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Angleterre 1990, résurrection à l'italienne

La Coupe du monde en Italie des Three Lions marque la rédemption du football anglais, au terme d'une épopée aussi rocambolesque qu'inespérée. 

Auteur : Kevin Quigagne le 12 Dec 2022

 

D'emblée, le documentaire de Channel Four Italia 90 : When Football Changed Forever [1] plante le décor. Printemps 1990, le football anglais est un paria en phase terminale.

Il vient d'avaler un cocktail potentiellement létal : vingt-cinq ans de hooliganisme ("the English disease"), des tragédies de stade et du racisme en pagaille, le désamour du public, onze ans de Thatchérisme et sa diabolisation électoraliste du football, des audiences télé pitoyables, l'exclusion des clubs anglais des coupes d'Europe de 1985 à 1990 et les mauvais résultats du onze de la Rose.

 

 

Seul motif de satisfaction : l'insolente santé des clubs anglais dans les joutes européennes jusqu'à la sanction, mais cela est loin de réconcilier le peuple avec le beautiful game.

Baptisée la "greatest World Cup ever" par certains médias anglais et des quadras-quinquas nostalgiques, mais unanimement considérée comme l'un des pires Mondiaux par le reste de la planète, Italia 90 va redonner fierté, espoir et goût du football à la sélection nationale, à ses supporters et à toute une nation. Et plus encore tant ce Mondiale s'avérera charnière.

Des préliminaires douloureux

L'Angleterre n'a guère brillé en qualification. Elle n'a certes ni perdu ni même encaissé de but (3 victoires, 3 nuls) mais elle a fini deuxième derrière la Suède, dans un groupe de quatre plutôt facile, et elle s'est qualifiée grâce à un 0-0 chanceux contre la Pologne.

Elle semble n'avoir rien d'autre à offrir que du sang, de la chique et du mollard, du brut symbolisé par le maillot du bien nommé Terry "Captain Blood" Butcher contre les Suédois en qualif.

 

 

Le pessimisme général prévaut. Bobby Robson, le sélectionneur national en poste depuis España 82, s'est vu signifier par la FA (fédération anglaise), non officiellement, la fin de son mandat. La veille du départ pour l'Italie, il convoque une conférence de presse, houleuse, pour annoncer sa démission.

Les tabloïds, qui réclament sa tête depuis la piètre performance à l'Euro 1988, le soupçonnent d'avoir pré-arrangé son départ au PSV Eindhoven et l'accusent de l'avoir fait à l'envers à tout le monde. Ils l'attaquent sur sa vie privée, et parlent "d'acte de traîtrise" et "d'infidélité" envers la sélection nationale.

Le Daily Star traite les joueurs de "donkeys" (chèvres, dans ce contexte) et conseille à ce "plonker" (imbécile) de Robson d'ouvrir un sanctuaire animalier à cet effet. Un autre tabloïd fait campagne pour envoyer la Pologne en Italie au lieu de l'Angleterre. En représailles, le camp England boycotte les médias.

Un délicat numéro d'équilibriste car, à l'époque, les journalistes anglais séjournaient dans l'hôtel des joueurs ! L'option dolce vita en Italie pour Robson et les siens semble donc compromise... L'ambiance là-bas s'annonce pourrie.

Les 22 sont les suivants : (Gardiens) Shilton, Woods, Seaman [2] - (Défenseurs) Barnes, Butcher, Dorigo, Stevens, Parker, Pearce, Walker, Wright - (Milieux) Gascoigne, Hodge, McMahon, Platt, Robson (capitaine), Steven, Waddle, Webb - (Attaquants) Beardsley, Bull, Lineker.

 

 

Avec quatre joueurs, Glasgow Rangers est le club le mieux représenté (un temps bel et bien révolu...) : Butcher, Stevens, Woods et le futur Marseillais Trevor Steven [3]. Paul Gascoigne, 23 ans et une maturité d'écolier hyperactif, vient de finir troisième de First Division avec Tottenham, où il évolue avec Gary Lineker.

L'histrion est la grande inconnue qui divise l'opinion : Facteur X ou boulet ? Il n'était pas titulaire pendant les qualifs dont il n'a disputé que 42 minutes. Le pari est risqué, mais Robson sait que "Gazza", dont il dit amicalement qu'il peut être "con comme un putain de balai", est un talent hors norme, potentiellement le meilleur milieu offensif depuis Bobby Charlton.

Il a surtout été sélectionné à la faveur de sa lumineuse prestation contre la Tchécoslovaquie, un mois auparavant en amical à Wembley, devant à peine 21.000 spectateurs (deux superbes passes décisives et un but somptueux). Son tempérament instable inquiète Robson.

Un sentiment pas totalement injustifié : quelques jours avant le départ en Italie, un Gazza cuité est arrêté devant un pub de Newcastle, mêlé à une violente bagarre. Les faits sont sérieux et des poursuites sont envisagées.

Attentes en berne

Personne n'attend grand-chose de ces Three Lions. Ils sont dans le groupe F, avec l'Irlande, les Pays-Bas et l'Égypte, tous basés à Palerme. Les Anglais, dont les supporters sont catalogués comme toxiques, ont été exilés à Cagliari, en Sardaigne, à la demande expresse de Margaret Thatcher.

Avant le début de la compétition reine, la Dame de Fer a dépêché sur place son ministre des Sports, Colin Moynihan. Ce fils de lord, étranger au monde du football, est détesté des supporters pour son côté hors-sol et hautain.

Il prévient : "En Sardaigne, nous serons sur la sellette". Une menace terroriste ayant été détectée, qui pourrait impliquer l'IRA ou les Brigades rouges, le GIS (le GIGN italien), ainsi que les forces militaires spéciales et un tiers des CRS du pays se tiennent en alerte.

À cause de la forte présence de supporters anglais et néerlandais, on qualifie cette poule de "groupe de la mort", au sens propre. "On avait mis la sélection anglaise à Cagliari afin d'isoler leurs supporters", explique Antonio Pitea, chef adjoint de la police locale, dans le documentaire de Channel Four.

"Sur le Continent, on aurait eu une 'invasion anglaise' difficilement contrôlable. Ça aurait pu dégénérer et on craignait même des morts. À Cagliari, il semblait plus facile de les contenir." Comme le dira un journaliste par la suite, le Groupe F s'avérera plutôt être celui de "l'ennui mortel".

Les images du Heysel et les violences de l'Euro 1988 en Allemagne (entre hooligans anglais, allemands et néerlandais) sont encore dans toutes les têtes. Dès le début juin, des milliers d'Anglais débarquent à Cagliari. Sept mille carabinieri (police militarisée) sont envoyés en Sardaigne pour les surveiller. Les médias italiens évoquent une possible "guerre dans la ville".

Pitea se rappelle : "Beaucoup d'Anglais avaient le crâne rasé, c'est comme s'ils portaient une pancarte disant 'Je suis un hooligan'. [...] Ils étaient tous obèses, ça nous a frappés de voir autant de gros ventres. C'était impressionnant. On constatera ensuite qu'ils étaient durs au mal."

Beaucoup de ces hooligans ont cependant une apparence ordinaire. C'est l'ère des "casuals", à la coiffure et au style vestimentaire soignés et passe-partout pour ne pas éveiller l'attention de la police et amadouer plus facilement les tribunaux, le cas échéant.

Les supps se baladent dans la ville torse nu et bière à la main, en chantant et agitant l'Union Jack. La population prend peur et la police prévient : ce sera tolérance zéro. Le chef des carabinieri promet d'envoyer les fauteurs de troubles directement dans la prison locale, occupée par sept cents durs. De quoi faire réfléchir, se disent les autorités.

Pour donner l'exemple, plusieurs dizaines d'agités sont retournés à l'envoyeur en Perfidie. Dont Paul Scarrott (ci-dessous), hool notoire du FEC (Forest Executive Crew, la principale firmde Nottingham Forest), qui sera l'un des premiers "hooligans stars", ceux qui monnaieront plus ou moins bien leur grandissante notoriété. Scarrott effectuera treize séjours en prison pour violences liées au football avant sa mort en 1996, à 40 ans [4].

 

 

Le Mondial de la dernière chance

L'UEFA a averti la FA qu'elle ne raccrochera le wagon anglais au train Europe qu'à une condition : que leurs supporters se tiennent à carreau en Italie. Ce Mondial est donc l'épreuve décisive, ça passe ou ça casse.

Margaret Thatcher, qui instrumentalisa tant ce football qu'elle détestait, ne veut pas de l'Angleterre au Mondial, susceptible de ternir encore davantage l'image du pays à l'étranger. Elle a chargé Moynihan de faire pression sur la FA pour retirer la sélection de la compétition. En vain.

Le "Football Banning Order" (FBO), l'interdiction de stade, vient d'entrer dans l'arsenal juridique britannique (via le "Football Spectators Act" de 1989), et un fichage existe mais la loi n'inclut pas encore l'interdiction de se déplacer à l'étranger, avec remise du passeport à la police (il faudrait pour cela attendre 2000 et le "Football (Disorder) Act", adopté en urgence après la vague de violence à l'Euro 2000, principalement à Charleroi entre Anglais et Allemands).

