Angleterre 1990, résurrection à l'italienne
La Coupe du monde en Italie des Three Lions marque la rédemption du football anglais, au terme d'une épopée aussi rocambolesque qu'inespérée.
D'emblée, le documentaire de Channel Four Italia 90 : When Football Changed Forever [1] plante le décor. Printemps 1990, le football anglais est un paria en phase terminale.
Il vient d'avaler un cocktail potentiellement létal : vingt-cinq ans de hooliganisme ("the English disease"), des tragédies de stade et du racisme en pagaille, le désamour du public, onze ans de Thatchérisme et sa diabolisation électoraliste du football, des audiences télé pitoyables, l'exclusion des clubs anglais des coupes d'Europe de 1985 à 1990 et les mauvais résultats du onze de la Rose.

Seul motif de satisfaction : l'insolente santé des clubs anglais dans les joutes européennes jusqu'à la sanction, mais cela est loin de réconcilier le peuple avec le beautiful game.
Baptisée la "greatest World Cup ever" par certains médias anglais et des quadras-quinquas nostalgiques, mais unanimement considérée comme l'un des pires Mondiaux par le reste de la planète, Italia 90 va redonner fierté, espoir et goût du football à la sélection nationale, à ses supporters et à toute une nation. Et plus encore tant ce Mondiale s'avérera charnière.
Des préliminaires douloureux
L'Angleterre n'a guère brillé en qualification. Elle n'a certes ni perdu ni même encaissé de but (3 victoires, 3 nuls) mais elle a fini deuxième derrière la Suède, dans un groupe de quatre plutôt facile, et elle s'est qualifiée grâce à un 0-0 chanceux contre la Pologne.
Elle semble n'avoir rien d'autre à offrir que du sang, de la chique et du mollard, du brut symbolisé par le maillot du bien nommé Terry "Captain Blood" Butcher contre les Suédois en qualif.

Le pessimisme général prévaut. Bobby Robson, le sélectionneur national en poste depuis España 82, s'est vu signifier par la FA (fédération anglaise), non officiellement, la fin de son mandat. La veille du départ pour l'Italie, il convoque une conférence de presse, houleuse, pour annoncer sa démission.
Les tabloïds, qui réclament sa tête depuis la piètre performance à l'Euro 1988, le soupçonnent d'avoir pré-arrangé son départ au PSV Eindhoven et l'accusent de l'avoir fait à l'envers à tout le monde. Ils l'attaquent sur sa vie privée, et parlent "d'acte de traîtrise" et "d'infidélité" envers la sélection nationale.
Le Daily Star traite les joueurs de "donkeys" (chèvres, dans ce contexte) et conseille à ce "plonker" (imbécile) de Robson d'ouvrir un sanctuaire animalier à cet effet. Un autre tabloïd fait campagne pour envoyer la Pologne en Italie au lieu de l'Angleterre. En représailles, le camp England boycotte les médias.
Un délicat numéro d'équilibriste car, à l'époque, les journalistes anglais séjournaient dans l'hôtel des joueurs ! L'option dolce vita en Italie pour Robson et les siens semble donc compromise... L'ambiance là-bas s'annonce pourrie.
Les 22 sont les suivants : (Gardiens) Shilton, Woods, Seaman [2] - (Défenseurs) Barnes, Butcher, Dorigo, Stevens, Parker, Pearce, Walker, Wright - (Milieux) Gascoigne, Hodge, McMahon, Platt, Robson (capitaine), Steven, Waddle, Webb - (Attaquants) Beardsley, Bull, Lineker.

Avec quatre joueurs, Glasgow Rangers est le club le mieux représenté (un temps bel et bien révolu...) : Butcher, Stevens, Woods et le futur Marseillais Trevor Steven [3]. Paul Gascoigne, 23 ans et une maturité d'écolier hyperactif, vient de finir troisième de First Division avec Tottenham, où il évolue avec Gary Lineker.
L'histrion est la grande inconnue qui divise l'opinion : Facteur X ou boulet ? Il n'était pas titulaire pendant les qualifs dont il n'a disputé que 42 minutes. Le pari est risqué, mais Robson sait que "Gazza", dont il dit amicalement qu'il peut être "con comme un putain de balai", est un talent hors norme, potentiellement le meilleur milieu offensif depuis Bobby Charlton.
Il a surtout été sélectionné à la faveur de sa lumineuse prestation contre la Tchécoslovaquie, un mois auparavant en amical à Wembley, devant à peine 21.000 spectateurs (deux superbes passes décisives et un but somptueux). Son tempérament instable inquiète Robson.
Un sentiment pas totalement injustifié : quelques jours avant le départ en Italie, un Gazza cuité est arrêté devant un pub de Newcastle, mêlé à une violente bagarre. Les faits sont sérieux et des poursuites sont envisagées.
Attentes en berne
Personne n'attend grand-chose de ces Three Lions. Ils sont dans le groupe F, avec l'Irlande, les Pays-Bas et l'Égypte, tous basés à Palerme. Les Anglais, dont les supporters sont catalogués comme toxiques, ont été exilés à Cagliari, en Sardaigne, à la demande expresse de Margaret Thatcher.
