Blasons maudits / 2
De Caen à Brest en passant par Rennes, Reims et Sochaux, le tour de France des logos parle bouteilles, animaux et losanges. Tout un programme...
Stade Malherbe de Caen
Le SM Caen a autant changé de blason que Xavier Gravelaine d’employeur. Le premier, celui de l’arrivée en D1, est un losange dont l’avant-gardisme technico-tactique ne pouvait avoir échappé aux Rudi Garcia, Hubert Fournier, Franck Dumas ou Philippe Montanier qui composaient alors l’effectif. Effectif dirigé par Robert Nouzaret, ce qui revient à imaginer Patrick Sébastien à la tête de l’ONF. On ne sait pas s'il faisait évoluer l'équipe avec le milieu en losange inversé cher à… Xavier Gravelaine.
Profitant de la disgrâce financière des Nantes, Bordeaux, Nice, le SM Caen s’invite à la table européenne le temps d’une année. Le SM européen en 92, c’est un coup de Maastricht et il aime ça. C’est l’avènement du drakkar prétentieux, symbole phallique régnant sur une mer indescriptible, mélange de sauce tomate et de flots menaçants. Le n’importe quoi règne. La preuve, Pascal Nouma arrive en vedette américaine, cinquante ans après un autre débarquement. Conséquence, le drakkar coule d’une division (blindée) et disparaît du blason suivant, où ne figurent plus qu’un ballon stylisé et trois épingles de cravate pointées vers un ailleurs dont le SM Caen chute chaque fois qu’il y grimpe. C’est chat-caennais pareil, se plaint Titi Deroin.
Finalement, l’année du centenaire est l’occasion d’un retour dans le livret de famille, pour se remémorer la date de naissance. L’or du blason est un peu galvaudé, il ne correspond à aucun trophée ou succès majeurs; ce n’est que de l’or insignifiant, minuscule, de l’or-nano. Les références aux collectivités locales sont effacées, la direction du club ayant senti venir la réforme des régions et l’unification des deux Normandie. Nous pourrons enfin la revoir sans se demander "Oui, mais laquelle?"
FC Sochaux Montbéliard
Le FC Sochaux fait partie de ces clubs qui ont choisi pour mascotte un animal qu’on ne trouve pas dans leur région: pas plus de lion en Franche-Comté, que de zèbre à Charleroi, de bélier à Créteil, de dragon à Porto, de licorne à Amiens ou de jeunes à Auxerre. Reconnaissons qu’aucun mystère n’est fait quant à la dimension purement symbolique du lion: ce ne sera jamais le fauve vivant qui sera dessiné, mais une version naturalisée, sous sarcophage – hommage à l’Égypte et souvenir lointain de la croisière noire. Absurdité historique, d’ailleurs, puisque seules des Citroën participèrent à cette expédition africaine. Première erreur de la part d’un club qui allait accumuler les sorties de routes jusqu’à Charlie Davies et la nomination comme capitaine d’un type au nom de camion hollandais (Daf, pour les conducteurs du dimanche).
Il faudra attendre la fin du XXe siècle pour voir apparaître un peu d’originalité dans les modèles. Soudain, c’est la diarrhée créative, on dirait du Pininfarina. Enjoliveur bleu ciel pour jante jaune 1998, à l’époque de la déchéance: celle des 205 Junior ("Avec ses sièges en jeans et ses bandes latérales – Pour épater toutes nos copines, on n'a pas eu de mal"). Preuve que ça ne tourne pas rond, le blason prend ensuite la forme d’un bouclier avec un sigle argenté beau comme une calandre.
Puis le lion finit par se démembrer au point d’en être réduit à sa tête sur la dernière version, trophée de chasse tourné vers le passé – comme tous ses prédécesseurs, ça aurait dû intriguer. C’est le début (encaissés, surtout) de la fin. Même Francis Gillot trouve le coin déprimant. Lui aussi se casse, y a plus un Pékin. Enfin si, un, mais on ne le voit jamais. Comme une certaine marque, présente tout au long de ce récit à direction mal assistée, mais jamais nommée. Vous ne vous en étiez pas rendu compte? Hommes de peu(geot) de foi!
Stade de Reims SC
Généralement, le changement total de blason sert à couper avec son histoire, pour passer à un nouveau Stade. On pourrait le croire dans le cas présent: "depuis 1931", est-il indiqué sur la seconde version, preuve que le club a de la bouteille et souhaite le faire savoir. En réalité, il y a bien eu un "avant-après", mais le vrai bouleversement pour notre Stade fut la loi Évin, alcool et sport ne faisant plus Kopa-Kopa, il est désormais très mal vu d’afficher une boutanche au poitrail. Comme si les footballeurs ne buvaient que Delaune !
Dommage, le premier écusson avait son originalité et pouvait, de loin, être confondu avec une base de lancement Ariane dessinée par un gosse. D’un autre côté, il n’aurait pas été en adéquation avec la réalité: parler de football-champagne ne peut être que publicité mensongère tant que l’équipe est entraînée par Olivier Guégan. Ce n’est pas lui ni Kankava (champagne) qui mettront les supporters en rémois.
