Bordeaux : voir le stade à moitié vide ou à moitié plein ?
Belle réussite architecturale dont les coûts pour la collectivité n'ont pas dérapé, le Matmut Atlantique présente pourtant un catalogue des déboires subis par les nouveaux stades.
Les élus de la Métropole de Bordeaux se sont récemment vu présenter le rapport d'exercice 2016 de SBA (Stade Bordeaux Atlantique), l'entité qui gère le joli mais vilainement namé Matmut Atlantique. Les principales données étaient connues depuis le printemps, mais elles ont été l'occasion de commentaires dont Rue89 Bordeaux a rendu compte.
Le stade bordelais fait figure de bon élève dans le récent rapport de la Cour des comptes sur l'organisation de l'Euro 2016, notamment parce que la collectivité publique a correctement négocié le partenariat public-privé (PPP) avec le constructeur-exploitant (lire "Euro 2016, un grand coût derrière la tête"). Pourtant, le rapport d'exercice s'apparente à un catalogue des déboires (très prévisibles) rencontrés par les nouveaux stades français.

17.000 sièges vides
Le fait majeur est que l'exploitation du MA a été déficitaire en 2016 pour la deuxième année consécutive avec des pertes de 3,29 millions d'euros (3,6 sur l'exercice précédent). "La marge dégagée par les activités reste inférieure aux recettes garanties versées à la Ville", tandis que "les redevances versées ne couvrent pas les frais réels de l'exploitation", note le rapport.
Le rapport confirme le constat de surdimensionnement du stade en regard de sa fréquentation pour les matches des Girondins de Bordeaux, fréquentation qui représente la plus piètre performance des stades construits ou rénovés pour l'Euro 2016. La saison dernière, le MA a enregistré 55,7% de taux de remplissage, ce qui le place au 18e rang des stades de Ligue 1, derrière Monaco [1]. En affluence brute, il se classait à la 6e place, mais est dépassé par Nantes cette saison. La moyenne pour la première moitié de 2017/18 (24.555 spectateurs) masque des affluences aussi faibles que, par exemple, les 8.900 spectateurs du quart de finale de Coupe de la Ligue contre Guingamp.

La nouvelle enceinte compte 7.000 places de plus que le Stade Chaban-Delmas, mais elle n'accueille que 2.000 spectateurs supplémentaires en moyenne par rapport à la dernière saison à Lescure, laissant 17.000 sièges vides. C'est un tout autre "effet nouveau stade" qui était annoncé.

Les résultats médiocres des Girondins y contribuent évidemment, mais les chiffres sont très en-deçà des attentes. Autre facteur négatif, structurel celui-là: l'accessibilité très problématique de l'enceinte, dont la desserte par les transports est insuffisante et l'accès routier compliqué. L'abandon des centres-villes au profit de zones périurbaines handicape plusieurs nouveaux stades (Lyon et surtout Nice).
Des recettes surestimées
Le contrat de naming rapporte bien moins que ce qui avait été budgété dans le projet : 2,8 millions d'euros par an au lieu de 4,2. Comme ailleurs, un optimisme excessif avait gonflé les estimations. Le naming rencontre en France des résistances culturelles, c'est un marché de niche et les rares candidats négocient à la baisse.
Même cause, mêmes conséquences pour l'accueil de concerts. Aucun en 2016, deux en 2017, un programmé en 2018 [2]. Le marché des grands concerts a été surestimé, et la concurrence y est exacerbée par l'arrivée de nouveaux stades en France. L'inauguration en janvier prochain de la Bordeaux Métropole Arena, salle modulable de 11.000 places, ne va pas arranger la compétitivité du grand stade.
On note aussi que les coûts d'exploitation ont été sous-évalués au moment de l'offre, notamment pour les postes des frais de personnel (l'effectif moyen est de 15 personnes) et d'entretien de la pelouse (victime d'un champignon, le pythium, pendant l'été).
Le stade a enfin un coût environnemental très lourd, avec le transfert des déplacements vers la voiture, et une consommation d'électricité excessive due en partie à la luminothérapie pour la pelouse.
Un risque de dénonciation du PPP
Constatant que l'affaire n'est pas très bonne pour lui, le consortium Vinci-Fayat, qui exploite le stade, a déjà exprimé des velléités de renégocier le contrat de partenariat public-privé (PPP) confiant dans le fait qu'un PPP signifie toujours, du point de vue du contractant privé: "Pile je gagne, face tu perds".
Pour l'heure, la ville puis la métropole [3] ont opposé un refus net en effectuant un rappel au contrat et en incitant le partenaire à se remuer. Mais l'opposition estime que le risque est élevé que le consortium veuille le dénoncer, rejoignant l'avis de la Cour des comptes [4].
Malgré tout, le président de la métropole Alain Juppé défend toujours l'intérêt d'un stade "sans lequel nous n'aurions jamais eu l'Euro 2016, ni la perspective d'attirer des matches de la Coupe du monde de rugby en 2023 et ou les rencontres de foot des JO en 2024". Un Euro obtenu grâce aux nouveaux stades obtenus grâce à l'Euro: la séquence peut se reboucler à l'infini sans qu'aucun réel débat public ne porte jamais sur l'intérêt et le coût collectifs des grandes compétitions et des grands équipements sportifs.
Photo CC BY-SA 3.0, A. Delesse (Prométhée) [1] Et encore ce taux est-il amélioré cette saison par un abaissement de la "capacité commerciale" (nombre de places effectivement mises en vente). [2] Respectivement Céline Dion, les Vieilles canailles et Guns'n'Roses. En 2016, le stade a aussi accueilli trois matches de l'Union Bègles-Bordeaux (pour un taux de remplissage moyen de 68%) et 130 "événements d'entreprise". [3] La ville a transféré l'équipement à la métropole. [4] "Le risque d'une renégociation profonde du contrat, voire d'une dénonciation, ne peut pas être écarté si les groupes actionnaires devaient recapitaliser d'exercice en exercice la société de projet qui porte l'exploitation du stade", écrit la Cour des comptes.