Avant le début de la compétition reine, la Dame de Fer a dépêché sur place son ministre des Sports, Colin Moynihan. Ce fils de lord, étranger au monde du football, est détesté des supporters pour son côté hors-sol et hautain.
Il prévient : "En Sardaigne, nous serons sur la sellette". Une menace terroriste ayant été détectée, qui pourrait impliquer l'IRA ou les Brigades rouges, le GIS (le GIGN italien), ainsi que les forces militaires spéciales et un tiers des CRS du pays se tiennent en alerte.
À cause de la forte présence de supporters anglais et néerlandais, on qualifie cette poule de "groupe de la mort", au sens propre. "On avait mis la sélection anglaise à Cagliari afin d'isoler leurs supporters", explique Antonio Pitea, chef adjoint de la police locale, dans le documentaire de Channel Four.
"Sur le Continent, on aurait eu une 'invasion anglaise' difficilement contrôlable. Ça aurait pu dégénérer et on craignait même des morts. À Cagliari, il semblait plus facile de les contenir." Comme le dira un journaliste par la suite, le Groupe F s'avérera plutôt être celui de "l'ennui mortel".
Les images du Heysel et les violences de l'Euro 1988 en Allemagne (entre hooligans anglais, allemands et néerlandais) sont encore dans toutes les têtes. Dès le début juin, des milliers d'Anglais débarquent à Cagliari. Sept mille carabinieri (police militarisée) sont envoyés en Sardaigne pour les surveiller. Les médias italiens évoquent une possible "guerre dans la ville".
Pitea se rappelle : "Beaucoup d'Anglais avaient le crâne rasé, c'est comme s'ils portaient une pancarte disant 'Je suis un hooligan'. [...] Ils étaient tous obèses, ça nous a frappés de voir autant de gros ventres. C'était impressionnant. On constatera ensuite qu'ils étaient durs au mal."
Beaucoup de ces hooligans ont cependant une apparence ordinaire. C'est l'ère des "casuals", à la coiffure et au style vestimentaire soignés et passe-partout pour ne pas éveiller l'attention de la police et amadouer plus facilement les tribunaux, le cas échéant.
Les supps se baladent dans la ville torse nu et bière à la main, en chantant et agitant l'Union Jack. La population prend peur et la police prévient : ce sera tolérance zéro. Le chef des carabinieri promet d'envoyer les fauteurs de troubles directement dans la prison locale, occupée par sept cents durs. De quoi faire réfléchir, se disent les autorités.
Pour donner l'exemple, plusieurs dizaines d'agités sont retournés à l'envoyeur en Perfidie. Dont Paul Scarrott (ci-dessous), hool notoire du FEC (Forest Executive Crew, la principale firmde Nottingham Forest), qui sera l'un des premiers "hooligans stars", ceux qui monnaieront plus ou moins bien leur grandissante notoriété. Scarrott effectuera treize séjours en prison pour violences liées au football avant sa mort en 1996, à 40 ans [4].

Le Mondial de la dernière chance
L'UEFA a averti la FA qu'elle ne raccrochera le wagon anglais au train Europe qu'à une condition : que leurs supporters se tiennent à carreau en Italie. Ce Mondial est donc l'épreuve décisive, ça passe ou ça casse.
Margaret Thatcher, qui instrumentalisa tant ce football qu'elle détestait, ne veut pas de l'Angleterre au Mondial, susceptible de ternir encore davantage l'image du pays à l'étranger. Elle a chargé Moynihan de faire pression sur la FA pour retirer la sélection de la compétition. En vain.
Le "Football Banning Order" (FBO), l'interdiction de stade, vient d'entrer dans l'arsenal juridique britannique (via le "Football Spectators Act" de 1989), et un fichage existe mais la loi n'inclut pas encore l'interdiction de se déplacer à l'étranger, avec remise du passeport à la police (il faudrait pour cela attendre 2000 et le "Football (Disorder) Act", adopté en urgence après la vague de violence à l'Euro 2000, principalement à Charleroi entre Anglais et Allemands).
Les plus grosses firms du pays se sont déplacées en force en Sardaigne. La FA a tenté de décourager les hooligans de voyager en instaurant un système d'adhésion ("FA membership"), mais le stratagème a échoué. Des centaines d'entre eux ont fait le déplacement sans billet, pour le "fun", en sachant qu'ils peuvent compter sur un florissant marché noir.
La police britannique a également étendu la pratique des infiltrations de firms par des policiers (nom de code : Opération Pegasus). Cette botte secrète, efficace, est née au lendemain des graves incidents domestiques de 1985 (voir un échantillon ici).
Garry Rodgers et James Bannon, deux flics undercover présents en Sardaigne, témoignent : "Une task force anglo-italienne avait été créée pour l'occasion, dans le cadre de l'Opération Atlas. On avait une légende, la boule à zéro et des faux tatouages, histoire de mieux se fondre dans la masse. Notre mission était double : renseigner la police italienne et collecter des preuves légalement utilisables."
Les Britanniques proposent même aux Italiens des "Hoolivans", un "soum" hi-tech adapté à la lutte contre le hooliganisme, mais les Sardes déclinent l'offre.
Premier match de poule : Angleterre-Irlande
L'affiche inquiète les autorités. Autant que les Anglais, "humiliés" 1-0 par les protégés de Jack Charlton à l'Euro 1988, l'un des héros anglais de la Coupe du monde 1966 auquel la FA ne daigna pas répondre quand le Geordie (natif de la région de Newcastle) les contacta pour entraîner les Trois Lions en 1977.
