Ces chers disparus
Lizarazu, Thuram, Zidane, Desailly... En 2004, les derniers grands représentants de la génération 1998 ont quitté la sélection sur un échec, et sans un hommage.
Auteur : Pierre Martini
le 12 Jan 2005
L'équipe de France championne du monde et encore d'Europe a jeté ses derniers feux dans le bouquet final de France-Angleterre, avec un renversement laissant croire que la magie était de retour. Puis ce fut l'extinction progressive, jusqu'à un coup de tête d'Angelo Charisteas qui marquait — on l'ignorait encore — la passation du titre. Contre la Grèce, la France a connu sa seule défaite de l'année 2004, mais celle-ci mit fin à toute une époque. Suspendu après l'« accident » de 2002, l'enterrement de 1998 et 2000 pouvait s'achever, avec son prévisible cortège de polémiques et d'interrogations. Un Panthéon fissuré On passa rapidement aux turbulences de la transition, durant un été qui vit se succéder les annonces de retraites internationales… en rase campagne. Et en septembre, tandis que le pessimisme prévalait pour les nouveaux Bleus, on en oublia complètement de saluer le départ des anciens, sur fond de vague rancune à l'égard des plus regrettés d'entre eux. Abandonnée, l'idée d'un match hommage, liquidée, l'adulation des « champions du monde », rangés, les albums souvenir. On ne peut même pas dire qu'on brûle ce qui a été adoré, il n'y a plus de quoi faire un bûcher. Étrange fin de l'histoire, qui attendra donc des commémorations ultérieures pour rendre à Zidane, Thuram, Desailly et Lizarazu l'hommage qui leur est dû. Laurent Blanc et Didier Deschamps ont raté leur fin de carrière en club, mais auparavant, ils avaient choisi le moment parfait pour quitter les Bleus et recevoir la révérence de la patrie, le soir d'un autre France-Angleterre… Alors que leurs quatre compères, eux aussi héros majeurs de l'épopée, prêtent le flanc à la théorie d'un départ — voire d'un déclin — mal géré. L'idée sous-jacente est implicitement que l'échec de la sélection française en 2004 serait surtout le leur. Et l'exemple le plus frappant est celui de Marcel Desailly, monument de notre football, parti sous des quolibets immérités et contraint de délocaliser sa statue au Qatar. Si le personnage n'inspire pas spontanément la sympathie, il y a quand même de quoi regretter un tel traitement — indépendamment du fait que son sort a probablement influencé le choix des autres. Lizarazu, star sur le retour Bixente Lizarazu, lui, aura marqué les esprits avec deux bourdes de choix : lobé comme un junior par Zagorakis sur l'action du but grec, en quart de finale de l'Euro, il a raté la tête en retrait la plus chère de l'année à Marseille en laissant filer Bernard Mendy au but, pour la victoire du PSG en Coupe de la Ligue — scellant au passage le destin du président qui l'avait recruté. Alors que Troussier laisse planer le doute sur sa volonté de l'utiliser, on parle de sa reconversion en consultant télé… Mais finalement, le latéral file au Bayern, non sans livrer à la presse les raisons de cette rupture, en particulier avec un entraîneur auquel il reproche son manque de psychologie et d'égards envers un joueur de son expérience. L'argument serait recevable s'il n'occultait totalement une demi-saison très quelconque… Rien de très flatteur pour un footballeur de cette envergure, qui a peut-être cru que le niveau du championnat de France siérait à sa préretraite, mais qui écorne son image sur ces propres terres. Là encore, il faudra attendre d'avoir plus de recul pour rendre justice au joueur pour l'ensemble de son œuvre. L'épisode illustre aussi l'extinction de cette figure maintes fois évoquée depuis 1998: le "retour des champions du monde" en Ligue 1, autrefois impossible, symbole des complexes franco-français, a ensuite connu les récriminations de Lebœuf ou Dugarry, outragés d'être sifflés en dépit de leur statut de mondialistes, avant de finir ainsi en eau boudin avec le Basque. Icônes with the wind Plus jeunes, Zidane et Thuram laissent aussi plus de regrets, d'autant que leurs qualités humaines et leur expérience les qualifiaient d'office comme des piliers de la reconstruction des Bleus — sans même parler de la magie que le numéro 10 sait orchestrer sur le terrain. Victime (et probablement co-responsable) de la désorganisation tactique de l'équipe, il n'a pas rayonné comme on l'espérait au Portugal, en dépit d'une belle efficacité. Cela a suffi pour que certains estiment que son absence ne serait pas une mauvaise chose sur le plan sportif. Voire… Son départ marque en tout cas l'ampleur du vide laissé par leur génération. Il en va également ainsi du silence de Thuram, figure plus discrète mais tout aussi emblématique de la victoire de 1998. L'ironie a voulu qu'il accède enfin au poste de défenseur central lors de l'Euro, et qu'il soit un des rares à y avoir tenu son rang. Tout juste a-t-il réagi, par l'incompréhension, au dépit d'Aimé Jacquet quant au "devoir" non accompli envers l'équipe de France. Le Turinois, qui rayonne encore au sein de la Juve, a choisi l'effacement, en accord avec sa personnalité... En définitive, la décision de ces retraites appartenait entièrement aux joueurs, et les polémiques sur les circonstances de ce choix n'ont pas grand intérêt, surtout s'il ne s'agit que d'alimenter le procès du nouveau sélectionneur. On serait beaucoup plus avisé de pointer la politique de dissuasion menées par les clubs pour inciter leurs stars trentenaires à se soulager des rendez-vous internationaux, recueillant ainsi les fruits du calendrier surchargé qu'ils ont contribué à mettre en place. Paradoxalement, Zidane a reconnu que l'absence des échéances internationales avait eu pour effet une sorte de décompression qui a pu nuire à ses performances en club... Rien ne remplace les Bleus, pour lui comme pour nous. Les « Zizou, Zizou » qui sont descendus des tribunes du Stade de France lors des débuts des nouveaux Bleus auront donc été les ultimes échos, absurdement nostalgiques, d'une grande fête qui méritait un meilleur épilogue. Il faudra probablement attendre 2008 pour célébrer plus dignement cette ère dorée. À cette date, l'amertume de la fin de l'histoire se sera sans doute dissipée.