Les plus grosses firms du pays se sont déplacées en force en Sardaigne. La FA a tenté de décourager les hooligans de voyager en instaurant un système d'adhésion ("FA membership"), mais le stratagème a échoué. Des centaines d'entre eux ont fait le déplacement sans billet, pour le "fun", en sachant qu'ils peuvent compter sur un florissant marché noir.

La police britannique a également étendu la pratique des infiltrations de firms par des policiers (nom de code : Opération Pegasus). Cette botte secrète, efficace, est née au lendemain des graves incidents domestiques de 1985 (voir un échantillon ici).

Garry Rodgers et James Bannon, deux flics undercover présents en Sardaigne, témoignent : "Une task force anglo-italienne avait été créée pour l'occasion, dans le cadre de l'Opération Atlas. On avait une légende, la boule à zéro et des faux tatouages, histoire de mieux se fondre dans la masse. Notre mission était double : renseigner la police italienne et collecter des preuves légalement utilisables."

Les Britanniques proposent même aux Italiens des "Hoolivans", un "soum" hi-tech adapté à la lutte contre le hooliganisme, mais les Sardes déclinent l'offre.

Premier match de poule : Angleterre-Irlande

L'affiche inquiète les autorités. Autant que les Anglais, "humiliés" 1-0 par les protégés de Jack Charlton à l'Euro 1988, l'un des héros anglais de la Coupe du monde 1966 auquel la FA ne daigna pas répondre quand le Geordie (natif de la région de Newcastle) les contacta pour entraîner les Trois Lions en 1977.

C'est le premier mondial des Irlandais. Les rivalités historiques sont féroces et on baigne en plein conflit nord-irlandais. La veille du match, malgré le décret de fermeture des bars avant 17 heures, des incidents éclatent en ville autour d'établissements ayant bravé l'interdiction.

Des hools anglais agressent des Irlandais dans un pub au chant de "No surrender to the IRA". Une vingtaine d'Anglais sont arrêtés et conduits illico à la prison locale, comme promis. Thatcher renvoie Moynihan en Sardaigne, où il s'empresse de mettre tous les supporters anglais dans le même sac : "Certains les appellent des 'animaux'. Pour moi, ce terme est presque trop gentil. Je ne connais pas d'animaux qui se comportent ainsi".

L'amalgame exaspère les supporters et envenime la situation. Le bruit court que Thatcher et son gouvernement souhaitent ardemment l'élimination de l'Angleterre.

 

Angleterre-Irlande, Cagliari (Stadio Comunale Sant'Elia), 11 juin.

Les premières actions donnent le ton, viril. À la 9e minute, Waddle centre pour Lineker, qui marque. Un but de classieux poacher (renard des surfaces), brillamment linekerien. Son 37e pion international, en 52 capes.

Comme anticipé, les débats sont âpres, aériens et tactiquement basiques. On s'ennuie un peu, alors dans les tribunes les supps anglais chantent : "On ne payera pas ta Poll Tax, Thatcher !" L'Evertonien Sheedy égalise à la 73e. La confrontation accouche d'un médiocre 1-1 qui fleure bon le déni de football.

Les tabloïds se déchaînent et parlent de "football préhistorique" et "d'insulte au football". "Bring them home !" titre le Sun (Renvoyez-les à la maison). La Gazzetta dello Sport y va d'un "No Football Please, We're British" qui parodie le célèbre vaudeville.

Prochain adversaire : les Pays-Bas, champions d'Europe en titre, et ses vedettes Rijkaard, R. Koeman, Gullit, Van Basten. L'arrivée imminente de hooligans bataves en Sardaigne met les Italiens en PLS.

Il est où Gazza ?

Beaucoup d'Anglais sont là depuis une dizaine de jours. Malgré les menaces d'amende pour vagabondage, des centaines d'entre eux dorment à la belle étoile, un peu n'importe où (bancs, parcs, plages...). Les tensions montent et la Sardaigne est rebaptisée "l'île aux hooligans" par certains quotidiens, qui écrivent craindre "une orgie de violence".

À l'Euro 1988 en Allemagne, avant et après la défaite contre les Pays-Bas, le 15 juin (3-1, triplé de Van Basten), Francfort, Stuttgart et surtout Düsseldorf avaient été mis à feu et à sang pendant une semaine par des hools anglais portant des t-shirts "Invasion of Germany, 1988", des skinheads néonazis allemands et la fine fleur du supportariat hollandais.

Environ quatre cents Anglais furent arrêtés. Tout le monde, à commencer par Thatcher et les condés locaux, poussa un énorme soupir de soulagement quand les Anglais furent piteusement sortis dès les poules (zéro point).

Incités par la police, beaucoup se sont exilés dans des campings éloignés de Cagliari. Roberto Taccori, propriétaire d'un campeggio champêtre, raconte : "Quand nos clients réguliers, ceux qui avaient leur caravane chez nous, ont su que 700 hooligans anglais allaient débarquer, ils ont annulé leur réservation. Mais il y avait tellement de police partout et en permanence, dans et à l'extérieur du camping, que tout s'est bien passé".

Les joueurs anglais sont basés tout près, dans le complexe hôtelier d'Is Molas Golf Hotel, où Gazza fait le show non-stop. Il fourre des bestioles dans le lit des joueurs, se jette dans la piscine enveloppé de papier toilette façon momie ou se balade dans l'hôtel déguisé en clown.

Bobby Robson demande sans cesse nerveusement "Il est où Gazza ?", une question qui deviendra le refrain de l'été dans le camp England.

Sea, Sex and Sun (et guérisseuse spirituelle)

L'humeur potache est brutalement interrompue par les tabloïds, dont les torchonneux logent dans l'hôtel. Le 14 juin, le Daily Mirror publie du juicy. Trois joueurs (non nommés) auraient passé une soirée arrosée avec une hôtesse d'accueil, suivie de prolongations. Une certaine Isabella Ciaravolo, embauchée par l'organisation locale du Mondial.

La belle est bannie du complexe hôtelier malgré ses dénégations stylées ("Moi, coucher avec eux ? Vous rigolez, ils sont tous moches !"), et celles des joueurs impliqués. Bobby Robson déclare que les tabloïds ne cherchent qu'à "saboter" les efforts anglais et "torpiller" son équipe.

Dans une intervention télévisée, Gazza qui, étonnamment, serait dans le coup, nie toute affaire sordide et dézingue la presse caniveau [5].

La veille, Bryan Robson a fait venir en urgence de Londres, et en loucedé, la faith healer Olga Stringfellow (guérisseuse divine/par la foi), pour soigner un problème récurrent au talon d'Achille (il utilisera fréquemment Stringfellow. Glenn Hoddle, en tant que sélectionneur, adoptera fameusement la même approche lors de France 98, à la stupéfaction des joueurs).

Le Sun l'apprend et publie l'embarrassant scoop. Puis enfonce le clou en sérialisant l'histoire. Avec une conclusion feu d'artifice : Gazza a organisé une petite sauterie dans la chambre de Bryan Robson, un bidet a été cassé, qui est tombé sur le pied du pauvre Red Devil, achevant ainsi net tout espoir de guérison... (Robson donne une autre version, similaire, dans son autobiographie Robbo : My Autobiography, résumée ici).

Un sketch digne de Benny Hill, mais qui ne fait nullement rire Bobby Robson. Le sélectionneur devra sortir son homonyme pendant le match contre la Hollande le surlendemain. On ne le reverra plus du tournoi. McMahon d'abord, puis Platt ensuite, le remplaceront. Tout comme Gascoigne, "Platty" se révéla internationalement lors de ce Mondial et devint un titulaire indiscutable.

La polémique enfle, à la veille d'un match crucial, contre un adversaire de taille. Ce sera la dernière compétition internationale où sélection et médias anglais partageront un hôtel...

Côté autorités, on redoute le pire. Une trentaine de charters arrive d'Angleterre et des Pays-Bas. Les leaders des firms les plus notoires des deux pays parlent de faire affronter leurs troupes dans des fights arrangés.

Des matches dans le match se dessinent. Les firms de West Ham et Millwall veulent en découdre et ainsi continuer leur bestiale rivalité sur le sol italien. Des tracts "Kill the Dutch" circulent.

De la possibilité d'une île

La veille du match, 8.000 Hollandais et 2.500 Anglais supplémentaires débarquent. Pour les tenir à distance, 4.000 policiers sont déployés. Une nouvelle interdiction de vente d'alcool, de 24 heures, est décrétée sur Cagliari et alentours.

Garry Rodgers, l'un des flics undercover, donne une info précieuse au PC de contrôle des carabinieri : avant le match, des supporters anglais ont prévu de partir de la gare et marcher jusqu'au stade, à trois kilomètres de là. Ils entendent protester contre le traitement de choc dont ils s'estiment victimes.

À 18 heures, environ 1.500 supporters s'élancent. L'atmosphère est électrique et la marche dégénère. Des voitures et commerces sont vandalisés et des projectiles jetés sur la police, qui réplique par des tirs de gaz lacrymo. Après une série de clashes, la police reprend le contrôle, en frappant dans le tas, innocents ou pas.

