Comment l'OM veut "redéfinir" ses supporters
Avec "Agora OM", Jacques-Henri Eyraud met le feu aux relations avec les supporters du club et s'imagine sortir vainqueur de l'incendie.
Par un communiqué, l'OM vient de lancer "Agora OM". Le branding sonne assez mal à cause de l'enchaînement de voyelles, comme dans "Jacques-Henri Eyraud". Le président du club (enfin, le CEO de la soccer franchise) a "impulsé" (sic) cette "grande initiative de concertation avec les supporters". Grande, en gras dans le texte, et "en lien avec la direction du club", si on avait un doute.
D'emblée, une déception. Qui peut encore croire que le terme "concertation" ne dissimule pas une promesse trahie d'avance? Pour faire illusion, on donne au moins du "Grenelle", de la "Convention Citoyenne" ou du "Grand Débat National", avec des capitales à chaque mot. Là, même pas un "Belsunce des Supporters Marseillais" (mais des "groupes de travail", des "plateformes d’échange d’idées" et des "appels à projets").
Tout ça "pour que direction et supporters s’unissent dans la définition du supportérisme". Il manque la réciproque: pourquoi ne pas définir aussi ce qu'est diriger un club de football? Cela semble plus urgent, et le transfert de compétences plus fondé dans ce sens-là: on voit mal ce que JHE pourrait enseigner aux ultras, quand lui doit encore apprendre ce que sont un club de football et la passion qu'il suscite.
Réappropier, exproprier
On ironise, alors qu'à ce stade (le milieu du quatrième paragraphe), afficher une volonté de dialogue au moment où celui-ci semble complètement rompu après les incidents de la Commanderie, c'est à saluer. Mais soudain: "Ce projet permettra à tous les amoureux du foot et de l’OM, familles, enfants, de se réapproprier le terme de supporter pour que celui-ci ne soit plus capté par des bandes violentes."
À traduire, c'est niveau grand débutant sur Duolingo. "Bandes violentes" = ultras. Quasiment des hordes barbares. Leur opposer amoureux, familles et enfants, c'est tout aussi explicitement désigner les supporters que l'on tolérera après la redéfinition. "Réapproprier" au profit des uns, c'est exproprier les autres: tous dans le même sac, et le sac au panier.
On suspectera moins JHE de manquer de confiance en lui que de préparer un "plan Leproux à la marseillaise", hypothèse que les rumeurs d'un rachat de l'OM par des fonds saoudiens ne peuvent qu'entretenir. Les ressemblances sont frappantes à plusieurs égards, mais l'entreprise n'en reste pas moins aventureuse et toutes les conditions – sinon celle d'une explosion – ne sont pas réunies.
L'institution et ses valeurs
Certes, le président, s'il n'a probablement pas lu La Stratégie du choc de Naomi Klein, a sans doute vu sur plusieurs diapositives PowerPoint que l'idéogramme de "crise", en chinois, peut aussi signifier "opportunité". Le prétexte est là, l'objectif aussi, répété au cas où certains auraient mal entendu: "Rendre le supportérisme à tous les amoureux de l’Institution OM".
C'est l'Institution (avec une capitale) qu'il faut aimer, pas un club ou une équipe, ainsi que ses "valeurs d'exigences et de respect". L'institution, c'est l'entreprise. Le terme de "valeurs", de nos jours, est lui aussi devenu un contenant vide, une incantation sans définition, un mantra généralement réactionnaire. Comme les "valeurs du rugby" ou les "valeurs de la République".
Les fameux pseudo-supporters, eux, n'ont pas de valeurs, ils ne connaissent que la "violence" (quatre occurrences). Les vrais, les bons, les braves supporters se reconnaissent à leur "amour" (une occurrence, quatre de "amoureux") dans le "nouveau mode de supportérisme" que la direction veut "impulser" (re-sic).
Un football sans supporters
Mis en demeure par un courrier qui menace de rompre la convention sur les abonnements, les groupes ultras ne pourront prendre la démarche que comme une déclaration de guerre. Ainsi que l'écrit La Provence, "le torchon brûle" entre eux et la direction de l'OM, qui vient de l'introduire dans une bouteille remplie de combustible.
Jacques-Henri Eyraud joue son va-tout sans donner l'assurance qu'il a bien évalué les risques et le rapport de forces. Son inconscience de ce qui ulcère les supporters (et qui n'est pas supporter, à Marseille?) ne plaide pas pour lui. Avec la rapide levée de boucliers d'élus locaux de tous bords contre son initiative, il est probable que sa meilleure option ne soit déjà plus que la retraite en rase campagne.
Pour l'heure, il laisse à penser que – à l'image du football français dans son ensemble, mais précisément là où la situation est le plus explosive –, il est incapable de prendre la mesure de la gravité du divorce entre les clubs et leur public le plus fervent. Inapte à remédier au problème, et même à le concevoir, il imagine une "agora" avec filtrage à l'entrée, un football sans supporters. Comme s'il avait pris goût aux tribunes vides du Vélodrome.