Dans les Cartons : Premier League, Valence-Lazio 2000, PSG et Busquets
La Premier League vous fatigue? On a compris pourquoi. Pour un jeu plus léché, on peut revenir au début du siècle. Ou lire la plume léchée de Jorge Valdano sur Neymar, disséquer l'organisation défensive toulousaine... De tout, pour tous.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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« Cours, Forrest, cours » ou la Premier League
Christophe Kuchly – L’internationalisation du foot a ses avantages et ses inconvénients. Mais l’ouverture totale des frontières, qui fait qu’un joueur peut voir trois ou quatre championnats différents en peu de temps, n’a pas fait tomber toutes les barrières. Et, encore aujourd’hui, chaque membre du Big 4 (désolé, chère Ligue 1, va jouer dans ton coin) a ses spécificités. En Espagne, on joue au sol. En Italie, on met l’accent sur la tactique. En Allemagne, on attaque. Et, en Angleterre, on court. Pour les trois premiers, le raccourci est un peu rapide. Il est impossible de résumer aussi grossièrement: certaines équipes italiennes jouent de manière assez peu réfléchie, les Allemands savent aussi attendre et tous les milieux de terrain de Liga ne sont pas des artistes. Et l’Angleterre? En regardant Liverpool-Manchester United, on aurait pu se poser la question de savoir si ce n’était pas de l’athlétisme avec ballon.
Bien sûr, il n’est pas très étonnant de voir une équipe coachée par Jürgen Klopp pratiquer un pressing intense et donc courir un peu partout pour récupérer le ballon. Et on sait bien qu’Arsenal ou Southampton sont dans une autre logique. Mais voir Manchester United participer à la fête en ne procédant que par attaques rapides, ce qui n’est pas forcément là où veut aller Louis van Gaal, a rendu ce match assez bête. Animé, intense, très intense même, mais vide. Et sans les occasions qui accompagnent parfois ce type de matches débridés.
Avec une équipe qu’il n’a pas choisie, composée de joueurs qui ne répondent pas forcément à ses demandes spécifiques en termes de jeu, Klopp fait au mieux. Il tente d’implémenter sa philosophie sans complètement sacrifier les résultats à court terme. Van Gaal, lui, est au milieu du gué. Soit il continue à vouloir jouer son football, celui qui a contribué à transformer le Bayern en ce que l’on connaît maintenant, quitte à se noyer; soit il fait demi-tour, ce qui amènera probablement quelques victoires au passage mais rendra un peu inutile la route parcourue depuis un an et demi. En attendant, en jouant mal, son équipe a gagné un match important et lui du temps.
Confortablement assis dans son canapé, on avait quand même le souffle court devant ce match. Essoufflé, pas soufflé, par ce test de VMA géant où tout le monde y allait de son sprint, perdant au passage pas mal de lucidité pour faire les bons gestes au bon moment. Dans ces moments-là, on se dit que la Premier League est un championnat à part, où il faut une "caisse" énorme pour exister. On verra ce qu’un Pep Guardiola y fera, mais même des entraîneurs adeptes d’un beau football se retrouvent aspirés dans le vortex de l’intensité. En Angleterre, ça joue toujours vite et rarement très bien. Mais est-il possible de faire autrement?
Match rétro : Valence-Lazio 2000
Julien Momont – Santiago Cañizares, Jocelyn Angloma, Claudio Lopez, Kily Gonzalez d’un côté. Sinisa Mihajlovic, Diego Simeone, Pavel Nedved, Dejan Stankovic, Juan Sebastian Verón de l’autre. Il faut certainement notre recul de près de seize ans pour saisir la grandeur de ce « simple » quart de finale aller de Ligue des champions 1999/00 entre Valence et la Lazio Rome. Et encore, Gaizka Mendieta et Alessandro Nesta étaient absents…
La lecture de la composition laziale laisse peu de secret quant à la qualité technique de la formation romaine. Elle se vérifie sur le terrain, avec un style très argentin, autour du duo Simeone-Verón: de la possession au sol, la Brujita systématiquement recherchée dans le dos des milieux valencians pour orienter le jeu, notamment à coup de délicieux extérieurs du pied. Mais si Verón atteint probablement l’apogée de sa carrière cette saison-là, ce n’est pas encore le cas pour Nedved et Stankovic, un peu moins inspirés sur ce match.