Les Italiens n'ont pas fait de quartier et Antonio Pitea le reconnaîtra en creux, "Notre priorité en amont était d'assurer une sécurité maximale dans le stade. Nous ne voulions pas d'un autre Heysel."

Robson a opté pour un dispositif "continental" avec un libéro (Wright sera ce sweeper), qui évoluera en 3-5-2, avec deux wing-backs (latéraux offensifs), Parker à droite et Pearce à gauche.

Un système moins frileux et prévisible que le traditionnel 4-4-2 anglais peut surprendre l'adversaire, raisonne Bobby et Chris Waddle, qui l'aurait fortement orienté vers ce schéma (selon certains joueurs, une version que Robson réfutera toujours). Une innovation cependant à peine testée à l'entraînement.

 

Angleterre-Pays-Bas, Cagliari (Stadio Comunale Sant'Elia), 16 juin.

D'entrée, les Anglais prennent les clés du camion et ne les lâchent plus. Les Hollandais, minés par les conflits internes, sont bousculés et inefficaces. Le pari du changement tactique de dernière minute est gagnant.

Le joueur supplémentaire derrière, en phase défensive permet une approche conquérante en phase attaque, grâce aux pistons, ce qui libère et galvanise l'entrejeu créatif composé de Gascoigne, Waddle et Robson (qui alimentent Barnes et Lineker devant).

Gazza se permet même un râteau à la Cruyff sur deux défenseurs ! (un geste immortalisé par le jeu Subbuteo). Tout ça en trollant. Dans son impénétrable accent de Newcastle, il balance à Gullit : "Eh mec, tu gagnes combien à Milan déjà ?"

 

 

Pas impossible que l'orgueilleux Gullit, exécrable éphémère manager des Magpies presque vingt ans plus tard, s'en soit souvenu et ait décidé de se venger sur le peuple Toon... Lineker se voit refuser un but pour une main involontaire et Pearce marque un coup franc direct en fin de match, également refusé (il était censé être indirect). 0-0, les Oranje s'en sortent bien.

Seule ombre au tableau : l'Angleterre a perdu son capitaine et leader, Bryan Robson, sorti sur blessure (au pied, donc...) à la 65e minute. C'est le deuxième Mondial consécutif où "Robbo" doit jeter l'éponge et, à 33 ans, c'était sa dernière chance.

Ce nul booste les Anglais et fait monter la "world cup fever" au pays. Il résonne comme une victoire pour Bobby. "C'est la meilleure performance de mes huit ans et 80 matches à la tête de la sélection nationale", lâche-t-il, revanchard. Les médias anglais, après avoir pourri les joueurs et Robson pendant deux ans, les soutiennent désormais avec ferveur.

Les embrouilles d'hier sont oubliées. Gazza, qui vient de gagner ses galons d'international, continue de plus belle ses pitreries et lance des chants paillards ("Where is Gazza ? Who shagged the hostess ? Lalalalala" - Il est où Gazza ? Qui a baisé l'hôtesse ?). La vie est belle et la Sardaigne sublime. Tout devient possible.

Mais l'ambiance Club Med est éphémère. Ce bon résultat et cette confiance retrouvée sont ternis le lendemain par les titres des journaux italiens ("Battaglia con gli hooligans", "Guerriglia a Cagliari") et internationaux ("The Battle of Sardinia").

La réputation de l'Angleterre se détériore, et les rumeurs de prolongation de l'exclusion des coupes d'Europe refont surface. Moynihan saute dans le premier avion pour la Sardaigne pour, de nouveau, préconiser un serrage de vis XL.

Arriverderci Sardegna

Après deux matches, les quatre équipes du groupe F sont figées dans une parfaite égalité : deux points et zéro de différence de buts. La pression monte et l'ambiance se tend.

Quatre jours avant ce match décisif contre l'Égypte, les carabinieri font une descente sur les plages et campings du littoral. Ils intimident, sortent les fusils d'assaut et secouent quelques fans. Un couvre-feu est instauré. Cette démonstration de force est payante : personne ne bronchera jusqu'au match.

 

Angleterre-Égypte, Cagliari (Stadio Comunale Sant'Elia), 21 juin.

L'approche musclée des Égyptiens, qui bétonnent et mangent le chrono, gêne considérablement les Anglais. Ces derniers, repositionnés dans leur 4-4-2 traditionnel, sont dans un jour sans.

À la 59e minute, Gazza adresse un coup franc qui trouve la tête du défenseur central Wright, 1-0. Ce sera le seul but international de "Wrighty" (en 45 capes et douze ans de sélection), qui a fêté son grand retour en équipe nationale lors du match précédent.

À la surprise générale, l'Angleterre termine première du groupe. Les tabloïds continuent toutefois à critiquer les Trois Lions, tout en faisant monter la sauce patriotique. "La négativité fait vendre", commente John Barnes dans le documentaire. Le huitième de finale les opposera à la Belgique, à Bologne.

Six mille Anglais débarquent dans la capitale d'Emilie Romagne, marqués à la culotte par 4.500 forces de l'ordre. Une interdiction d'alcool s'appliquant, direction la station balnéaire de Rimini, à 120 km de là.

Le 25 juin au soir, alors que les Italiens fêtent la victoire des Azzurri sur l'Uruguay, des Ultras du cru provoquent des Anglais devant le Rose & Crown Pub, sur le front de mer. La police fonce dans le tas, sans faire de détail. Les heurts sont très violents. La presse titrera sur "La Bataille de Rimini", manchette évocatrice de la seconde guerre mondiale.

Huitième de finale et charter

246 Anglais sont arrêtés, parmi lesquels (visiblement) des supporters lambda. En atterrissant à Gatwick, plusieurs d'entre eux déclarent à News at Ten avoir été "kidnappés" dans un bar et un camping, mis en cellule puis dans un charter (voir ici).

Pour la quatrième fois en trois semaines, Moynihan rapplique. Il soutient sans réserve les Italiens et réclame une fermeté exemplaire. Un Airbus A-300 se tient prêt sur le tarmac et le contingent est expulsé vers l'Angleterre.

246 : c'est exactement le nombre de sièges passagers que compte l'A-300. Une controverse naît : le charter aurait été affrété à l'avance et financé par le gouvernement anglais.

 

Huitième de finale : Angleterre-Belgique, Bologne (Stadio Renato Dall'Ara), 26 juin.

 

 

La Belgique, demi-finaliste du dernier mondial, est surnommée "le Brésil de l'Europe". Elle compte dans ses rangs le latéral Gerets, le milieu offensif Ceulemans, l'ailier-milieu Van der Elst ou le fuoriclasse Enzo Scifo. Côté anglais, on est repassé à un système avec libéro.

Dans un premier acte disputé tambour battant, Gazza est impérial, tout comme Scifo, qui contrôle l'entrejeu. Une mine de 25 mètres de l'Auxerrois s'écrase sur un poteau. Ceulemans l'imite. À la 40e minute, un but de Barnes est refusé pour un hors-jeu inexistant (le "juge de ligne" japonais, Shizuo Takada, est aux fraises sur ce coup-là).

Le match, indécis mais légèrement dominé par les Diables Rouges, va aux prolongations. Durant lesquelles il ne se passe pas grand-chose, la forte chaleur ayant lessivé les joueurs.

À la 119e, Gascoigne obtient un coup franc après une superbe chevauchée de cinquante mètres. Gazza distille un ballon flottant dans la surface, Platt pivote et reprend magistralement de volée. C'est son premier but international, lui qui évoluait encore en D4 deux ans avant.

 

 

Au bord du terrain, Waddle, Butcher et Bobby Robson esquissent un pas de danse à faire peur aux enfants. Dans la douleur, l'Angleterre vient de composter son billet pour les quarts.

Le Cameroun en quart

Naples, fin juin. Les supporters déferlent. Serrés de près par 5.000 carabinieri, personne ne moufte. Le Cameroun, la première sélection africaine à atteindre les quarts dans la compétition reine, est la surprise de ce mondial terne, malgré leur jeu dur, thème récurrent de ce cynique Italia 90.

Un adversaire coriace mais à la portée des Anglais, pense-t-on, d'autant plus que quatre Lions Indomptables sont suspendus. Ils ont toutefois créé l'exploit en battant l'Argentine 1-0 en match d'ouverture, en finissant le match à neuf.

"On a su museler Maradona", expliquera Roger Milla, tiré de sa semi-retraite sportive réunionnaise... par le président Paul Biya, qui imposa Milla au sélectionneur soviétique, Valery Nepomnyashchy, qui ne voulait pas de Milla (voir ici). Le football du continent, qui ne compte que deux représentants, gagne enfin le respect qu'il mérite.

La présentation des Camerounais aux infos anglaises fait dans le cliché. "Dès l'enfance au Cameroun, les jeunes perfectionnent leur technique pieds nus dans la jungle", commente le reporter. Suivent des images d'un "witch doctor" (sorcier) nommé Papa Bamenda, qui lit dans des os d'animaux une victoire 2-1 du Cameroun.

Quart de finale : Angleterre-Cameroun, Naples (Stadio San Paolo), 1er juillet.

