Dans les cartons des Dé-Managers : #27
On arrive à la fin. Fin de saison en Liga, où le titre se jouera lors d'un dernier duel. Fin du suspense en équipe de France, alors que Didier Deschamps va annoncer sa liste. Fin de carrière pour Zanetti, Giggs et Puyol, joueurs majeurs depuis plus de quinze ans.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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Laxité et rupture d’une Liga menteuse ?
Christophe Kuchly (@CKuchly) – En cette fin de saison, c’est un peu comme si personne ne voulait aller chercher le titre de champion d’Espagne. En position idéale, l’Atlético rate, les unes après les autres, les occasions de creuser un écart définitif. Juste derrière, le Real s’est éliminé tout seul de la course en enchaînant les faux-pas face à des équipes à sa portée. Et c’est Barcelone, condamné cent fois, qui se retrouve avec les cartes en main pour se succéder à lui-même. Un épilogue improbable qu’on a pourtant du mal à imaginer.
La dernière impression a tendance à faire foi dans les têtes. On se souvient du dernier Ballon d’Or, verrouillé par Cristiano Ronaldo dans les dernières semaines avant le vote, notamment grâce à un barrage extraordinaire face à la Suède… où lui et le Portugal n’auraient jamais dû se trouver sans des mois de médiocrité en phase qualificative. En Liga, un sentiment similaire se fait de plus en plus prégnant, mais de manière inverse. Le moyen éclipse le bon. Tout le monde profiterait des échecs des autres plutôt que de ses propres qualités. Comme si le nombre de points marqués (89, 86 et 84 à une journée de la fin, contre 86 pour City par exemple), certes plus bas que les années précédentes, était historiquement faible.
Ce serait oublier que Barcelone, moins flamboyant que sous Pep et Tito, était encore considéré comme une très grande équipe en mars après des victoires successives face à City (2-1), Osasuna (7-0), le Real (4-3), le Celta (3-0) et l’Espanyol (1-0). Oublier, aussi, que Madrid, quasi miraculé du début de saison (victoires face au Bétis à la 86e, Elche à la 96e et Levante à la 94e, en plus d’une défaite et un nul lors des huit premiers matches), paye au prix fort des blessures et un parcours européen qui a fait de “la Décima” un concept incontournable. Oublier, enfin, que l’Atlético, également mobilisé par les échéances de Ligue des champions, a surtout manqué de réussite ces deux dernières semaines face à des équipes de Levante et Malaga solidaires et un brin chanceuses.
Alors que la dernière journée arrive, avec une finale pour le titre au Camp Nou, il faut remettre les choses en perspective: Barça ou Atléti, il n’y aura pas de champion au rabais. Au-delà de l’attirance que l’on peut avoir pour l’une ou l’autre équipe, un titre des Colchoneros permettrait de briser une série bicéphale un peu trop répétitive depuis 1984 (seulement rompue par l’Atlético de Radomir Antic en 1996, le Deportivo de Javier Irureta en 2000 et le FC Valence de Rafa Benitez en 2002 et 2004). Et l’on ne peut s’empêcher d’avoir une tendresse particulière pour Diego Simeone et ses hommes, dont le projet en construction permanente atteint sans doute, cette année, des limites structurelles qu’il faut valider en trophées.
Le contexte des matches couperet transcende toujours les rapports de force. Mais, sur un plan purement footballistique, il semble difficile d’imaginer Barcelone l’emporter. Sans solution lors des précédents affrontements cette saison, sans idées face à Elche, le club catalan ne brille plus. Face à lui se dresseront onze joueurs qui semblent possédés, et dont on attendra sans doute jusqu’au bout, en vain, qu’ils subissent l’effondrement tant prédit. Mais attention, mars n’est pas si loin.
L’holiste liste
Julien Momont (@JulienMomont) – À l'heure de nous lire, vous connaitrez peut-être déjà la liste concoctée par Didier Deschamps pour la Coupe du monde au Brésil. Un moment tellement attendu qu'il a droit aux faveurs du journal de 20 heures de TF1. Sur les réseaux sociaux et ailleurs, chacun défend ses favoris, et il est peu probable que l'annonce définitive mette un terme aux débats.