En face, Valence est une redoutable contre-attaquante. Les percées de Kily Gonzalez, les appels incessants de Claudio Lopez, les projections de Gérard et la technique de Miguel Angel Angulo font merveille. L’activité destructrice de la paire romaine Almeyda-Simeone est annihilée par le jeu très direct des joueurs du club ché.
Cette opposition de style est un peu régal, et les occasions sont multiples de chaque côté. Celles de Valence sont toutefois plus franches et mieux converties. L’avantage, à l’issue de cette première confrontation, sera décisif: 5 buts à 2 pour les Espagnols. "Déjà que l'on fait le doublé coupe-championnat, on aurait pu décrocher un triplé historique, regretta Simone Inzaghi il y a quelques mois. Quand je vois les finalistes, on n'avait rien à envier au Real Madrid et à Valence. Dans tous les cas, nous n'étions certainement pas inférieurs à eux." Le visionnage de ce match aller laisse la même impression. Mais l’histoire est riche de ces grandes équipes privées de la Coupe aux grandes oreilles, et cette Lazio 99/00 en fait effectivement partie.
Le teaser
On a écrit un livre, merci de penser à l'acheter à sa sortie le 11 février pour qu'on devienne riches et célèbres. En attendant, voilà une anecdote que nous a raconté Raynald Denoueix dans le restaurant d'un hôtel Mercure à côté de la gare de Nantes (oui, on a fait du grand reportage dans des contrées lointaines). Parfois, les entraîneurs ont beau tout prévoir...
En vrac
Dimanche soir, face à Saint-Étienne (défaite 1-0), Jérémy Morel évoluait au poste de latéral gauche, comme toujours depuis son arrivée à l’Olympique lyonnais. La saison passée, Marcelo Bielsa en avait fait un défenseur central de qualité. Doué dans la passe mais pas sous la pression d’un adversaire, Morel avait du temps pour distiller de bons ballons, dont beaucoup de passes longues. Confiné sur l’aile, il est plus susceptible d’être enfermé par l’ailier droit adverse, une situation qu’il a trop souvent subie face à l’ASSE.
Il jouait aux Queens Parks Rangers il y a quelques semaines, a été recruté par Liverpool pour dépanner au poste de défenseur central, et vient d'entrer deux fois de suite au poste d’avant-centre en fin de match. Son nom, c’est Steven Caulker, et il illustre tristement le manque d’idées et de solutions des Reds. Pourtant auteurs d’un match encourageants, les hommes de Jurgen Klopp ont encore perdu, cette fois face à Manchester United (0-1). Trois mois et demi après son arrivée, l’Allemand n’a pas transformé Liverpool. Quelques jours plus tôt, le nul concédé face à Arsenal avait laissé la même impression: il y a de l'idée, mais l'application reste brouillonne. C’est peut-être l’effectif, le problème, finalement...
Bellugou, Guerreiro, Ndong, Mesloub et Jouffre: Lorient alignait, dimanche, peu ou prou sa meilleure équipe pour affronter l’AS Monaco. Et les Merlus ont offert une première période excellente, prenant le contrôle du ballon et pratiquant un jeu à la fois simple et agréable, fait de quelques touches et trop vif pour les Monégasques, sans pour autant se créer de grosses occasions. Punie par le réalisme adverse en deuxième période (0-2), la formation de Sylvain Ripoll a rappelé que l’on pouvait bien jouer au foot sans être dangereux, en mêlant harmonie et mouvement. Deux mots qui ramènent des points sur le long terme.
On aurait tendance à l’oublier, mais, avec certes un match en plus, c’est bien l’Atlético Madrid qui est leader de Liga. Les Colchoneros ne sont toujours pas enthousiasmants, ils sont toujours aussi insupportables à jouer pour leurs adversaires tant ils élèvent la neutralisation au rang d’art. Même le Rayo Vallecano a perdu son côté enthousiasmant (et c’est à peu près tout ce qu’il lui reste, en ce moment) à Vicente Calderon en milieu de semaine dernière. Et devant, le meilleur joueur français de ces derniers mois continuent de régaler, match après match. Depuis notre édito la semaine dernière, Antoine Griezmann a ajouté quatre buts. Ça lui en fait déjà dix-huit toutes compétitions confondues, cette saison.