D'entrée, les Camerounais se montrent dangereux, et Shilton inspiré. À la 14e minute, le Lavallois Omam-Biyik allume Shilton à bout portant mais "Shilts" sort le grand jeu. À la 25e, et contre le cours du jeu, Pearce déboule sur le flanc gauche et centre parfaitement pour la tête de Platt, 1-0.

En seconde période, les Camerounais, qui ont enregistré la rentrée de Milla, se créent les meilleures occasions, tout en jouant avec le feu (un penalty aurait pu être sifflé sur une intervention litigieuse du gardien N'Kono sur Platt).

À la 61e, Gazza, appelé en renfort en défense, fauche Milla dans la surface. Kundé transforme le penalty, 1-1. À la 65e, Milla sert soyeusement le Valenciennois Ekéké qui plante, 2-1. Peu après, Milla et Omam-Biyik combinent et le futur Rennais est à deux doigts de tromper Shilton d'une talonnade. Les Anglais sont sonnés.

 

 

Mais la dureté du jeu camerounais va leur être fatal. À la 83e, Lineker est descendu à l'entrée de la surface par le Cristolien Massing et se fait justice lui-même, 2-2. Omam-Biyik teste Shilton. Prolongations.

Omam-Biyik, très en verve, sollicite de nouveau Shilton. À la 104e, Gascoigne ressort superbement le ballon et sert en profondeur Lineker qui se fait doublement découper par N'Kono et Massing. Le Soulier d'or de Mexico 86 convertit le penalty, 3-2.

Les Anglais, malmenés de bout en bout, s'en tirent bien. Une nouvelle fois, la virtuosité de Gazza a sauvé des Trois Lions dépassés. Robson philosophera fameusement : "Nous n'avons pas sous-estimé les Camerounais. Ils étaient juste bien meilleurs qu'on ne le pensait."

Consultant pour une chaîne britannique, Ron Atkinson a qualifié pendant le match un Camerounais de "absolutely brainless" (écervelé fini). En off, son co-commentateur lui demande s'il n'a pas peur d'avoir des ennuis pour cette remarque. "Big Ron" lui rétorque : "Bah, j'aurais juste des problèmes si sa mère regarde le match au pays depuis son arbre". En 2004, Atkinson sera définitivement mis hors d'état de nuire après des propos racistes sur Marcel Desailly.

Des incidents sont relevés après le match dans une douzaine de villes anglaises. Mais le mood a radicalement changé, il est à l'euphorie. Face à l'emballement médiatique, Robson doit calmer le jeu et rappeler que la RFA part favorite : 13 buts inscrits (contre 6 pour l'Angleterre) et les demies atteintes sans disputer de prolongation.

La presse encense le talismanique Gazza, qui a grandement contribué à faire passer l'Angleterre de ventre-mouiste à potentiel champion du monde.

Barricades au camping

À Turin, l'accueil est hostile. Le souvenir frais des 32 supporters Bianconeri tués au Heysel flotte dans l'air vicié. La maire de Turin, Maria Magnani Noya, appelle au calme devant les rumeurs de vengeance, tout en ajoutant ne rien pouvoir rien garantir.

Une énième interdiction de vente d'alcool est décrétée, de 51 heures avant le coup d'envoi celle-là. Des supporters anglais interviewés affirment qu'on ne leur a attribué que 500 billets contre 10.000 aux Allemands.

Le 3 juillet, au soir de la défaite des Azzurri face aux Argentins, des hordes d'ultras envahissent le centre-ville pour casser de l'Anglais, de préférence du Liverpudlien. Les bars sont fermés et ils font chou blanc.

Des groupes d'ultras attaquent alors un camping de banlieue bourré d'Anglais. Des barricades érigées sont incendiées. La police intervient à temps et évite le pire. Plusieurs centaines d'Italiens seront arrêtés cette nuit-là.

 

Demi-finale : Angleterre-RFA, Turin (Stadio Delle Alpi), 4 juillet.

Ce sont les Anglais qui répondent présent. On assiste à un pilonnage en règle du but teuton. Corners, tirs, têtes, demi-volées - tout y passe. Y compris un petit pont de Gazza sur Matthäus. Ce même Gazza teste Illgner de 25 mètres et remet ça sur l'action suivante.

Puis, c'est au tour de Waddle de se signaler. De 40 mètres, il allume un pétard qu'Illgner dévie difficilement sur la barre. La vision des Allemands, empruntés et asphyxiés, contraste avec celle du jeu anglais fluide et inspiré.

En deuxième mi-temps, les Allemands se réveillent et reviennent dans le match, sans toutefois prendre l'ascendant. À la 59e minute, Brehme ouvre le score d'un coup franc dévié qui lobe le malheureux Shilton.

Les Anglais sont maudits. Un penalty flagrant est refusé peu après à Waddle. À la 80ecependant, Parker expédie un long ballon dans la surface vers Lineker, qui égalise, d'un but à la Gerd Müller. 1-1, prolongations.

À la 98e, Gazza, de nouveau le meilleur Anglais, prend un jaune pour un tacle rugueux sur Berthold. C'est son deuxième en Italie et il comprend instantanément qu'il ratera la finale si ça passe. Il craque. Deux images, parmi les plus iconiques de l'histoire du football anglais, se superposent dans un moment magique ou la caméra croise fortuitement les regards.

Les larmes de Gazza, et le signal d'un grimaçant Gary Lineker vers Robson lui demandant de surveiller Gazza, en danger d'implosion en vol et d'expulsion. Robson gueule : "Parle-lui Gary, qu'il fasse pas une connerie." [6]

 

 

Les Anglais se reprennent. À la 105e, Waddle fracasse un poteau. Dans la foulée, Platt plante une tête mais le but est refusé pour un mini-hors-jeu de Gazza. À la 117e, Buchwald fiche un puissant brossé sur un montant.

Il était écrit, dans ce scénario équilibré (aux Anglais le temps réglementaire, aux Allemands l'extra time), que l'affaire se réglerait aux tirs au but. On en est à 3-3 quand Pearce s'avance. Et tire au milieu, dans les jambes d'Illgner. Thon inscrit le quatrième pour la Mannschaft.

Tout repose désormais sur Waddle. Ses quelques foulées du rond central paraissent interminables. Les 28 millions de téléspectateurs anglais retiennent leur souffle. Le Marseillais prend son élan...

 

 

Une semaine plus tard, Waddle apprendra que son ballon frappé comme une mule est dans le Derbyshire, ayant été récupéré par un Anglais, John Stone, présent au Stadio Delle Alpi ce soir-là avec son fils Nick, 7 ans (voir ici). Ce qui vaudra ce trait d'humour très british du Geordie : "Je savais que j'avais tapé fort mais de là à m'imaginer que le ballon avait atterri dans le Derbyshire !"

Le match terminé, de graves incidents causés par des hooligans anglais éclatent simultanément à Turin, Londres et Brighton, et ailleurs sur le littoral sud, ainsi que dans le nord du pays. Même la France n'est pas épargnée. Des violences qui entraîneront un mort, des dizaines de blessés et l'arrestation de 500 personnes.

L'Italie battra les Anglais 2-1 dans la petite finale. Ces derniers se consoleront avec le Trophée du Fair-Play. Gazza sera (le seul anglais) inclus dans le XI FIFA du tournoi.

 

 

Retour triomphal

Environ 250.000 personnes ovationnent les héros à l'aéroport de Luton et dans les rues de la ville. Une folie douce s'empare de l'Angleterre. Ce tournoi a consacré l'immense talent de Gascoigne et a fait de lui un héros national, un phénomène. La "Gazzamania" peut débuter. Cinq mois plus tard, il sera élu "personnalité sportive de l'année" par le public de la BBC.

 

 

Dans une volte-face dont les politiciens ont le secret, c'est une Thatcher radieuse qui accueille les Trois Lions au 10 Downing Street. Elle est dans le dur et jette là ses dernières forces dans la bataille (des luttes intestines à droite et la Poll Tax précipiteront bientôt sa chute).

Son court laïus de félicitations (retranscrit ici) est révélateur de ses réflexes populistes à vouloir sans cesse draguer l'électorat nationaliste [7].

 

 

Le 10 juillet, eu égard au bon comportement de la majorité de ses supporters, l'UEFA annonce la réintégration immédiate des clubs anglais en Europe (Liverpool devra attendre 1991). Le big bang de la Premier League, dont l'essor sera boosté par le triomphe de l'équipe nationale, est imminent.

La renaissance du football anglais est en marche, malgré la persistance du hooliganisme, surtout lors des compétitions internationales. Italia 90 symbolise une nouvelle aube, une fierté retrouvée.

Les joueurs ont fait évoluer les mentalités, conquis le public et leurs détracteurs. Une autre conquête, inattendue, se dessine : celle de la (re)connexion de la musique avec le football anglais.

Réhabilitation musicale

Le premier morceau de zique footballistique sortit en 1961 (le jazzy Tip Top Tottenham Hotspur, pour le doublé des Spurs  un flop) mais ce créneau était depuis peu porteur car taxé de ringardise. Surtout, entre-temps, le football était devenu repoussoir. L'industrie musicale des Eighties refusa la compromission.