Dans ces échanges, les comparaisons individuelles priment généralement sur la réflexion globale d'équilibre du groupe. Or, bien au-delà d'une somme de talents, aussi indéniables soient-ils, c'est un effectif le plus complémentaire et adaptable possible que Didier Deschamps doit composer, et ce en nuisant au minimum à sa compétitivité. Le sélectionneur en a conscience, lui qui déclarait à la mi-avril qu'il ne prendrait “pas les vingt-trois meilleurs joueurs” mais “les vingt-trois les plus aptes à aller le plus loin dans la compétition ensemble”. Sans évoquer la dynamique et la vie de groupe, sujettes à nombre de palabres fondées sur peu d'éléments concrets, cette approche a des implications sur le plan tactique.
Une petite vingtaine de joueurs sont déjà pratiquement assurés d'être sélectionnés. Profils potentiels des dernières places à pourvoir, si l'on en croit la structure habituelle des listes de Didier Deschamps: un troisième gardien, un latéral gauche remplaçant, un milieu axial plutôt récupérateur, un attaquant de couloir et un créateur. Des éléments d'appoint, censés compléter le noyau dur de la sélection en apportant des qualités différentes. Car tout l'enjeu, sur le terrain, est de disposer d'une variété de solutions suffisante pour répondre au plus grand nombre de problématiques possibles.
La polyvalence peut évidemment être un atout dans une compétition aussi exigeante, où la blessure est redoutée. Mais les joueurs spécialisés dans un rôle, presque unidimensionnels, ont également une carte à jouer, si leur fonction n'est pas déjà couverte par le reste des appelés. Dans le cas de l'équipe de France, une véritable sentinelle dans l'entrejeu et un avant-centre de profondeur sont certains des profils à pourvoir. Mardi soir, Didier Deschamps se donnera peut-être le temps d'étudier plusieurs pistes en annonçant un groupe élargi. Et permettrait ainsi aux discussions de se prolonger encore quelques semaines.
On a aimé
Le maintien de Sassuolo en Serie A, acquis notamment grâce à la philosophie offensive de leur entraîneur Eusebio Di Francesco. Remplacé en janvier par Alberto Malesani, après que Pippo Inzaghi eut refusé l’offre, il a repris les commandes quelques semaines plus tard suite à l’échec complet de son successeur et réussi son pari. Mené par son trident Zaza-Berardi-Floro Flores vif et technique, Sassuolo a embêté énormément d’équipes, et c’est finalement très symbolique que la plus petite ville de l’histoire de l’élite italienne (41.000 habitants) se maintienne après un match prolifique (victoire 4-2 contre le Genoa).
Voir Carles Puyol, Ryan Giggs et Javier Zanetti sur les terrains. Leur retraite sonne la fin d'une époque pour des joueurs qui ne vivaient que pour leur club.
La confirmation du retour en forme de Jorge Valdivia. Meilleur joueur de Palmeiras dans la victoire face à Goias (2-0), le génial meneur de jeu chilien s’est montré précieux à la récupération comme dans l’animation, délivrant quelques superbes passes. De bon augure avant le Mondial.
Roberto Firmino, qui aura été exceptionnel du début à la fin de la saison, et l’a ponctuée d’une magnifique volée qui condamne Braunschweig. Cela mérite bien que la mascotte d’Hoffenheim vienne fêter le but avec les joueurs.
On n'a pas aimé
Le coup de coude de Giorgio Chiellini sur Miralem Pjanic. Pas le plus violent du monde, mais un de plus à ajouter au très long palmarès du défenseur turinois, qu’on rêverait de voir arrêter les coups en douce à chaque match ou presque.
Les erreurs défensives assez improbables de Sergio Ramos et Xabi Alonso, qui offrent la victoire au Celta Vigo et éliminent le Real de la course au titre. On ne peut s’empêcher de penser que les Madrilènes se sont sortis seuls de la lutte alors que la dixième Ligue des champions est plus proche que jamais.