C'est le premier mondial des Irlandais. Les rivalités historiques sont féroces et on baigne en plein conflit nord-irlandais. La veille du match, malgré le décret de fermeture des bars avant 17 heures, des incidents éclatent en ville autour d'établissements ayant bravé l'interdiction.
Des hools anglais agressent des Irlandais dans un pub au chant de "No surrender to the IRA". Une vingtaine d'Anglais sont arrêtés et conduits illico à la prison locale, comme promis. Thatcher renvoie Moynihan en Sardaigne, où il s'empresse de mettre tous les supporters anglais dans le même sac : "Certains les appellent des 'animaux'. Pour moi, ce terme est presque trop gentil. Je ne connais pas d'animaux qui se comportent ainsi".
L'amalgame exaspère les supporters et envenime la situation. Le bruit court que Thatcher et son gouvernement souhaitent ardemment l'élimination de l'Angleterre.
Angleterre-Irlande, Cagliari (Stadio Comunale Sant'Elia), 11 juin.
Les premières actions donnent le ton, viril. À la 9e minute, Waddle centre pour Lineker, qui marque. Un but de classieux poacher (renard des surfaces), brillamment linekerien. Son 37e pion international, en 52 capes.
Comme anticipé, les débats sont âpres, aériens et tactiquement basiques. On s'ennuie un peu, alors dans les tribunes les supps anglais chantent : "On ne payera pas ta Poll Tax, Thatcher !" L'Evertonien Sheedy égalise à la 73e. La confrontation accouche d'un médiocre 1-1 qui fleure bon le déni de football.
Les tabloïds se déchaînent et parlent de "football préhistorique" et "d'insulte au football". "Bring them home !" titre le Sun (Renvoyez-les à la maison). La Gazzetta dello Sport y va d'un "No Football Please, We're British" qui parodie le célèbre vaudeville.
Prochain adversaire : les Pays-Bas, champions d'Europe en titre, et ses vedettes Rijkaard, R. Koeman, Gullit, Van Basten. L'arrivée imminente de hooligans bataves en Sardaigne met les Italiens en PLS.
Il est où Gazza ?
Beaucoup d'Anglais sont là depuis une dizaine de jours. Malgré les menaces d'amende pour vagabondage, des centaines d'entre eux dorment à la belle étoile, un peu n'importe où (bancs, parcs, plages...). Les tensions montent et la Sardaigne est rebaptisée "l'île aux hooligans" par certains quotidiens, qui écrivent craindre "une orgie de violence".
À l'Euro 1988 en Allemagne, avant et après la défaite contre les Pays-Bas, le 15 juin (3-1, triplé de Van Basten), Francfort, Stuttgart et surtout Düsseldorf avaient été mis à feu et à sang pendant une semaine par des hools anglais portant des t-shirts "Invasion of Germany, 1988", des skinheads néonazis allemands et la fine fleur du supportariat hollandais.
Environ quatre cents Anglais furent arrêtés. Tout le monde, à commencer par Thatcher et les condés locaux, poussa un énorme soupir de soulagement quand les Anglais furent piteusement sortis dès les poules (zéro point).
Incités par la police, beaucoup se sont exilés dans des campings éloignés de Cagliari. Roberto Taccori, propriétaire d'un campeggio champêtre, raconte : "Quand nos clients réguliers, ceux qui avaient leur caravane chez nous, ont su que 700 hooligans anglais allaient débarquer, ils ont annulé leur réservation. Mais il y avait tellement de police partout et en permanence, dans et à l'extérieur du camping, que tout s'est bien passé".
Les joueurs anglais sont basés tout près, dans le complexe hôtelier d'Is Molas Golf Hotel, où Gazza fait le show non-stop. Il fourre des bestioles dans le lit des joueurs, se jette dans la piscine enveloppé de papier toilette façon momie ou se balade dans l'hôtel déguisé en clown.
Bobby Robson demande sans cesse nerveusement "Il est où Gazza ?", une question qui deviendra le refrain de l'été dans le camp England.
Sea, Sex and Sun (et guérisseuse spirituelle)
L'humeur potache est brutalement interrompue par les tabloïds, dont les torchonneux logent dans l'hôtel. Le 14 juin, le Daily Mirror publie du juicy. Trois joueurs (non nommés) auraient passé une soirée arrosée avec une hôtesse d'accueil, suivie de prolongations. Une certaine Isabella Ciaravolo, embauchée par l'organisation locale du Mondial.
La belle est bannie du complexe hôtelier malgré ses dénégations stylées ("Moi, coucher avec eux ? Vous rigolez, ils sont tous moches !"), et celles des joueurs impliqués. Bobby Robson déclare que les tabloïds ne cherchent qu'à "saboter" les efforts anglais et "torpiller" son équipe.
Dans une intervention télévisée, Gazza qui, étonnamment, serait dans le coup, nie toute affaire sordide et dézingue la presse caniveau [5].