L'hymne anglais d'Italia 90, le World in Motion de New Order (les post-punks de Joy Division) qui cartonna, faillit bien ne pas voir le jour. La raison : ni New Order ni personne ne voulait être associé au football, à ses relents patriotiques, à sa violence et sa "beaufitude". Et tous les hymnes précédents étaient moisis et avaient floppé (sauf Back Home, celui de Mexico 1970).

New Order se laissera finalement persuader par le mythique boss de Factory Records, Tony Wilson, qui flaira le bon coup... à condition de créer un morceau "positif" en phase avec l'air électro-new wave du temps, d'inspiration mancunienne. Et plus si affinités.

Le message central doit véhiculer amour et eau fraîche, et prendre ses distances avec le football, ce qui fut le cas ("Love's got the world in motion [...] We ain't no hooligans, This ain't a football song"). Bingo. Le morceau squatte le sommet des charts... en compagnie de Nessun Dorma, interprété par Luciano Pavarotti.

À l'étonnement général, les fans s'approprient l'aria de l'acte final de l'opéra Turandot, choisie par la BBC comme thème d'Italia 90. Les "Trois Ténors" ont soudain tendance et ils multiplieront les concerts outre-Manche. Celui de Hyde Park en juillet 1991, sera le plus gros en plein air depuis les Rolling Stones en 1969, malgré la pluie battante.

Lissé et "défootballisé", World in Motion devient aussi un improbable hymne gay. Le feu vert est donné. La scène "Madchester" (The Stone Roses, Happy Mondays, The Charlatans, James, Oasis...) peut désormais s'afficher sans crainte avec l'ex-pestiféré.

Ces passerelles vers un médium aussi puissant et consensuel que la musique vont progressivement débarrasser le foot anglais de ses oripeaux sinistres et tribaux. En s'échappant de son ghetto pour quérir la lumière, le football anglais a dynamité ses horizons.

Le succès planétaire du roman Fever Pitch de Nick Hornby (1992, Carton jaune en français), puis de son adaptation au cinéma, participeront au processus de normalisation. À mesure qu'il redevient fréquentable, et désirable, le football 3.0 séduit la middle class qui s'éprend de ce sympatoche hobby qui attire dans ses filets familles, public féminin et peuple Footix.

La sortie des ténèbres enfantera une certaine nostalgie (ah, l'ambiance des terraces - populaires - et ces abonnements à 60 livres dans le Kop d'Anfield...), mais l'adoubement est total et la métamophorse définitive.

Exit le mal-aimé, place au prêt-à-consommer, au mainstreamisé. Un football soudain prisé des célébrités et courtisé par les politiciens. Tony Blair, auréolé du halo "Cool Britannia", surfera sur cette vague, gonflée par l'Euro 1996 et son aura musicale à la gloire de l'enfant terrible redevenu suffisamment respectable pour rentrer au bercail.

Italia 90 aura vraiment tout révolutionné. Pour le meilleur et pour le pire.

 

[1] Visionnable sur le site de Channel 4 ou sur DailyMotion. À signaler également : le DVD documentaire One Night in Turin sur toute l'épopée Italia 90 (sur Youtube). Ce docu regorge d'archives inédites et de surprises. On y voit notamment un jeune Chris Waddle bossant dans son usine à saucisses avant d'intégrer Newcastle United !.

[2] À la veille du deuxième match, Seaman se blessa au pouce à l'entraînement et David Beasant, le légendaire portier de Wimbledon, ère Crazy Gang, le remplaça. Mais Shilton, malgré ses 40 piges, ne laissera pas une miette aux remplaçants.

[3] Milieu sur lequel Bernard Tapie, en pleine tempête financière, déclara qu'il "pourrait facilement en tirer 80-100 millions de francs". Il le (re)vendra aux Rangers 25 millions, après avoir déboursé plus du double un an avant.

[4] Dans leur encyclopédie du hooliganisme britannique (The A-Z of Britain's Football Hooligan Gangs, 2005), Nick Lowles et (l'ex- hooligan) Andy Nicholls consacrent un passage à Paul Scarrott. "Il envoyait souvent des cartes postales à la police britannique pour les narguer, leur montrer combien il lui était facile de sortir du pays assister aux matches internationaux. Il prétendait que l'un de ses nombreux passeports était au nom de 'Al Capone'."

[5] Il ressortira plus tard que si trois joueurs avaient bien partagé un verre avec la Signorina Ciaravolo, le reste a vraisemblablement été plus ou moins inventé par le Daily Mirror et le Sun, qui se livraient une lutte acharnée. De l'infox pour faire vendre, évidemment, mais aussi pour nuire à Bobby Robson.

[6] Dans The Anatomy of England - A History in Ten Matches (2010), Jonathan Wilson revient sur cette séquence iconique. "Symboliquement au moins, c'est le moment où le football anglais a changé à jamais". Les larmes de Gazza "ont rendu le football anglais plus humain. On pouvait de nouveau l'aimer", dira Pete Davies, auteur de All Played Out : The Full Story of Italia '90 (1998).

[7] Le passage sur l'exemplaire fair-play des joueurs anglais qui sont "les premiers à tendre la main de l'amitié à l'adversaire pour le relever quand un choc les met à terre" et qui ne simulent jamais, repose sur la croyance que simulation et rouerie étaient l'apanage des étrangers. 

 

Réactions

  • Mangeur Vasqué le 14/12/2022 à 19h36
    @ Jankul.

    Tu as bien de la chance, très chouette ville Bristol, gros changements depuis que tu y vivais (mais c'était bien aussi dans les Eighties). Par exemple grosses améliorations dans les quartiers des quais, autour des docks et de la Marina (Harbour Inlet Marina et Harbourside, bord du Feeder Canal, en parallèle à l'Avon dans le centre-ville), tout ça était en friche en 1990, c'est génial aujourd'hui.

    Je visitais relativement souvent à la fin des années 1980 et début des Nineties, j’y avais un bon pote et j’allais aussi pas mal dans le Somerset voisin (Bridgwater et Taunton surtout), le fief de notre ami Jacob Rees-Mogg. Ils ont d’ailleurs une sacrée brochette de députés dans le Somerset (5 au total, tous conservateurs évidemment, largement élus). Hormis Rees-Mogg, Marcus Fysh et James Heappey sont sacrément dérangés, du lourd. Y'en avait un autre aussi avant 2019, dont le nom m'échappe, il ne s'est pas représenté il me semble.

    Heappey lien en particulier. Simple jeune député inconnu y’a quelques années, il est ministre des armées aujourd’hui. Brexit l'a fait, comme beaucoup de politiciens conservateurs. Il a fait ce que tous les Conservateurs mouture 3.0 (après David Cameron, 2010-2016) font pour accéder au gouvernement : chier sur l’Europe, être à fond anti-UE et anti-immigration (sur le papier, car en fait l'immigration les Tories savent parfaitement qu'ils ne peuvent absolument pas se passer de l'immigration, aussi bien pour les universités que pour le reste - 277 000 visas étudiants délivrés sur la dernière année de référence, juin 2021-juin 2022, ils rapportent tellement, style 40 milliards rien qu'en frais d'inscription, très élevés ici, 20-70 000 £/an par an pour les frais d'inscription pour ces étrangers. En majorité chinois et indiens/sous-continent).

    Promotion immédiate poru Heappey. Pas que sur l’Europe et les étrangers d’ailleurs, aussi sur l’Écosse, ça rapporte aussi des “Brownie points” en Angleterre (dans les zones rurales, toutes Tories, quasiment sans exception. Labour par exemple dans sa circo a fait 7 % aux dernières élections de 2019. Lui a fait 54 % et LibDems, centre-droit pro-UE, 37 %).

    Heappey, en 2017 (il sera non seulement superbement réélu après avoir insulté cette Écossaise mais promu secrétaire d'état puis ministre) :

    lien
    Tory MP James Heappy 'told schoolgirl to "fuck off back to Scotland" when she said she'd vote for independence'

  • Richard N le 14/12/2022 à 19h48
    Cette Coupe du monde 1990 n'a pas laissé de grands souvenirs au niveau du jeu, mais beaucoup d'histoires passionnantes. L'épopée anglaise, bien entendu, que l'on redécouvre ici avec plaisir (Merci Kevin !), mais aussi l'aventure rocambolesque du Cameroun, le football-guerilla de l'Argentine, le fabuleux destin de Kaiser Franz, la dernière apparition d'équipes portant les noms de RFA, de Tchécoslovaquie, d'URSS, de Yougoslavie, la déchirante comedia de l'équipe d'Italie, l'épatante équipe d'Irlande qui fera le bonheur de Stephen Frears, la surprise Costa Rica, le très court parcours d'un Brésil sans joie, sans oublier ces héros inattendus surgit du banc de touche : Milla, Schillaci, Goicoechea... Une belle Coupe du monde, finalement.

  • Mangeur Vasqué le 14/12/2022 à 21h15
    Ah ça c’est sûr que le protocole commotion à l’époque était rudimentaire. On voit la collision sur ce court clip lien (milieu de première mi-temps).