On l’a évoqué dans l’instantané: Toulouse a, en dépit de la défaite (0-1), livré un excellent match face au Paris Saint-Germain, grâce à un plan bien appliqué. Une défense compacte dans l’axe et une explosion vers l’avant à la récupération du ballon, avec les projections des latéraux Somalia et Matheus, de Trejo dans l’axe et de Braithwaite, très utile pour remonter les ballons et venir aux côtés de Ben Yedder. Ce dernier a par ailleurs prouvé qu’il n’avait pas forcément besoin de jouer dans un système à deux pointes pour être dangereux, sa vivacité et sa technique pouvant se suffire à elles-mêmes. Mention aussi pour les gamins Alban Lafont (gardien, seize ans), malgré une gestuelle de jeu au pied encore brute, et Issa Diop (défenseur central, tout juste dix-neuf ans).
Placé en défense centrale par Luciano Spalletti, Leandro Castan, qui ne jouait à peu près jamais cette saison avec Rudi Garcia, a pris l'eau contre le Hellas Verone (1-1): une perte de balle qui a failli coûter un but, un tacle raté dans la surface qui offre l'égalisation (après avoir pris un courant d'air en vitesse), et une sortie juste après l'heure de jeu. Peu importe le système et le coach, quand les joueurs ne sont pas bons, il est compliqué de gagner des matches...
Focus : Bastia
Entraîneur : Ghislain Printant.
Classement : 15e de Ligue 1.
Système préférentiel : 4-2-3-1.
Possession : 43,7% (19e).
Tirs par match : 7,7 (20e).
Passes réussies : 71,9% (19e).
Longs ballons par match : 77 (2e).
Passes courtes par match : 285 (18e).
Tirs en dehors de la surface : 48% (3e).
Joueur clé : Floyd Ayité : 4 buts (1er du SCB), 3 passes décisives (1er), 2 tirs par match (1er), 1,4 dribbles réussis par match.
(Statistiques WhoScored).
L'instantané tactique de la semaine
Julien Momont – Laurent Blanc a tenté un coup tactique, à Toulouse. "Pour une fois", diront ses détracteurs, qui se délecteront aussi de l’échec piteux dudit coup. Peu après le quart d’heure de jeu, à la suite de la blessure de Javier Pastore, remplacé par Edinson Cavani, l’entraîneur parisien distille ses consignes depuis le bord du terrain: le PSG passe du 4-3-3 au 4-4-2 en losange, Lucas en soutien de Zlatan Ibrahimovic et Cavani. Le problème? Déjà pas franchement encline à aller chercher les ailes en début de match, la formation parisienne se retrouve avec un gros bouchon dans l’axe, où Toulouse est très regroupé, en 5-4-1.
Avec Martin Braithwaite et Oscar Trejo chargés de resserrer intérieur tout en couvrant, si nécessaire (ce fut rarement le cas), leur couloir, l’effet entonnoir était parfait. Surtout que Serge Aurier à droite et Maxwell à gauche (pris très haut par Somalia) n’ont jamais disposé des conditions propices à des débordements dangereux. Typiquement, de quoi dédoubler face à chaque joueur toulousain dans les couloirs, eux aussi couverts dans l’axe.
L’expérimentation parisienne aura duré un peu moins d’une demi-heure, jusqu’à la fin de la première période. Le retour au 4-3-3 n’aura pas fondamentalement changé les choses, par ailleurs.
Les déclas
"On pouvait voir qu’il était different, évidemment, parce qu’il y a des choses qu’on remarque dès le premier toro. Et Leo, par-dessus tout, avait le talent le plus difficile à acquérir: il comprenait le jeu, il pouvait faire de bonnes passes et dribbler n’importe quel joueur que l’on mettait en face de lui. Il avait l’habitude de mettre notre meilleur défenseur par terre."
Xavi sur Lionel Messi, dans un édito pour El País.