La veille, Bryan Robson a fait venir en urgence de Londres, et en loucedé, la faith healer Olga Stringfellow (guérisseuse divine/par la foi), pour soigner un problème récurrent au talon d'Achille (il utilisera fréquemment Stringfellow. Glenn Hoddle, en tant que sélectionneur, adoptera fameusement la même approche lors de France 98, à la stupéfaction des joueurs).
Le Sun l'apprend et publie l'embarrassant scoop. Puis enfonce le clou en sérialisant l'histoire. Avec une conclusion feu d'artifice : Gazza a organisé une petite sauterie dans la chambre de Bryan Robson, un bidet a été cassé, qui est tombé sur le pied du pauvre Red Devil, achevant ainsi net tout espoir de guérison... (Robson donne une autre version, similaire, dans son autobiographie Robbo : My Autobiography, résumée ici).
Un sketch digne de Benny Hill, mais qui ne fait nullement rire Bobby Robson. Le sélectionneur devra sortir son homonyme pendant le match contre la Hollande le surlendemain. On ne le reverra plus du tournoi. McMahon d'abord, puis Platt ensuite, le remplaceront. Tout comme Gascoigne, "Platty" se révéla internationalement lors de ce Mondial et devint un titulaire indiscutable.
La polémique enfle, à la veille d'un match crucial, contre un adversaire de taille. Ce sera la dernière compétition internationale où sélection et médias anglais partageront un hôtel...
Côté autorités, on redoute le pire. Une trentaine de charters arrive d'Angleterre et des Pays-Bas. Les leaders des firms les plus notoires des deux pays parlent de faire affronter leurs troupes dans des fights arrangés.
Des matches dans le match se dessinent. Les firms de West Ham et Millwall veulent en découdre et ainsi continuer leur bestiale rivalité sur le sol italien. Des tracts "Kill the Dutch" circulent.
De la possibilité d'une île
La veille du match, 8.000 Hollandais et 2.500 Anglais supplémentaires débarquent. Pour les tenir à distance, 4.000 policiers sont déployés. Une nouvelle interdiction de vente d'alcool, de 24 heures, est décrétée sur Cagliari et alentours.
Garry Rodgers, l'un des flics undercover, donne une info précieuse au PC de contrôle des carabinieri : avant le match, des supporters anglais ont prévu de partir de la gare et marcher jusqu'au stade, à trois kilomètres de là. Ils entendent protester contre le traitement de choc dont ils s'estiment victimes.
À 18 heures, environ 1.500 supporters s'élancent. L'atmosphère est électrique et la marche dégénère. Des voitures et commerces sont vandalisés et des projectiles jetés sur la police, qui réplique par des tirs de gaz lacrymo. Après une série de clashes, la police reprend le contrôle, en frappant dans le tas, innocents ou pas.
Les Italiens n'ont pas fait de quartier et Antonio Pitea le reconnaîtra en creux, "Notre priorité en amont était d'assurer une sécurité maximale dans le stade. Nous ne voulions pas d'un autre Heysel."
Robson a opté pour un dispositif "continental" avec un libéro (Wright sera ce sweeper), qui évoluera en 3-5-2, avec deux wing-backs (latéraux offensifs), Parker à droite et Pearce à gauche.
Un système moins frileux et prévisible que le traditionnel 4-4-2 anglais peut surprendre l'adversaire, raisonne Bobby et Chris Waddle, qui l'aurait fortement orienté vers ce schéma (selon certains joueurs, une version que Robson réfutera toujours). Une innovation cependant à peine testée à l'entraînement.
Angleterre-Pays-Bas, Cagliari (Stadio Comunale Sant'Elia), 16 juin.
D'entrée, les Anglais prennent les clés du camion et ne les lâchent plus. Les Hollandais, minés par les conflits internes, sont bousculés et inefficaces. Le pari du changement tactique de dernière minute est gagnant.
Le joueur supplémentaire derrière, en phase défensive permet une approche conquérante en phase attaque, grâce aux pistons, ce qui libère et galvanise l'entrejeu créatif composé de Gascoigne, Waddle et Robson (qui alimentent Barnes et Lineker devant).
Gazza se permet même un râteau à la Cruyff sur deux défenseurs ! (un geste immortalisé par le jeu Subbuteo). Tout ça en trollant. Dans son impénétrable accent de Newcastle, il balance à Gullit : "Eh mec, tu gagnes combien à Milan déjà ?"

Pas impossible que l'orgueilleux Gullit, exécrable éphémère manager des Magpies presque vingt ans plus tard, s'en soit souvenu et ait décidé de se venger sur le peuple Toon... Lineker se voit refuser un but pour une main involontaire et Pearce marque un coup franc direct en fin de match, également refusé (il était censé être indirect). 0-0, les Oranje s'en sortent bien.
Seule ombre au tableau : l'Angleterre a perdu son capitaine et leader, Bryan Robson, sorti sur blessure (au pied, donc...) à la 65e minute. C'est le deuxième Mondial consécutif où "Robbo" doit jeter l'éponge et, à 33 ans, c'était sa dernière chance.
Ce nul booste les Anglais et fait monter la "world cup fever" au pays. Il résonne comme une victoire pour Bobby. "C'est la meilleure performance de mes huit ans et 80 matches à la tête de la sélection nationale", lâche-t-il, revanchard. Les médias anglais, après avoir pourri les joueurs et Robson pendant deux ans, les soutiennent désormais avec ferveur.