    Même dix ans plus tard c’était toujours basique, comme le montre cette photo de Paul Ince v Italie en octobre 1997 (match crucial pour la qualif France 98):

    lien

    0-0, match surnommé “The Battle of Rome” car très heurté, et y’avait eu du grabuge dans Rome et en tribune, police vs 10 000 Anglais. Ce nul leur assura la qualif pour France 98. Paul Ince avait joué 65 minutes avec du sang sur le maillot et un bandage à la tête, ce qui valut cette comparaison typiquement Gazzaiesque de la bouche de Gascoigne : “Avec son bandage sur la tête, Ince courant partout ressemblait à une pinte de Guinness”.

    Ces maillots plein de sang devinrent un peu le symbole du fighting spirit à l’anglaise, avec cette image du “blooded warrior”, le guerrier ensanglanté, c’est comme ça que les tabloïds avaient surnommé Paul Ince après “La Bataille de Rome”.

    A la pause de ce Suède-Angleterre en septembre 1989 (match qualif pour Italia 90) mentionné dans l’article, le médecin des Three Lions, qu’était aussi celui d’Arsenal (de 1971 à 2002 et qui s’appelait John Crane, marrant) essaya de recoudre le front mais ça pissait tellement le sang que le doc ne voyait pas trop ce qu’il faisait et n’avait pu lui mettre que 5 points de suture.

    Presque 3 cms de la blessure n’avait pas été suturée, d’où la cascade de sang en seconde période : lien (Butcher dit “environ 7” dans le clip. 2 points de suture furent ajoutés après le match). Il joua donc plus d’une heure comme ça, et fit des têtes aussi, ce qui n’arrangea pas l’état des points de suture de fortune. A la mi-temps, Bobby Robson lui avait assuré que tout irait bien (“You’ll be fine – just get on with it”). C’était ça le “protocole” de l’époque, “T’inquiète pas, c’est juste un p’tit bobo”.

    Robson avait vraiment besoin de lui faut dire, il leur fallait au moins un nul contre la Suède pour (presque) assurer la qualif, ce qu’ils firent (0-0). La photo où il célèbre ce nul : lien

    Après le match : lien

    Le surlendemain, Butcher repart en Écosse pour reprendre l’entraînement avec les Rangers, et Graeme Souness (manager) lui fait : “Bah, c’est rien ça Terry, je t’aligne demain contre Aberdeen”.

    Butcher était secoué mais ne voulait pas le montrer (il s’écroula d’ailleurs le vendredi aprèm, de retour chez lui, il se sentait faible, et pionça 18 heures, un truc comme ça). Et il fut bien aligné v Aberdeen.

    Une marque de lessive, Radion, contacta Rangers et Butcher pour de la pub… et persuada Butcher de laver ce maillot pour montrer comme ils lavaient plus blanc que blanc, cô dans la pub de Coluche (ce qu’il n’aurait pas dû faire, laissé dans son jus ce maillot vaudrait une fortune). Butcher en parle ici : lien

    “A washing powder company came to me and asked to sponsor me to wash it! It probably would’ve been worth a lot more if I got it framed & it had the lien Terry Butcher reveals his infamous bloody England shirt ended up being washed.

    Butcher ne toucha même pas d’argent, Radion lui fila juste un stock de barils de lessive pour 6 mois.

    Deux maillots furent utilisés sur ce match. Le premier appartient toujours à Butcher je crois et est prêté de temps en temps au Musée National du Football Écossais de Glasgow, à Hampden Park.

    Le deuxième a été vendu aux enchères en 2020 par Bert Hopkins, un arbitre de D1 écossaise qui l’avait récupéré des mains de Graeme Souness (Butcher avait dû lui donner j'imagine), un cadeau pour son dernier match en tant qu’arbitre. Il était encore maculé de sang (jamais lavé), mais la mère de l’arbitre insista pour le laver… Un peu de sang est toujours visible apparemment sur le numéro 6). Cet arbitre l’a vendu aux enchères en 2020 pendant la pandémie (j’ignore pour combien) et l’argent a été versé à un hôpital du NHS Scotland (service national de santé).

    lien Football Club

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 16h20
    Effectivement, très surveillés, et ils le sont toujours même si le “Football (Disorder) Act” de 2000 mentionné dans l’article lien (lois votées après les problèmes en Belgique lors de l'Euro 2000, aussi dans l'article) marqua un tournant, dans la mesure où les hools fichés (ceux sous le coup d’une IdS disons) ne pouvaient plus légalement se déplacer à l’étranger avant et pendant une compét' internationale. Obligation de dépôt du passeport au commissariat (pas de carte d'identité au Royaume-Uni) avec pointage régulier. Les modalités d'interdiction varient selon les peines prononcées. Tout ça passe par un tribunal, le “Magistrates’ Court” (juridiction qui en équivalent français se situe entre le tribunal correctionnel et la cour d’assises), j'ai déjà assisté à ce genre de procès.

    Les problèmes avec les hools anglais à l’étranger ne disparurent pas pour autant après 2000 bien entendu. De sérieux incidents causés par les hooligans anglais furent par exemple relevés lors de l'Euro 2004 au Portugal, en particulier sur Albufeira, la + grosse station balnéaire d'Algarve et un coin très britannisé au fil des décennies (voir lien et lien), et ce malgré une interdiction de déplacement qui frappait plus de 2 500 hooligans fichés (voir ici lien).

    Également lors de la Coupe du monde 2006 en Allemagne et d'autres compétitions et matchs en Europe. Le magazine d’investigation BBC “Panorama” avait fait un docu là-dessus (Mondial 2006), visionnable ici lien et sur Youtube. Mais par rapport à la période pré-2001, où la violence lors des déplacements à l’étranger était fréquente ou quasi systématique, y’a pas photo.

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 18h00
    Il avait en effet très mauvaise presse. 25 ans d’hooliganisme, avec forte poussée à partir de la fin des années 1970. Grosse désaffection du public pour le football en général, sélection et clubs. Saison 1985-86 : affluences les plus faibles en Football League (D1 à D4 à l’époque) depuis des décennies : 16 millions seulement – versus 41m saison 1948-49 (pour comparaison, environ 33m l’an dernier pour D1-D4).

    Je racontais par exemple dans ce dossier lien qu’en 1985 le billard anglais (snooker) faisait plus d’audience TV que le foot (voir le milieu de l'article).

    Grosse récession à l’époque, coupes budgétaires, 60-80 % de chômage dans certains quartiers, etc. Rapport largement établi (y compris statistiquement, indicateurs socio-économiques) entre précarité et montée de la violence dans le football en Angleterre à partir donc de la fin des Seventies. Cela coïncida aussi avec les dizaines d’émeutes de type racial et socioéconomique qui éclatèrent dans les villes britanniques tout au long des Eighties, mais surtout entre 1980 et 1985 (1981 en particulier). La première de la longue série fut Bristol en 1980, quartier St-Paul lien.

    Même début 1990s d’ailleurs, grosses émeutes ici sur Newcastle par exemple, à l’été 1991 pendant trois jours (aucune depuis). Particulièrement sur le quartier de Meadow Well lien, mais ça toucha 5 ou 6 autres quartiers et aussi Sunderland.. Le wiki anglais nous dit sur ces émeutes de Newcastle qu’elles comptent parmi les pires de l’histoire britannique (“They are regarded as some of the worst riots in British history”).

    Ce type de violence collective était banal au Royaume-Uni et vu l’imbriquement football-societé en Angleterre, et le genre de personnages que drainait le supportérisme, le football véhiculait presque naturellement une partie de cette violence.

    Je cite aussi par exemple en début d’article le match amical Angleterre-Tchécoslovaquie (4-2, lien) à Wembley, disputé devant à peine 21 000 spectateurs, autant dire une misère. Et en plus, des milliers d’entre eux étaient des écoliers auxquels on avait donné des billets. Match d’après : seulement 27 000 v Danemark, en amical toujours (les matchs de gala, style v le Brésif, et ceux de qualif faisaient toutefois beaucoup plus).

    On remarque par ailleurs les 2 buts de Steve Bull lien dans cet Angleterre-Tchécoslovaquie, phénoménal joueur de D2 (chez le ventre-mouiste Wolves) qui ne jouera quasiment qu’en D2-D4 et qui sera de l’aventure Italie 90. Sur les deux saisons 1987-1989, il claqua 102 buts (au moins 50 par saison. Premier joueur de Football League à réaliser cet exploit depuis les années 1920). Steve Bull est le dernier Anglais de D2 à avoir été sélectionné pour une Coupe du monde (13 capes, 4 buts). Si vous le googlez, pardonnez-lui l'horrible maillot Wolves "traces de pneu" lien il n'y est pour rien. Voir un tel joueur porter un maillot aussi dégueulasse fait tache.

    Cet Angleterre-Tchécoslovaquie (4-2) est le match qui persuada Bobby Robson de sélectionner Gazza, auteur d’une grosse perf ce jour-là. Gazza qui avait été un coiffeur XL durant les qualifs, seulement 42 minutes de disputées (je me suis amusé à les compter, grâce au site englandstats, à cette page pour le soldat Gascoigne Matricule # 1006 : lien. Depuis trois ans et le millième match des Trois Lions, en 2019 vs le Monténégro, la fédé attribue à chaque joueur un "legacy number", imprimé sur le maillot, le col je crois. Depuis l'Euro 2020, disputé en 2021 donc, ils recoivent aussi une "legacy cap" rouge https://i. lien, ils avaient droit à une "cap"/casquette avant mais pas numérotée et la tradition avait été longtemps interrompue il me semble).