L’invasion du terrain par des gens se revendicant du Zenit Saint-Pétersbourg, qu’on évitera d’appeler supporters, ayant entraîné l’arrêt de la rencontre face au Dinamo Moscou. Avec, en point d’orgue, ce coup de poing donné à Vladimir Granat par une personne venue des tribunes. On disait la semaine dernière tout le bien qu’on pensait de cette équipe: la situation a bien changé depuis. Si le titre reste possible grâce à la défaite du Lokomotiv, celle du Zenit sur le terrain (2-4 à la 88e) et en dehors (de lourdes sanctions à prévoir) ne grandit pas le football russe.
L'infographie de la semaine
Les dix-huit clubs européens (des huit plus grands championnats) classés en fonction du nombre de joueurs sortis du centre de formation évoluant en première division. Sans surprise, on retrouve l’Ajax et Barcelone en tête mais aussi quatre clubs français: Lyon, Rennes, Paris et Sochaux. Seule l’Eredivise fait mieux avec cinq représentants (CIES).
Les déclas
“Les joueurs comme Javier ne sont pas seulement des joueurs-symboles ou des icônes qui représentent un club depuis très longtemps, ce sont également des vrais champions qui resteront dans l'histoire de ce sport de par leur comportement et leur professionnalisme et bien sûr pour leur attachement au maillot. Pupi, je t'embrasse fort et merci pour tout ce que tu as fait pour le football. Tu es une légende pour nous tous.” Francesco Totti, sur son site, rend hommage à Javier Zanetti, la mèche immobile la plus célèbre du football mondial.
“David De Gea est très calme. J’en ai parlé à des amis et ils disent de Leo Messi: «C’est comme s’il ne se souciait de rien». Il marque des buts et fait comme si c’était normal. Mais peut-être que c’est une bonne chose. Il y a tellement de pression et peut-être que si vous vous dites que vous devez toujours être excellent, vous vous effondrez quand vous faites une erreur. Peut-être qu’il faut tout aborder tout ça un peu plus normalement. Je pense que c’est une qualité qu’ont les grands joueurs.” Juan Mata, qui est par ailleurs l’un des joueurs les plus positifs du football mondial en terme de communication.
“Il n’y a aucun sentiment comme celui de faire une passe décisive. Quand vous donnez cette dernière passe, vous pensez: «Putain, c’est fantastique !»” Xavi, poète de la passe.
La vidéo de la semaine
On est désormais familier des exploits de Diego Maradona du temps de sa splendeur. Voici une compilation d’autres moments tout aussi magiques, mais composée d’images rares et oubliées.
L'allégorie de la semaine
Semaine agitée au Stade rennais (2 Samuel 12:27, Production Footballallegorie).
L'anecdote
On est au-delà de la tendance. Alors que les entraîneurs espagnols (ainsi que ceux venus de Liga) sont de plus en plus nombreux à occuper des postes à l’étranger, souvent avec succès, les Anglais ne s’exportent pas et sont désormais en nette minorité en Premier League. Au-delà des considérations tactiques – qui méritent d’être analysées en détail –, une raison à cela: devenir coach ne se fait pas à n'importe quel prix. Le coût de la formation pour obtenir une Licence A est ainsi de 530 euros en Allemagne, 1.200? euros? en Espagne et… 5.600 livres en Angleterre, soit près de 7.000? euros?. Forcément, un tel coût dissuade et explique que la base soit moins dense qu’ailleurs. On ne compte que 1.178 titulaires du diplôme outre-Manche, contre 5.500 en Allemagne et 12.720 en Espagne.
Le bonus dépression
Andrei Arshavin, voyant l’absence de commentaires lors des dernières éditions des Cartons, est au fond du trou.
La revue de presse (presque) anglophone
C’est en français et c’est du très bon: récit des deux années de Marcelo Bielsa aux Newell’s Old Boys, avec des passages inédits en France issus de sa biographie.
Le pressing efficace dans un 4-1-4-1 expliqué et illustré.
Que ressent un gardien de but dans un match de football? Réponse avec deux d’entre eux.
Portrait de Béla Guttmann, l’entraîneur qui a ensorcelé Benfica.
Le mauvais sort a en revanche quitté Manuel Pellegrini, enfin débarrassé de son étiquette de loser. Et il n’y est pas pour rien.
Entraîneurs toujours, avec un portrait de Luiz Felipe Scolari, le sélectionneur brésilien, paru dans O Globo.