Vivre dans un club ayant forgé son identité dans la nostalgie permanente demande des Reims solides. Se démener pour plaire à un public confit dans l’attente d’un Fontaine de jouvence n’est pas un Lucas Deaux. Et broder sur un club aussi palpitant qu’un mousseux éventé ne peut se faire sans recours à des jeux de mots vignobles. On partait Batteux d’avance: écusson, c’est une marque de cidre.
Stade rennais SC
Impossible de louper la présence des deux hermines qui, en plus de se faire la gueule, refusent obstinément de regarder le ballon qu’elles encadrent. Ici, elles ne sont pas les seules à ne pas vouloir cadrer. Sans vouloir manquer de respect à Jean Prouff et à son joli nom de dernier soupir, l’histoire du club est indissociable du presque succès. Malgré l’optimisme local qui fait prendre des supporters en carton pour des tribunes pleines, un presque succès est, et reste, un échec intégral.
Les écussons successifs n’échappent pas à cette malédiction. Ils adoptent tous les trois couleurs du jeu d’échecs (blanc, noir et parfois rouge dans les éditions pour daltoniens). Bien que cela ne soit pas visible ici, les fanas de Panini (rares à Rennes, où l’on préfère la galette-saucisse) s’en souviennent: le blason des années 80 (ci-dessus à gauche) était enchâssé dans un vortex noir et rouge prémonitoire de la montagne (Patrick) de déceptions qui allait écraser les supporters. Les Bretons se font une montagne de rien, notamment à Inzinzac-Lochrist.
Au milieu des années 90, on échouera à conjurer le sort par un retour à la sobriété, pour cause d'incompatibilité locale. Le Stade remonte néanmoins en D1 grâce à Michel Le Milinaire, le seul type au monde dont le patronyme est plus chouette qu’un surnom. Après quelques années hésitantes qui permirent notamment de faire croire à Yoann Bigné qu’il était joueur de foot, le club fut l’objet de la passion de François Pinault. Ce dernier avait lu Stendhal mais ne pouvait se payer Parme. Rien n’a changé, en réalité, si ce n’est la taille des ambitions déçues, transcrites dans un écusson grandiloquent dont les bestioles et le ballon disparaissent progressivement. Cet escamotage progressif annonce peut-être une lente désagrégation du club, ce qui reste le meilleur moyen de ne plus prendre de rouste de Lorient.
Stade brestois SC
Restons en Bretagne et, puisque nous avons pris la Route de Lorient, qui n’existe plus, mais bref (ils doivent avoir leurs Roazhon), poussons jusqu'à Brest. Le Stade brestois a connu successivement la réussite et l’anonymat, par vagues – ce qui n’est pas étonnant, sauf que les marées durent dix ans. En 1981, le président Yvinec recrute Bernard Pardo, Joël Henry, Thierry Goudet et Jean-Pierre Bosser, ce qui est applaudi par les tenanciers du coin, par les supporters et par le préposé aux guichets, Francis, qui ramasse le blé.
Tellement de blé qu’à l’été 1986, voilà que débarquent José Luis Brown et Julio César, internationaux argentin et brésilien, pour faire la charnière centrale devant Chaslerie, le gardien, parfois sujet aux absences (d’où la célèbre rengaine, "Où est Chaslerie?"). Problème, les deux hommes tiennent plus de Terence Hill et Bud Spencer que de Thiago Silva et Nicolas Otamendi. Par conséquent, le logo du club délaisse les armoiries de la ville au profit d’un plu réaliste dégagement en touche. Ça en fait des ballons perdus parmi les supporters, eux qui ont l’habitude de les vider. Bureau et Buscher ont beau former une attaque travailleuse, le Stade périclite et doit se vendre à Edouard Leclerc, l’homme des centres, qui met le club en tête de gondole (mais une gondole sur l’Atlantique, ça ne va pas loin).
Brest coule en 92 et, après dix ans de marée basse, renaît en 29. Enfin, en Stade brestois 29, car l’ancrage territorial est important, ce que reflète l’écusson surchargé des années 2000 avec sa pointe du Raz et des symboles piqués aux Rennais et aux Caennais (voir plus haut). Le club retrouve ces derniers en L1, mais n’y reste que le temps d’une course de replacement de Nolan Roux. Ce passage-éclair – sans coup de tonnerre, ce qui aurait été ad hoc – est suivi du retour à un blason dépouillé, rouge-trogne et SB29 dont la sonorité nous rappelle un indice de bourse. Ça tombe bien, Alex Dupont parle beaucoup des siennes.
BLASONS MAUDITS / 1 : PARIS, NANCY, LENS, MONTPELLIER ET BORDEAUX
BLASONS MAUDITS / 3 : TROYES, LE HAVRE, NANTES, NÎMES ET MONACO
BLASONS MAUDITS / 4 : LORIENT, LYON, TOURS, VALENCIENNES ET MARSEILLE
BLASONS MAUDITS / 5 : GUINGAMP, LAVAL, BASTIA, AUXERRE ET SAINT-ÉTIENNE
BLASONS MAUDITS / 6 : NICE, ANGERS, LILLE, METZ ET TOULOUSE