    Robson hésita longuement à sélectionner Gazza cependant. Je crois que c’est surtout son adjoint, Don Howe, qui le persuada. Faut dire que Gazza n’arrêtait jamais de déconner, et ne respectait pas trop les consignes sur le terrain. Quand par exemple Robson lui donna sa chance de sa vie v les Tchècoslovaques, à 6 semaines du Mondial 1990, Gazza se permit de faire des grimaces pendant les hymnes nationaux… Ce qui avait tordu de rire un joueur tchèque, qui n'en revenait pas de voir ça.

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 19h42
    Tu fais bien de le souligner Richard. Au-delà du consensus un peu raide et cette doxa qui laisse peu de place au dissentiment (Mondial peu mémorable et même, entend-on parfois, “dégueulasse”) cet Italia 90 a effectivement marqué et laissé beaucoup d’images fortes (Schillaci par exemple mais aussi des moins reluisantes, eg crachat de Rijkaart sur Völler) et une vraie “legacy”, par ex. les modifs des règles par le tandem Fifa-Ifab pour réduire l’anti-jeu et l’antisportif. Bonne dose de dramaturgie aussi et un tas de surprises et rayons de soleil avec notamment l’Angleterre (par moments), le Costa Rica et le Cameroun, qui choisirent de pratiquer un football (certes dur mais) eau fraîche et non calculateur ou cynique.

    Y’avait du beau monde déjà, on peut au moins noter ça. A commencer par les Pays-Bas (et ses vedettes du Milan AC – Van Basten, Rijkaard, Gullit, énorme déception), une Belgique classieuse, la Yougoslavie (sa der) de Stojkovic et Susic, une belle Allemagne sur le papier (Klinsmann, Matthäus, Brehme, Völler) mais qui décevra quelque peu, malgré sa victoire finale (sans trop tomber dans les clichés, collectif froid et efficace plus que spectaculaire) et un tas d’artistes (Maradona, Francescoli, Baggio, Waddle, Romário, Gazza, Belanov… Pas mal d’entre eux furent cependant anonymes).

    Et parmi les highlights éternels : "El Cole”, l’incroyable homme-oiseau déguisé en condor supp de la Colombie lien

    Originaire de Baranquilla sur la côte Caribéenne où y’a un gros carnaval, ça explique le déguisement et le grain de folie. Le type abandonna sa formation d’avocat en milieu d’année académique 1989-90 (c’etait sa 5è année d’études supérieures, droit) pour devenir le supp numéro 1 de “La Tricolor” et aller à cette Coupe du monde. Il faillit bien y laisser la vie, par deux fois, dans le match de poule Colombie-RFA (Groupe D) lien

    D’abord quand Littbarski marque à la 88è (1-0), et ensuite pour l’égalisation de la Colombie à la 93è. Sur ces deux temps forts, les supps colombiens sont devenus fous et ceux chargés de tenir les cordes et le faire monter et descendre lachèrent soudain le cordage… (le mec se balançait dans le vide en battant des ailes, comme un oiseau donc, voir cette photo de lui prise en Colombie en 2006 lien)

    El Cole n’eut la vie sauve que grâce au seul “cordiste” qui avait eu la présence d’esprit d’accrocher une corde autour de sa taille, mais il s’en fallut d’un rien. Après, ils accrochèrent tout ça sur une balustrade. La Colombie se fera sortir en 8è par le Cameroun, en prolongation.

    Je ne sais trop ce qu’est devenu El Cole mais je me souviens que Sky l’avait retrouvé en 2010 pour les 20 ans d'Italia 90 et je crois bien qu’il avait rencontré Dieu ou dans ce style et avait transformé sa maison de Barranquilla en musée. Voir lien “El Cole: la historia del hincha más fiel de Colombia” (l’histoire du supp le + loyal de la Colombie).

    La Fifa changea par exemple les règles du hors-jeu et de la passe en retrait/ballon rendu au gardien de but à la suite de la négativité et du cynisme observés.C ’est le Mondial où ça marqua le moins : 2.21 buts/match et comme y’eu pas mal de prolongations ça fait un ratio temps joué/but encore plus faible (un but toutes les 43 minutes en moyenne).

    Fifa donnera aussi à l'Afrique un troisième représentant pour 1994, grâce aux performances du Cameroun, dont ce choc en match d’ouverture – victoire 1-0 sur l’Argentine, en finissant le match a 9 - et à la bonne tenue des Égyptiens (1-1 contre les Pays-Bas, 0-0 contre l’Irlande et défaite de justesse 1-0 v l’Angleterre).

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 20h05
    L'aspect négatif (attaques moins performantes) a cependant entraîné du plus positif. Ce fut le Mondial des gardiens et défenses : 31 clean sheets/52 matchs.

    Des défenses comme le quatuor Maldini-Baresi-Ferri-Bergomi. Les gardiens furent à l’honneur, beaucoup de stars parmi eux, déjà installés ou qui le deviendront. Le malheureux Taffarel avec le Brésil (éliminé par l’Argentine en 8è – 2 buts encaissés seulement. Il fera dix ans dans la cage brésilienne, jusqu’à France 98), Zubizaretta (126 capes, et 4 Coupes du monde), Van Breukelen (+ de 10 ans international), la Celtic (Glasgow) legend Packie Bonner pour l’Irlande (15 ans), Dasayev (le “Rideau de fer”), 91 capes soviétiques, considéré par bcp comme l’un des top 3 des années 1980.

    Bodo Ilgner aussi, qui contribua grandement au succès allemand. Goycochea, sorti vainqueur de deux séances de tir au but (“El Goyco“ pigera à Brest deux saisons plus tard), Conejo pour le Costa Rica (nommé dans la Team Fifa d’Italia 90, avec Goycochea) et qui malheureusement rata le 8è contre la Tchécoslovaquie (blessé). Walter Zenga aussi pour l’Italie, qui battit un sacré record : 517 minutes sans encaisser de but (sur deux Mondiaux). Malheureusement, il n’encaissa son premier et seul but à Italia 90 qu'en demie v l’Argentine, sur une bourde, erreur sur une sortie lien.

    Peter Shilton aussi bien sûr, 40 ans, qui détenait alors le record de clean sheets en Coupe du monde (10, sur 3 CdM - 1982, 1986 et 1990), et le détient toujours il me semble. Il sera pro jusqu’à 47 ans... lien

    “Shilts” voulait absolument décrocher ses 1 000 matchs en pro. Mission réussie en 1997 : 1 005 matchs, en 31 ans de carrière pro (enfin, 30 plus exactement car bien qu'il débuta en D1 à 16 ans avec Leicester, en 1966, il ne passa pro qu'à 17 ans, âge minimum). Anecdote marrante (sauf pour lui), à 47 ans il ne voulait toujours pas raccrocher et le boss du club de D4 (Leyton Orient) où il évoluait, en numéro 2 (mais il disputa quand même 9 matchs de championnat à 47 ans), lui fait en fin de saison : “Écoute Peter, je ne voudrais pas être désobligeant mais on ne va pas pouvoir prolonger ton contrat pour la saison prochaine. Bordel, tu n’arrives même plus à dégager au-delà de la ligne médiane !” Il paraît que ça avait vexé Shilton.

    Triste ce qu’est devenu Shilton (dans sa tête) mais j’ai eu l’occasion de le mentionner donc n’y revenons pas et ce-la ne nous re-gar-de pas.

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 20h59
    Merci à toi, poste riche et intéressant qui amène forcément quelques réflexions, d’ordre psycho-neurologique.

    Je trouve que tu y vas fort sur l’Angleterre mais en analysant ton propos (allonge-toi sur mon divan stp) il est lacaniennement évident que ta colère longue de deux ans était uniquement dirigée contre l’Argentine, et que l’Angleterre ici fut une victime collatérale, un innocent réceptable de tes frustrations qui te servit d’exutoire.

    Ton seum anti-anglais est une émotion secondaire en fait, une profonde angoisse née dans une région cérébrale bien précise, sans doute dans ton lobe occipital lien – vision, ce que tu vois sur l’écran donc – ou/et ton lobe temporal, précisément dans la zone sud/sud-est du sous-lobe limbique (où sont traitées les informations concernant les émotions, les affects et la mémoire).

    La colère est fortement montée, ainsi que la conso de bières et exécrables pizzas Leader Price à 4 francs, l’oxygène t’a manqué, et tout ça a comme expulsé cette colère (à ce stade en voie d’altération, vers de la rage), un peu comme quand t’as une olive en bouche et là, paf, tu chopes un fou-rire et ça gicle. Une fois éjecté, ce fagot de sentiments atrabilaires a vogué tant bien que mal (via tes petites cellules nerveuses irriguées par le liquide céphalo-rachidien) vers une autre zone, nordique, en direction du lobe pariétal je dirais, pour squatter à mon avis le secteur sous-lobaire de l’insula (qui est le cortex insulaire qui, pense-t-on, régule la douleur, le dégoût, le seum, etc.).

