Comment continuer à aimer le football ?
Démode d'emploi – Pour entretenir nos sentiments avec une passion qui s'érode, voire qui nous trahit, il faut y mettre du sien. Ou se détacher.
La moitié des mariages finissent en divorce, mais l’amour du football dure toute une vie, en principe. Comme dans toute relation, vient un moment où les petits défauts que nous tolérions au début nous deviennent insupportables. Avec le football, c’est un peu l’inverse. Plus il se perfectionne, plus il devient difficile de l’aimer.
C’est-à-dire que le contrat que nous avions signé à la base nous convenait mais, année après année, de nouvelles lignes sont venues s’y ajouter. La situation s’est tellement détériorée qu’un week-end sur deux, on agite la menace d'une séparation. Des menaces vaines, auxquelles nous ne croyons pas nous-mêmes.
Le football a pris de la masse, il est devenu plus riche, plus sophistiqué et nous, à côté, nous sommes restés les pouilleux que nous avons toujours été et qui se font maintenant snober.
photo cc CJS*64
Tricher
Un récent article du Parisien était consacré à la nouvelle stratégie marketing du Red Star. Il y était question d’hommes d’affaires américains, de parcours touristiques et de loges VIP pour y causer business. De quoi faire tomber en syncope n’importe quel anarcho-communiste de Saint-Ouen.
Alors sans scrupule, on triche. On lorgne les divisions inférieures où c’est petit, vieux et confortable. Une sorte de dernier refuge du football populaire. D’autres, plus déterminés, organisent la résistance très concrètement. Un bon exemple: les Rencontres nationales de calcio popolare organisées à Pescia, en Toscane, cet été. Des réunions studieuses pour aller vers un football inclusif, autogéré et éthique.
Le truc est qu’il est encore possible d’aimer le football en se créant ses propres règles. Le football moderne est une machine que rien n’arrêtera – à part peut-être un krach économique. Pourtant, même en cas de chute, il n’y aura pas de retour en arrière. L’erreur, cependant, serait de penser que nos seuls choix sont la résilience et le conformisme.
Avec toute l’importance qu’on attribue au football, il n’est pas question de sacrifier ni ses principes, ni son bonheur. Certes, Bill Shankly a dit que le football est quelque chose de bien plus important qu'une question de vie ou de mort, mais il avait également dit qu’il regrettait les nombreux sacrifices qu’il avait consentis au nom du football.
L'ignorer
Le jeu doit rester un jeu. La principale fonction du football est de procurer du plaisir. Si nous commencions par prendre le football plus à la légère, ça serait un premier pas pour renouer avec ses émotions. Et si certains retroussent les manches pour bousculer le nouvel ordre, il faut se rappeler que, pour la plupart, le football est d’abord une distraction et un lieu d’évasion. Le même effort de lutte ne peut être raisonnablement exigé de tous.
Si la VAR est une abomination faustienne dont on ne peut se débarrasser maintenant, on peut choisir aussi de l’ignorer. Le mercato est une plaie? Pourquoi le suivre? La croyance que nous sommes forcés de subir en spectateurs dociles et résignés ne fait qu’accroître les sentiments de frustration et de dégoût.
Peu importe qu’on choisisse de s’impliquer ou qu’on préfère se tourner vers des championnats hors d’atteinte des velléités sécessionnistes des plus riches, il est possible encore de retrouver un football à notre image.
Enfin, en cette période de morosité, entre stades vides, menaces de ligues fermées et impossibilité de faire son five le dimanche, on peut aussi envisager d’arrêter le football, tout simplement. Temporairement jusqu’à l’amélioration des conditions ou définitivement.
Après tout, la résistance est aussi le refus de tout compromis qui ne soit pas pleinement satisfaisant. Toutes les histoires d’amour n’ont pas une fin heureuse.