Cette cape jamais dépassée
Avec Bleus éphémères, Raphaël Perry écrit l'histoire des internationaux bloqués à une seule sélection, pour l'éternité.
À l’heure où l’on compte bientôt une équipe complète de centenaires en équipe de France (Antoine Griezmann est le neuvième joueur à rejoindre le cercle des Bleus à cent sélections), il est bon de rappeler que certains footballeurs ont contribué à l’histoire de l’équipe de France le temps d’un match, et d’un seul.
C’est cette foule de joueurs à une seule sélection qu’a voulu raconter le journaliste Raphaël Perry dans son ouvrage Bleus éphémères. Le mot éphémère n’est peut-être pas le bon, dans le sens où il désigne ce qui s’efface après avoir été.

À la lecture de l’ouvrage et des témoignages recueillis auprès de joueurs concernés, on retient qu’une sélection en équipe de France ne s’efface jamais, n'eût-elle duré qu'un match, une mi-temps ou quelques minutes. Ni des palmarès, ni de la mémoire de l’intéressé. Une sélection en équipe de France est éternelle.
Ce fut "une parenthèse enchantée" Pour Thierry Laurey, sélectionné pour un Écosse-France de 1989. "Deux minutes ou 80 sélections, cela ne change rien au bonheur d’être sélectionné", affirma quant à lui Bernard Boissier, entré tout à la fin d’une rencontre perdue face au Portugal en 1975, jamais rappelé ensuite.
Longtemps recordman du temps de jeu le plus court, le Nîmois sera battu trente ans après par Franck Jurietti, qui a porté le maillot bleu durant… cinq secondes. Un record dont le Bordelais s’amuse: "Dans dix siècles, je le détiendrais toujours!"
Raphaël Perry, dont c’est le premier ouvrage (et à qui, en dépit du sujet, on souhaite que cela ne soit pas le dernier), a recensé 244 Bleus mono-capés, entre le printemps 1904 et l’été 2021. Le tout premier, Jacques Davy, avait la particularité de pratiquer le hockey en parallèle et de n’avoir plus été retenu pour cause d’attitude trop violente.
De page en page, on découvre autant de joueurs obscurs que de noms prestigieux, et derrière chacun d’eux, une situation particulière, une carrière hors norme, une malchance poisseuse – toujours une histoire à raconter.
Bleus à usage unique
Parmi les noms prestigieux figurent ceux qui deviendront de grands entraîneurs et des sélectionneurs à succès, tels Jean Snella et Michel Hidalgo, ou Rudi Hiden qui fut le dernier rempart du Wunderteam autrichien avant de devenir, une fois seulement, celui de l’équipe de France.
Et il y a les autres, qui ont connu en bleu une gloire toute warholienne, comme Pascal Chimbonda dont le nom fut la hype guignolisée d’un été, ou encore celui qui n’a ni commencé, ni terminé la rencontre, se blessant après être entré en cours de jeu.
Il y a ceux qui ont fait de la mono-sélection une sorte de tradition familiale. Ceux dont leur seule apparition fut un match historique ou une rencontre de Coupe du monde, dont Albert Rust, qui a bénéficié d’une prolongation, augmentant son bonheur unique au-delà des quatre-vingt-dix minutes réglementaires.
L’auteur présente ces joueurs par ordre chronologique, rappelle leur carrière et le contexte de leur unique sélection. Quand viennent les pages de son époque de prédilection, le lecteur est parfois surpris de lire qu'untel a un jour joué en bleu, ou que tel autre ne compte pas plus de sélections. L’ouvrage évite l’écueil de l'énumération en préservant un style vivant et non dénué d’humour.
Lire aussi l'interview de Raphaël Perry par Chroniques Bleues.
Ces Bleus à usage unique voyaient dans cette rencontre leur première sélection, mais probablement pas la seule. Ils ont attendu désespérément d’être rappelés par le sélectionneur, les plus chanceux n'ayant eu droit qu'au banc de touche et à un échauffement sans suite.
L’auteur a recueilli les témoignages de ces héros d’un jour chez qui pointe parfois un peu d’amertume que le temps efface peu à peu, faisant place à un merveilleux souvenir. Car, après tout, ne sont-ils pas des privilégiés, par rapport aux nombreux professionnels jamais appelés, ou à ceux qui n’ont connu de l’équipe de France que le banc de touche, un match non officiel ou l’équipe de France B?

Bleus éphémères. Histoires fabuleuses et cruelles des 244 joueurs sélectionnés une seule fois en équipe de France de football, de Raphaël Perry, éd. Hugo Sport, 19,95 euros.