"Je continue parce que c'est un boulot exceptionnel et parce que plus on se rapproche de la fin, plus on sait la chance qu'on a. J'aime le foot, j'aime le dépassement de soi et, pour le reste, il y a certains aspects du milieu que j'apprécie. J'ai progressé, je suis moins ours que quand je suis arrivé à l'OL et que Sidney (Govou) m'avait dit que j'étais un autiste. Physiquement, c'est plus dur, j'ai les chevilles qui gonflent, mais pas la tête, ça va, ça. Surtout, je sais que j'aurai du mal, après, à retrouver les émotions de la compétition. Quand on marque un but - d'accord, pas moi, mais quand mon équipe marque –, c'est vraiment fort! Bon, avec Monaco, j'ai quand même marqué contre Reims et, pour trouver aussi fort, il faudrait que je saute en parachute ou faire des trucs extraordinaires. Nous, les trucs extraordinaires, ils sont là, devant nous, et ils reviennent tous les trois jours. Sincèrement, c'est magnifique."
Cette déclaration d'amour de Jérémy Toulalan à son métier est issue d'un très bel entretien paru dans L'Équipe.
"Si Messi nous ramène au footballeur de toujours pour son style classique, et Ronaldo aux footballeurs du futur pour son exhubérance physique et ses mouvements robotiques, derrière eux arrive Neymar, le footballeur pop. (...) Neymar projette l'image d'un gars heureux qui, sur le terrain, prolonge cet état de joie. Son football est divertissant et décomplexé. Artistique, parce que quand il allie sa technique supérieure à son imagination joueuse, il nous met face à quelque chose d'original, beau et efficace. Il a parfois des vices que ses détracteurs considèrent provocateurs, mais ils font partie d'un style qui ne manque pas de courage, comme il l'a montré dans le rustique football sud-américain et dans le compétitif football européen. Selon les statistiques, beaucoup plus sérieuses que son jeu joyeux, Neymar est chaque année plus déséquilibrant. Sa première année au Barça, il a joué le domestique de Messi (il lui cédait tout), dans le deuxième il est devenu un supporter (ils se cherchaient tout le temps) et ces temps-ci, il se sent ami tant de Messi que de Suarez, et il se permet toutes les libertés dont il a envie parce qu'il se sent comme un crack. Et les cracks réclament des droits. C'est pour ça que son rôle dans le Ballon d'Or a été intéressant à observer. On l'a plus vu comme un observateur que comme un acteur. En prenant en compte son effronterie et la vitesse de son apprentissage, d'ici trois ans on le verra sur la scène en train de lever le trophée. Il ne faut pas se méprendre: c'est quand il rit le plus qu'il faut le prendre le plus au sérieux."
Jorge Valdano dans un article pour le quotidien mexicain Récord.
La vidéo de la semaine
On ne se lasse jamais de Sergio Busquets. Dans un Barça plus enclin à se projeter rapidement à la récupération du ballon, les qualités d'anticipation et de relance du cerveau sont à l'origine de nombreux buts. Illustration en vidéo, où la récupération fait déjà partie de la phase offensive.
Sergio Busquets - Behind the Goals par allasfcb
La revue de presse (presque) anglophone
Le Valence de Gary Neville ne convainc toujours pas, malgré un point arraché face au Rayo Vallecano ce week-end.
Entretien avec Jorge Sampaoli, sélectionneur du Chili (mais pour combien de temps?), pour qui Bielsa et Guardiola sont les deux meilleurs entraîneurs du monde.
Joli portrait de Wissam Ben Yedder, joueur à l'histoire atypique et au talent au-dessus de son équipe.
Peter Krawietz, adjoint de Jurgen Klopp à Liverpool, explique la méthode de travail du staff mis en place par l'ancien coach du Borussia Dortmund depuis son arrivée en Angleterre.
Claude Onesta n'est pas entraîneur de football, mais il a plein de choses à dire sur la gestion d'un groupe, l'éducation des sportifs, et en a "marre des questions tactiques."
Petite projection (forcément) hypothétique: Mauricio Pochettino ferait-il un bon remplaçant de Louis van Gaal?
Instructive analyse statistique des zones où se concentrent le plus les interventions dans différents championnats européens. En France, beaucoup se passe sur les ailes.
Pendant ce temps, José Mourinho s'est mis tellement de monde à dos que ses solutions pour le futur semblent restreintes.