine de mètres derrière lui.
Au début de l’action, il y a un duel à la course gagné par le Brésilien, qui passe la balle dans l’axe et trottine vers l’avant. Nolito le regarde passer sans s’inquiéter. Quelques secondes plus tard, c’est Marcelo qui est en possession à trente mètres du but adverse tandis que Jesé (sur le côté) et Ronaldo (axe), placés de sorte à former un triangle, lui offrent des solutions. Le jeu qui penche nettement à gauche aspire le Celta. Une course croisée de Lucas Vasquez aspire le latéral gauche Jonny Castro vers l’axe et libère le côté pour Danilo. Plus que Nolito, qui se tuerait à suivre à chaque fois son vis-à-vis, il faut souligner – en plus de la passe de Jesé – le rôle d’Augusto Fernandez, qui ne prend pas l’information et laisse la passe arriver puisqu’il effectue un marquage de zone seul, à mi-chemin entre la surface et Modric, libre en retrait. Mais aussi celui de Sergi Gomez, qui permute trop tard avec l’autre central et se retrouve une seconde de trop sans homme à marquer. Comme souvent, c’est une responsabilité d’équipe.
En vrac
Mauvaise idée que de regarder ce Manchester United-Manchester City (0-0), match que personne n’a voulu gagner et dont l’intensité ne masque pas un gros déchet. On retiendra tout de même les quelques accélérations d’Anthony Martial côté gauche, toujours suffisamment bien couvertes pour être trop dangereuses, et l’agressivité de Nicolas Otamendi en défense centrale. Toujours en avance sur son adversaire, l’Argentin forme une paire prometteuse avec Vincent Kompany, préféré à Eliaquim Mangala cette fois-ci.
Nouveaux triplés pour Pierre-Emerick Aubameyang cette semaine (3-1 à Qabala et 5-1 à Augsbourg). L’ancien Stéphanois continue à pousser dans le but toutes les balles qui traînent façon Pippo Inzaghi grâce à son placement plus qu’à sa vitesse de course – ses trois buts samedi ont été inscrits à cinq mètres de la ligne (les deux de Reus aussi, du reste). Jouer dans une équipe aussi fluide offensivement l’aide beaucoup, mais il dégage une vraie sérénité. Le voilà à treize buts en dix matches de championnat, comme Lewandowski.
Farandole de penalties pour le FC Séville, une nouvelle fois, et sans que ce soit illogique. Après les trois obtenus face à Gladbach en Ligue des champions (deux convertis), les joueurs d’Unai Emery ont reproduit la chose ce week-end contre Getafe. À ce moment-là il y avait déjà 2-0, et Banega puis Gameiro, comme face aux Allemands, se sont chargés d’alourdir la marque. La rotation a continué sur le cinquième, Konoplyanka réussissant le sien. 5-0 et une première: jamais trois joueurs n’avaient marqué un penalty dans le même match de Liga.
Liga toujours, et l’Atlético Madrid applique toujours la même recette, avec succès généralement. Les Colchoneros ont étouffé Valence (2-1) grâce à leur organisation toujours rigoureuse et leur intensité dans les duels. Sous pression constante, les Valencians n’ont jamais su développer leur jeu patient au sol. Avec encore une fois un Antoine Griezmann magnifique d’intelligence et de justesse technique, relais idéal entre les lignes et détonateur des attaques rapides.
Rudi Garcia se serait-il converti au pragmatisme mourinhesque? Toujours est-il que sa Roma s’est imposée à Florence (2-1) avec 29% de possession de balle, et a donné une leçon d’organisation défensive. Même Gervinho a fermé son couloir avec une grande discipline, c’est dire. Peut-être un premier pas vers la recherche de l’efficacité à tout prix, ce qui a pu faire défaut à des Romains parfois trop joueurs par le passé.
Focus : Caen
Entraîneur : Patrice Garande.
Système préférentiel : 4-1-4-1.
Classement : 3e de Ligue 1.
Possession : 42% (20e de L1).
Passes réussies : 69,8% (20e).
Tirs par match : 13,2 (5e).
Duels aériens gagnés par match : 23,1 (2e).
Tirs dans les six mètres par match : 1,4 (1er).
Centres par match : 24 (3e).
Joueur clé : Andy Delort : 3 buts, 2 passes décisives, 5,7 duels aériens gagnés par match (1er de L1), 4,9 tirs par match (2e).
(Statistiques WhoScored).
L'instantané tactique de la semaine
C. K. – Florent Toniutti a déjà analysé le 2-3-5 du Bayern, mais ce match face à Cologne (4-0) mérite également un petit retour rapide ici. Quoi de mieux que cette image du deuxième but, signé Arturo Vidal, pour comprendre le problème qui se pose à l’adversaire face à autant de joueurs offensifs. En bas, Coman vient de déborder et centrer en retrait. Lewandowski a plongé au premier poteau, mobilisant des défenseurs sans être servi. Müller a demandé le ballon mais celui-ci est un peu trop en retrait et il s’écart donc de la trajectoire. Vidal, lancé, profite de l’espace provoqué par ces fausses pistes et peut déclencher une frappe dans des conditions idéales.
Les deux joueurs juste hors de la surface à droite de l’image? Alaba et Costa, deux autres excellents frappeurs. À gauche, c’est Lahm, tandis que Robben, hors écran, est de l’autre côté de la surface pour étirer au maximum la défense. Au total, sur une action placée, on a huit joueurs dans les vingt mètres adverses, seuls Boateng et Rafinha restant en retrait pour ralentir un contre éventuel – et ainsi permettre à Lahm et Alaba, avancés mais en position de couvrir le départ des ailiers, de revenir. Forcément, pour une équipe moins bien équipée, cet afflux de joueurs qui provoquent, se projettent et occupent toutes les zones du terrain est très dur à gérer.
Les déclas
“Qu’ai-je dit à Higuain lors de la pré-saison? Je lui ai dit qu’il était trop paresseux et que s’il ne changeait pas de comportement, il ne deviendrait jamais le meilleur avant-centre du monde. Il était en partie d’accord avec ce jugement. Il n’était pas capable d’exprimer 100% de ses capacités. Nous nous sommes parlés clairement, et s'est installé entre nous un rapport direct et honnête qui aide sans doute à le motiver.”
Maurizio Sarri, entraîneur d’un Naples séduisant et d’un Gonzalo Higuain retrouvé.
“(Pour le titre) Je ferais attention à Arsenal. Arsène Wenger a fait du bon travail pour changer son système: il attend et contre-attaque pour exploiter au mieux la vitesse de Theo Walcott et Alexis Sanchez.”
Carlo Ancelotti, qui observe tout ça en profitant de son année sabbatique.
“Le Bayern Munich gagnera la Bundesliga les doigts dans le nez. J’avoue ne pas apprécier les matchs du Bayern, parce qu’il y a trop peu de suspense. Pep Guardiola reste néanmoins le meilleur coach au monde aujourd’hui. Il enseigne le football, se fait comprendre et gagne.”
Carlo, toujours.
La vidéo de la semaine
Johan Cruijff, encore et toujours. Ici face à la Bulgarie, tête levée, technique au top et toujours le replacement de tous ses partenaires.
La revue de presse (presque) anglophone
Anthony Martial est un excellent joueur...qu'il est préférable d'utiliser comme attaquant de pointe.
Un gros point Expected Goals sur ce qu'il se passe en Premier League, avec un nouveau modèle au passage.
Un peu d'Histoire avec Herbert Kilpin, le fondateur de l'AC Milan.
Et beaucoup d'Histoire avec le Manchester United des nineties, et forcément Éric Cantona.