    L’Angleterre n’a donc en fait été ici que l’élément post-catalyseur, l’irritant, le poil à gratter. Il est vrai que le kick and rush a grotesquement tendance à déstabiliser et enrager les Continentaux, ces esthètes et petites choses fragiles. CQFD. Voilà, demonstration claire et indubitable.

    Car il est révélateur que cet Argentine-Brésil qui t’a tant fait seumer a eu lieu (pour répondre à ta question) DEUX JOURS AVANT le 8è Angleterre v Belgique, match où tu n’as pas sans doute pas su apprécier à sa juste valeur les subtilités du jeu anglais, focalisé que tu étais sur Scifo and co (on en revient à ta fixation sur Auxerre, au demeurant louable mais qui a conditionné un enchaînement de réactions malsaines).

    Tu te rappelles mal du déroulé précis des évènements, et c’est normal 32 ans plus tard mais tout s’explique : ton seum long de 24 mois que tu attribues inconsciemment à Angleterre-Belgique, n’a en fait pas grand chose à voir avec les Anglais et leur football chatoyant (en fait, hein, y’a du bagage technique dans le kick and rush, merde alors), c’est l'Albiceleste qui t’a splénétiquement dégoûté.

    Dans ta tête tu t’es senti floué, dépossédé, tu as vécu ça presque comme un échec personnel et tu as automatiquement reporté ce sentiment de vide et d’inassouvissement sur les Anglais, cible facile s’il en est, surtout que tu supportais les Belges et que le lobe de ton cerveau avait été au préalable contaminé par les commentaires désolants, borderline anglophobes, du tandem Bernard Père-Dominique Le Glou en introduction de cet Angleterre-Belgique en 8è (voir le résumé de match sur Daily Motion, il est inséré dans l'article).

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 21h18
    En résumé José-Mickaël, car mes explications peuvent sembler un poil amphigouriques : tu as tout bêtement fait un transfert footballistique de type inversé (ton compteur psyché a disjoncté et tous tes fils se sont mélangés. Les lacanistes appellent ça un “contre-transfert”).

    C’est un processus classique, au cours duquel des sentiments ou des désirs inconscients envers les premiers objets investis dans l'histoire et le vécu d'un sujet (ici, l’Albiceste, Maradona), se trouvent reportés négativement sur autrui (l’Angleterre, “équipe de tâcherons sans aucune subtilité”) pour une raison X (cible facile, souffre-douleur, frustrations passées, ancestrales ou qui remontent à l’enfance, match scolaire perdu contre des Anglais truqueurs, vestes prises en soirées outre-Manche, etc.).

    J’ai remarqué que certains de mes clients citent parmi ces raisons les mauvaises notes en anglais au collège, ou une somatisation liée aux verbes irréguliers (eg “to put”, facile à mémoriser mais dont la prononciation peut durablement perturber), et les interros vicelardes le lundi matin à 8 heures (suivies par deux heures d’algèbre avec petit contrôle surprise bien corsé à la fin, à faire ensuite signer par tes parents, à 15 minutes du buzzer récré, au moment même où tu pensais être tiré d’affaire).

    J’avais d’ailleurs une prof d’anglais en 5è, bonne prof par ailleurs mais très cassante, qui se moquait devant toute la classe de ceux qui prononçaient "to put" comme “pute”. Pis alors elle insistait bien lourdement des fois hein. Outre le fait qu’elle était visiblement un peu sadique, elle devait penser qu’en humiliant ainsi les élèves devant leurs pairs, ça renforçait la rétention d’information collective. Enfin, elle au moins ne te mettait pas une gifle ou ne te balançait pas une craie au visage ou même la brosse de tableau (!) si t’écoutait pas, comme ça arrivait à l’époque, années 1970 (surtout les profs hommes, que les profs hô d’ailleurs dans mon souvenir). Bref, le domaine des humiliations ici sur ce terrain franco-anglais est vaste et il est fréquent que de vagues idées de vengeance resurgissent longtemps après.

    Les Cahiers servent aussi d’espace EEA (expression, écoute et accompagnement) et je pense qu’il est grandement bénéfique pour toi aujourd’hui, 32 ans plus tard, de communiquer et ainsi comprendre ces mécanismes complexes via une approche illocutoire à visée perlocutionnaire, subconsciemment parlant.

    Cela me donne de nouveau l’occasion de rappeler que, contrairement aux idées reçues, les traumas de la vie ne sont jamais liés au kick and rush. Ils peuvent être liés à Stade 2 par contre, pas impossible, j’ai vu des cas passer dans mon cabinet virtuel.

  • Mangeur Vasqué le 15/12/2022 à 23h43
    Un peu comme la photo prise durant l'Euro 96 dans un bar, avec un Gascoigne dans un état second, McManaman hilare devant son coéquipier et Sheringham en Tarzan de pub avec son t-shirt déchiré: lien
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    Ah oui, ça avait bien fait le buzz à l'époque, c'était 10 jours avant le début de l'Euro en fait. Je vivais à Leeds (plus pour bien longtemps, encore un mois), j'avais été voir France-Espagne à Elland Road d'ailleurs (1-1), le seul match des bleus auquel j'ai assisté de ma life. Ça m'avait coûté 45 £, je m'en souviens car c'est presque ce que je gagnais en un jour, "after tax".

    Les t-shirts déchirés c’était Gazza, Fowler et Sheringham dans un bar de Hong-Kong qui s’étaient chauffés, “pour s’amuser”, en se versant des pintes de bière sur la tête. Ils avaient aussi décroché des gants de boxe qu’étaient sur un mur et s’étaient mis sur la tronche en sifflant des cocktails.

    C’est cette "infamous" soirée à Hong-Kong le 27 mai 1996, dernier jour de la tournée de préparation en Asie du Sud-Est. Le manager, Terry Venables, leur avait donné les consignes suivantes :

    “Bon, les gars, c'est le dernier soir, je vous autorise à vous relaxer un peu mais vous allez au bar d’à côté (de l’hôtel), c’est un petit bar sympa et tranquille. Ne déconnez pas, ne rentrez pas tard et rentrez sobre. Bryan Robson (staff) vous accompagnera pour surveiller tout ça. Je vous rappelle que notre vol part tôt demain matin”.

    Évidemment, avec parmi l’équipée de sortie Gazza, Fowler, Sheringham, McManaman, Ince, et quelques autres (Tony Adams déclina... Il avait 30 ans et ne se faisait déjà plus confiance niveau bibine) ça ne se passa pas vraiment comme prévu par "El Tel" (surnom de Venables).

    La photo qui fit le plus de buzz à l’époque, lors de cette fameuse soirée est celle dite de la “chaise du dentiste”, avec Sheringham et Ince, bouche ouverte, sur une chaise de dentiste (j’avais vu les mêmes à Tijuana pour les gringos), avec Fowler et McManaman qui leur versaient de la vodka en gueulant “Allez, bois, c’est un médicament, c’est bon pour ton mal de dents” :

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    Y’avait pas les réseaux mais des gens prirent des photos et trois jours plus tard c’était dans le Sun, le Daily Star, etc. Disons qu’en terme de préparation pour l'Euro, c’était pas top et ils se firent défoncer lien

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    Pis après, ils ont attaqués des cocktails à la paille… A 2h30, Bryan Robson (lui-même pas un grand sobre pendant sa carrière…) les as tous ramenés torchés à l’hôtel.

    D’où la célébration de Gascoigne après son joli but contre l’Écosse pendant l’Euro, la bouche ouverte avec 3 joueurs qui lui versent de l’eau :

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    Le vol du retour fut bien chaotique aussi, Gazza était ivre (il est clair qu'il était déjà alcolo), il s’est embrouillé avec une hôtesse puis avec le pilote, auquel il a montré son cul… Sur ce (tout ça raconté plus tard par Fowler dans son autobio, voir article du Guardian lien) le pilote a menacé de se poser en urgence en Russie et bouter tout le monde hors de l’avion... Selon des journalistes, deux écrans TV de l’avion furent vandalisés (par Gazza, ivre donc, furieux que Shearer lui ai mis une petite claque à l’arrière de la tête) et la compagnie aérienne réclamait 5 000 £.

    Quelques jours plus tard, à l’hôtel des joueurs (Burnham Beeches Hotel lien), qu’était près du centre d’entraînement de l’équipe d’Angleterre (Bisham Abbey, 20 kms à l’ouest de Londres. Les féminines l’utilisent toujours je crois mais les hommes sont à St George’s depuis 10 ans, le (sort of) Clairefontaine anglais lien)
    , Venables donne une interview et là, on aperçoit Gazza, devant les caméras, apparaître dans le fond de la salle, où y’avait le bar (cherchait-il des boissons ?), à poil… Il se rend compte qu’une interview est en cours, met le maillot (qu’il portait en écharpe sur sa tête) sur ses parties et décampe…

    Ça n'avait pas empêché les Anglais de bien figurer, demi-finales, sortis aux t.a.b par les Allemands... (Southgate avait manqué le sien, enfin, le futur Ohémien Köpke l'avait arrêté).

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