Les embrouilles d'hier sont oubliées. Gazza, qui vient de gagner ses galons d'international, continue de plus belle ses pitreries et lance des chants paillards ("Where is Gazza ? Who shagged the hostess ? Lalalalala" - Il est où Gazza ? Qui a baisé l'hôtesse ?). La vie est belle et la Sardaigne sublime. Tout devient possible.
Mais l'ambiance Club Med est éphémère. Ce bon résultat et cette confiance retrouvée sont ternis le lendemain par les titres des journaux italiens ("Battaglia con gli hooligans", "Guerriglia a Cagliari") et internationaux ("The Battle of Sardinia").
La réputation de l'Angleterre se détériore, et les rumeurs de prolongation de l'exclusion des coupes d'Europe refont surface. Moynihan saute dans le premier avion pour la Sardaigne pour, de nouveau, préconiser un serrage de vis XL.
Arriverderci Sardegna
Après deux matches, les quatre équipes du groupe F sont figées dans une parfaite égalité : deux points et zéro de différence de buts. La pression monte et l'ambiance se tend.
Quatre jours avant ce match décisif contre l'Égypte, les carabinieri font une descente sur les plages et campings du littoral. Ils intimident, sortent les fusils d'assaut et secouent quelques fans. Un couvre-feu est instauré. Cette démonstration de force est payante : personne ne bronchera jusqu'au match.
Angleterre-Égypte, Cagliari (Stadio Comunale Sant'Elia), 21 juin.
L'approche musclée des Égyptiens, qui bétonnent et mangent le chrono, gêne considérablement les Anglais. Ces derniers, repositionnés dans leur 4-4-2 traditionnel, sont dans un jour sans.
À la 59e minute, Gazza adresse un coup franc qui trouve la tête du défenseur central Wright, 1-0. Ce sera le seul but international de "Wrighty" (en 45 capes et douze ans de sélection), qui a fêté son grand retour en équipe nationale lors du match précédent.
À la surprise générale, l'Angleterre termine première du groupe. Les tabloïds continuent toutefois à critiquer les Trois Lions, tout en faisant monter la sauce patriotique. "La négativité fait vendre", commente John Barnes dans le documentaire. Le huitième de finale les opposera à la Belgique, à Bologne.
Six mille Anglais débarquent dans la capitale d'Emilie Romagne, marqués à la culotte par 4.500 forces de l'ordre. Une interdiction d'alcool s'appliquant, direction la station balnéaire de Rimini, à 120 km de là.
Le 25 juin au soir, alors que les Italiens fêtent la victoire des Azzurri sur l'Uruguay, des Ultras du cru provoquent des Anglais devant le Rose & Crown Pub, sur le front de mer. La police fonce dans le tas, sans faire de détail. Les heurts sont très violents. La presse titrera sur "La Bataille de Rimini", manchette évocatrice de la seconde guerre mondiale.
Huitième de finale et charter
246 Anglais sont arrêtés, parmi lesquels (visiblement) des supporters lambda. En atterrissant à Gatwick, plusieurs d'entre eux déclarent à News at Ten avoir été "kidnappés" dans un bar et un camping, mis en cellule puis dans un charter (voir ici).
Pour la quatrième fois en trois semaines, Moynihan rapplique. Il soutient sans réserve les Italiens et réclame une fermeté exemplaire. Un Airbus A-300 se tient prêt sur le tarmac et le contingent est expulsé vers l'Angleterre.
246 : c'est exactement le nombre de sièges passagers que compte l'A-300. Une controverse naît : le charter aurait été affrété à l'avance et financé par le gouvernement anglais.
Huitième de finale : Angleterre-Belgique, Bologne (Stadio Renato Dall'Ara), 26 juin.
La Belgique, demi-finaliste du dernier mondial, est surnommée "le Brésil de l'Europe". Elle compte dans ses rangs le latéral Gerets, le milieu offensif Ceulemans, l'ailier-milieu Van der Elst ou le fuoriclasse Enzo Scifo. Côté anglais, on est repassé à un système avec libéro.
Dans un premier acte disputé tambour battant, Gazza est impérial, tout comme Scifo, qui contrôle l'entrejeu. Une mine de 25 mètres de l'Auxerrois s'écrase sur un poteau. Ceulemans l'imite. À la 40e minute, un but de Barnes est refusé pour un hors-jeu inexistant (le "juge de ligne" japonais, Shizuo Takada, est aux fraises sur ce coup-là).
Le match, indécis mais légèrement dominé par les Diables Rouges, va aux prolongations. Durant lesquelles il ne se passe pas grand-chose, la forte chaleur ayant lessivé les joueurs.
À la 119e, Gascoigne obtient un coup franc après une superbe chevauchée de cinquante mètres. Gazza distille un ballon flottant dans la surface, Platt pivote et reprend magistralement de volée. C'est son premier but international, lui qui évoluait encore en D4 deux ans avant.
Au bord du terrain, Waddle, Butcher et Bobby Robson esquissent un pas de danse à faire peur aux enfants. Dans la douleur, l'Angleterre vient de composter son billet pour les quarts.
Le Cameroun en quart
Naples, fin juin. Les supporters déferlent. Serrés de près par 5.000 carabinieri, personne ne moufte. Le Cameroun, la première sélection africaine à atteindre les quarts dans la compétition reine, est la surprise de ce mondial terne, malgré leur jeu dur, thème récurrent de ce cynique Italia 90.
Un adversaire coriace mais à la portée des Anglais, pense-t-on, d'autant plus que quatre Lions Indomptables sont suspendus. Ils ont toutefois créé l'exploit en battant l'Argentine 1-0 en match d'ouverture, en finissant le match à neuf.
"On a su museler Maradona", expliquera Roger Milla, tiré de sa semi-retraite sportive réunionnaise... par le président Paul Biya, qui imposa Milla au sélectionneur soviétique, Valery Nepomnyashchy, qui ne voulait pas de Milla (voir ici). Le football du continent, qui ne compte que deux représentants, gagne enfin le respect qu'il mérite.
La présentation des Camerounais aux infos anglaises fait dans le cliché. "Dès l'enfance au Cameroun, les jeunes perfectionnent leur technique pieds nus dans la jungle", commente le reporter. Suivent des images d'un "witch doctor" (sorcier) nommé Papa Bamenda, qui lit dans des os d'animaux une victoire 2-1 du Cameroun.
Quart de finale : Angleterre-Cameroun, Naples (Stadio San Paolo), 1er juillet.
D'entrée, les Camerounais se montrent dangereux, et Shilton inspiré. À la 14e minute, le Lavallois Omam-Biyik allume Shilton à bout portant mais "Shilts" sort le grand jeu. À la 25e, et contre le cours du jeu, Pearce déboule sur le flanc gauche et centre parfaitement pour la tête de Platt, 1-0.
En seconde période, les Camerounais, qui ont enregistré la rentrée de Milla, se créent les meilleures occasions, tout en jouant avec le feu (un penalty aurait pu être sifflé sur une intervention litigieuse du gardien N'Kono sur Platt).
À la 61e, Gazza, appelé en renfort en défense, fauche Milla dans la surface. Kundé transforme le penalty, 1-1. À la 65e, Milla sert soyeusement le Valenciennois Ekéké qui plante, 2-1. Peu après, Milla et Omam-Biyik combinent et le futur Rennais est à deux doigts de tromper Shilton d'une talonnade. Les Anglais sont sonnés.
Mais la dureté du jeu camerounais va leur être fatal. À la 83e, Lineker est descendu à l'entrée de la surface par le Cristolien Massing et se fait justice lui-même, 2-2. Omam-Biyik teste Shilton. Prolongations.
Omam-Biyik, très en verve, sollicite de nouveau Shilton. À la 104e, Gascoigne ressort superbement le ballon et sert en profondeur Lineker qui se fait doublement découper par N'Kono et Massing. Le Soulier d'or de Mexico 86 convertit le penalty, 3-2.
Les Anglais, malmenés de bout en bout, s'en tirent bien. Une nouvelle fois, la virtuosité de Gazza a sauvé des Trois Lions dépassés. Robson philosophera fameusement : "Nous n'avons pas sous-estimé les Camerounais. Ils étaient juste bien meilleurs qu'on ne le pensait."
Consultant pour une chaîne britannique, Ron Atkinson a qualifié pendant le match un Camerounais de "absolutely brainless" (écervelé fini). En off, son co-commentateur lui demande s'il n'a pas peur d'avoir des ennuis pour cette remarque. "Big Ron" lui rétorque : "Bah, j'aurais juste des problèmes si sa mère regarde le match au pays depuis son arbre". En 2004, Atkinson sera définitivement mis hors d'état de nuire après des propos racistes sur Marcel Desailly.
Des incidents sont relevés après le match dans une douzaine de villes anglaises. Mais le mood a radicalement changé, il est à l'euphorie. Face à l'emballement médiatique, Robson doit calmer le jeu et rappeler que la RFA part favorite : 13 buts inscrits (contre 6 pour l'Angleterre) et les demies atteintes sans disputer de prolongation.
La presse encense le talismanique Gazza, qui a grandement contribué à faire passer l'Angleterre de ventre-mouiste à potentiel champion du monde.
Barricades au camping
À Turin, l'accueil est hostile. Le souvenir frais des 32 supporters Bianconeri tués au Heysel flotte dans l'air vicié. La maire de Turin, Maria Magnani Noya, appelle au calme devant les rumeurs de vengeance, tout en ajoutant ne rien pouvoir rien garantir.
Une énième interdiction de vente d'alcool est décrétée, de 51 heures avant le coup d'envoi celle-là. Des supporters anglais interviewés affirment qu'on ne leur a attribué que 500 billets contre 10.000 aux Allemands.
Le 3 juillet, au soir de la défaite des Azzurri face aux Argentins, des hordes d'ultras envahissent le centre-ville pour casser de l'Anglais, de préférence du Liverpudlien. Les bars sont fermés et ils font chou blanc.
Des groupes d'ultras attaquent alors un camping de banlieue bourré d'Anglais. Des barricades érigées sont incendiées. La police intervient à temps et évite le pire. Plusieurs centaines d'Italiens seront arrêtés cette nuit-là.
Demi-finale : Angleterre-RFA, Turin (Stadio Delle Alpi), 4 juillet.
Ce sont les Anglais qui répondent présent. On assiste à un pilonnage en règle du but teuton. Corners, tirs, têtes, demi-volées - tout y passe. Y compris un petit pont de Gazza sur Matthäus. Ce même Gazza teste Illgner de 25 mètres et remet ça sur l'action suivante.
Puis, c'est au tour de Waddle de se signaler. De 40 mètres, il allume un pétard qu'Illgner dévie difficilement sur la barre. La vision des Allemands, empruntés et asphyxiés, contraste avec celle du jeu anglais fluide et inspiré.
En deuxième mi-temps, les Allemands se réveillent et reviennent dans le match, sans toutefois prendre l'ascendant. À la 59e minute, Brehme ouvre le score d'un coup franc dévié qui lobe le malheureux Shilton.
Les Anglais sont maudits. Un penalty flagrant est refusé peu après à Waddle. À la 80ecependant, Parker expédie un long ballon dans la surface vers Lineker, qui égalise, d'un but à la Gerd Müller. 1-1, prolongations.
À la 98e, Gazza, de nouveau le meilleur Anglais, prend un jaune pour un tacle rugueux sur Berthold. C'est son deuxième en Italie et il comprend instantanément qu'il ratera la finale si ça passe. Il craque. Deux images, parmi les plus iconiques de l'histoire du football anglais, se superposent dans un moment magique ou la caméra croise fortuitement les regards.
Les larmes de Gazza, et le signal d'un grimaçant Gary Lineker vers Robson lui demandant de surveiller Gazza, en danger d'implosion en vol et d'expulsion. Robson gueule : "Parle-lui Gary, qu'il fasse pas une connerie." [6]

Les Anglais se reprennent. À la 105e, Waddle fracasse un poteau. Dans la foulée, Platt plante une tête mais le but est refusé pour un mini-hors-jeu de Gazza. À la 117e, Buchwald fiche un puissant brossé sur un montant.
Il était écrit, dans ce scénario équilibré (aux Anglais le temps réglementaire, aux Allemands l'extra time), que l'affaire se réglerait aux tirs au but. On en est à 3-3 quand Pearce s'avance. Et tire au milieu, dans les jambes d'Illgner. Thon inscrit le quatrième pour la Mannschaft.
Tout repose désormais sur Waddle. Ses quelques foulées du rond central paraissent interminables. Les 28 millions de téléspectateurs anglais retiennent leur souffle. Le Marseillais prend son élan...
Une semaine plus tard, Waddle apprendra que son ballon frappé comme une mule est dans le Derbyshire, ayant été récupéré par un Anglais, John Stone, présent au Stadio Delle Alpi ce soir-là avec son fils Nick, 7 ans (voir ici). Ce qui vaudra ce trait d'humour très british du Geordie : "Je savais que j'avais tapé fort mais de là à m'imaginer que le ballon avait atterri dans le Derbyshire !"
Le match terminé, de graves incidents causés par des hooligans anglais éclatent simultanément à Turin, Londres et Brighton, et ailleurs sur le littoral sud, ainsi que dans le nord du pays. Même la France n'est pas épargnée. Des violences qui entraîneront un mort, des dizaines de blessés et l'arrestation de 500 personnes.
L'Italie battra les Anglais 2-1 dans la petite finale. Ces derniers se consoleront avec le Trophée du Fair-Play. Gazza sera (le seul anglais) inclus dans le XI FIFA du tournoi.

Retour triomphal
Environ 250.000 personnes ovationnent les héros à l'aéroport de Luton et dans les rues de la ville. Une folie douce s'empare de l'Angleterre. Ce tournoi a consacré l'immense talent de Gascoigne et a fait de lui un héros national, un phénomène. La "Gazzamania" peut débuter. Cinq mois plus tard, il sera élu "personnalité sportive de l'année" par le public de la BBC.

Dans une volte-face dont les politiciens ont le secret, c'est une Thatcher radieuse qui accueille les Trois Lions au 10 Downing Street. Elle est dans le dur et jette là ses dernières forces dans la bataille (des luttes intestines à droite et la Poll Tax précipiteront bientôt sa chute).
Son court laïus de félicitations (retranscrit ici) est révélateur de ses réflexes populistes à vouloir sans cesse draguer l'électorat nationaliste [7].

Le 10 juillet, eu égard au bon comportement de la majorité de ses supporters, l'UEFA annonce la réintégration immédiate des clubs anglais en Europe (Liverpool devra attendre 1991). Le big bang de la Premier League, dont l'essor sera boosté par le triomphe de l'équipe nationale, est imminent.
La renaissance du football anglais est en marche, malgré la persistance du hooliganisme, surtout lors des compétitions internationales. Italia 90 symbolise une nouvelle aube, une fierté retrouvée.
Les joueurs ont fait évoluer les mentalités, conquis le public et leurs détracteurs. Une autre conquête, inattendue, se dessine : celle de la (re)connexion de la musique avec le football anglais.
Réhabilitation musicale
Le premier morceau de zique footballistique sortit en 1961 (le jazzy Tip Top Tottenham Hotspur, pour le doublé des Spurs un flop) mais ce créneau était depuis peu porteur car taxé de ringardise. Surtout, entre-temps, le football était devenu repoussoir. L'industrie musicale des Eighties refusa la compromission.
L'hymne anglais d'Italia 90, le World in Motion de New Order (les post-punks de Joy Division) qui cartonna, faillit bien ne pas voir le jour. La raison : ni New Order ni personne ne voulait être associé au football, à ses relents patriotiques, à sa violence et sa "beaufitude". Et tous les hymnes précédents étaient moisis et avaient floppé (sauf Back Home, celui de Mexico 1970).
New Order se laissera finalement persuader par le mythique boss de Factory Records, Tony Wilson, qui flaira le bon coup... à condition de créer un morceau "positif" en phase avec l'air électro-new wave du temps, d'inspiration mancunienne. Et plus si affinités.
Le message central doit véhiculer amour et eau fraîche, et prendre ses distances avec le football, ce qui fut le cas ("Love's got the world in motion [...] We ain't no hooligans, This ain't a football song"). Bingo. Le morceau squatte le sommet des charts... en compagnie de Nessun Dorma, interprété par Luciano Pavarotti.
À l'étonnement général, les fans s'approprient l'aria de l'acte final de l'opéra Turandot, choisie par la BBC comme thème d'Italia 90. Les "Trois Ténors" ont soudain tendance et ils multiplieront les concerts outre-Manche. Celui de Hyde Park en juillet 1991, sera le plus gros en plein air depuis les Rolling Stones en 1969, malgré la pluie battante.
Lissé et "défootballisé", World in Motion devient aussi un improbable hymne gay. Le feu vert est donné. La scène "Madchester" (The Stone Roses, Happy Mondays, The Charlatans, James, Oasis...) peut désormais s'afficher sans crainte avec l'ex-pestiféré.
Ces passerelles vers un médium aussi puissant et consensuel que la musique vont progressivement débarrasser le foot anglais de ses oripeaux sinistres et tribaux. En s'échappant de son ghetto pour quérir la lumière, le football anglais a dynamité ses horizons.
Le succès planétaire du roman Fever Pitch de Nick Hornby (1992, Carton jaune en français), puis de son adaptation au cinéma, participeront au processus de normalisation. À mesure qu'il redevient fréquentable, et désirable, le football 3.0 séduit la middle class qui s'éprend de ce sympatoche hobby qui attire dans ses filets familles, public féminin et peuple Footix.
La sortie des ténèbres enfantera une certaine nostalgie (ah, l'ambiance des terraces - populaires - et ces abonnements à 60 livres dans le Kop d'Anfield...), mais l'adoubement est total et la métamophorse définitive.
Exit le mal-aimé, place au prêt-à-consommer, au mainstreamisé. Un football soudain prisé des célébrités et courtisé par les politiciens. Tony Blair, auréolé du halo "Cool Britannia", surfera sur cette vague, gonflée par l'Euro 1996 et son aura musicale à la gloire de l'enfant terrible redevenu suffisamment respectable pour rentrer au bercail.
Italia 90 aura vraiment tout révolutionné. Pour le meilleur et pour le pire.
[1] Visionnable sur le site de Channel 4 ou sur DailyMotion. À signaler également : le DVD documentaire One Night in Turin sur toute l'épopée Italia 90 (sur Youtube). Ce docu regorge d'archives inédites et de surprises. On y voit notamment un jeune Chris Waddle bossant dans son usine à saucisses avant d'intégrer Newcastle United !.
[2] À la veille du deuxième match, Seaman se blessa au pouce à l'entraînement et David Beasant, le légendaire portier de Wimbledon, ère Crazy Gang, le remplaça. Mais Shilton, malgré ses 40 piges, ne laissera pas une miette aux remplaçants.
[3] Milieu sur lequel Bernard Tapie, en pleine tempête financière, déclara qu'il "pourrait facilement en tirer 80-100 millions de francs". Il le (re)vendra aux Rangers 25 millions, après avoir déboursé plus du double un an avant.
[4] Dans leur encyclopédie du hooliganisme britannique (The A-Z of Britain's Football Hooligan Gangs, 2005), Nick Lowles et (l'ex- hooligan) Andy Nicholls consacrent un passage à Paul Scarrott. "Il envoyait souvent des cartes postales à la police britannique pour les narguer, leur montrer combien il lui était facile de sortir du pays assister aux matches internationaux. Il prétendait que l'un de ses nombreux passeports était au nom de 'Al Capone'."
[5] Il ressortira plus tard que si trois joueurs avaient bien partagé un verre avec la Signorina Ciaravolo, le reste a vraisemblablement été plus ou moins inventé par le Daily Mirror et le Sun, qui se livraient une lutte acharnée. De l'infox pour faire vendre, évidemment, mais aussi pour nuire à Bobby Robson.
[6] Dans The Anatomy of England - A History in Ten Matches (2010), Jonathan Wilson revient sur cette séquence iconique. "Symboliquement au moins, c'est le moment où le football anglais a changé à jamais". Les larmes de Gazza "ont rendu le football anglais plus humain. On pouvait de nouveau l'aimer", dira Pete Davies, auteur de All Played Out : The Full Story of Italia '90 (1998).
[7] Le passage sur l'exemplaire fair-play des joueurs anglais qui sont "les premiers à tendre la main de l'amitié à l'adversaire pour le relever quand un choc les met à terre" et qui ne simulent jamais, repose sur la croyance que simulation et rouerie étaient l'apanage des étrangers.