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Benjamin Pavard, hors-champ et pleine lucarne

Comme Carlos Alberto en 1970, le latéral droit tricolore a marqué face à l'Argentine un but particulier. Juste avant sa frappe, il n'était pas à l'écran, son apparition soudaine ajoutant à l'effet de sa frappe.

Auteur : Alan Durand le 2 Août 2018

 


On a tous revu la trajectoire du ballon des dizaines de fois. Depuis l'angle de caméra placé dans le dos de Benjamin Pavard, est encore bien imprimé cet effet tournant qui ferait presque sortir la balle du cadre, avant de l'emmener tout droit dans la lucarne de Franco Armani, le portier argentin. Un chef d'œuvre, c'est certain, mais encore? Il y a cette posture improbable, presque gymnastique, du latéral droit des Bleus, qui doit se pencher de manière peu académique pour fouetter la sphère. Les ralentis se succèdent sous différents angles et la sidération n'en est que plus forte.

 

 

Le surgissement depuis le hors-champ

Revenons à l'origine. Le but en direct et à vitesse réelle. Filmé depuis la tribune par le plan de base [1]. À la 57e minute, alors que l'Argentine mène 2 buts à 1, Matuidi lance Hernandez sur le côté gauche. Au bout de sa course, celui-ci centre instantanément. Le ballon est fuyant, à mi-hauteur, et ne trouve aucune tête. Après deux rebonds et un panoramique rapide de la caméra, on ne sait pas ce qui nous attend à la retombée. Un désir de supporter parcourt notre imaginaire footballistique une fraction de seconde, comme d'habitude. Va-t-on y avoir droit? Pour une fois, la réponse est oui. Le miracle se produit. Un corps a tout juste le temps de faire son apparition dans le champ par la droite, et catapulter un ballon dans la diagonale opposée, créant l'hystérie collective. La célébration de Pavard vers son banc est désormais une image gravée dans la mémoire collective.

 

 

Voilà de quoi nous parlons: un véritable surgissement. N'en déplaise à tous les amoureux du stade, ce qui nous anime ici est un pur plaisir de téléspectateur. Alors que le ballon dégagé par la défense rebondit encore, nous sommes tenus par un suspense vieux comme l'histoire des retransmissions télévisuelles: qu'est-ce qui nous attend dans la partie du terrain que l'on ne voit pas encore, le hors-champ? Est-ce qu'on va retrouver un joueur de notre équipe? Un adversaire? Si c'est un joueur de l'équipe qui attaque, va-t-il oser reprendre directement et frapper? Va-t-il dévisser et contester l'espace aérien aux pigeons, comme cela est si fréquent? C'est cette possibilité du surgissement, confondue à l'incertitude de la couleur du maillot qui va entrer dans le champ, qui font travailler notre imaginaire.

 

 

Vitesse de transmission et des acteurs

Comme un regard hors-champ d'un personnage inquiet de Spielberg, notre regard de téléspectateur est rivé à l'écran, attendant de voir à quelle sauce le ballon va être mangé. Soumis aux choix du réalisateur, ainsi qu'à la proportion de l'information visuelle circonscrite par le cadre, nous sommes à la merci de ce qui advient, et de la manière dont on nous laisse apprécier le spectacle. Régulièrement, l'origine et la conclusion d'un but nous sont offertes à l'intérieur d'un même cadre, sans que l'on ait manqué quoi que ce soit. Et d'ailleurs, cette histoire de hors-champ ne nous anime pas qu'à la seule occasion d'un but extraordinaire.

 

 

Dans le jeu, il s'agirait par exemple d'une passe au long cours, comme celle de Pogba à Mbappé qui amena le troisième but de la France en finale. Cette passe est si forte et soudaine qu'elle fait sortir du champ le ballon une fraction de seconde, et nous place dans l'attente d'un panoramique qui le rattrape. Il se trouve qu'avec la vitesse du Parisien, nous avons la chance de trouver, au bout du mouvement de caméra, un maillot bleu pour se ruer en premier sur la sphère. Le hors-champ est bien un des domaines dans lequel la France aura régné face à ses adversaires lors de cette Coupe du monde. Pas sûr que Didier Deschamps l'avait prévu.

 

 

Le chef d'œuvre inaugural de Carlos Alberto

En qualité de surgissement, la frappe de Pavard renferme en elle ce qui fait toute la puissance de l'émotion footballistique: la rareté. On le sait, les buts, et par prolongement les joies qui l'accompagnent, sont des phénomènes rares dans le foot... du moins au regard d'un certain nombre d'autres sports où l'on comptabilise les points. Le romantisme de tous les supporters réside d'ailleurs dans cette probabilité qu'un match puisse n'accoucher d'aucun but [2]. Et ceux comme celui inscrit par Benjamin Pavard contre l'Argentine sont des raretés parmi les raretés.

 

Si cette demi-volée est un héritage, il faudrait se plonger dans la première finale de Coupe du monde retransmise en Mondovision et en couleur: Brésil-Italie 1970. Il est un but qui restera à jamais au panthéon du football parce qu'il est l'œuvre de la sélection qui incarne à elle seule le mythe de la compétition: le Brésil 1970. Gérson, Jairzinho, Rivelino, Pelé et les autres. Face à eux, dans l'enceinte surbondée du Stade Azteca (107.000 spectateurs), un faire-valoir de luxe, la Squadra Azzura de Riva, Boninsegna et Rivera. Les couleurs chaudes du Brésil, maillots jaunes et shorts bleus, se promènent sur le vert universel de la pelouse, et accompagnent une des plus belles chorégraphies collectives de l'histoire de ce sport.

 

 

L'action, partie de la défense, se déploie au gré des dribbles chaloupés et déconcertants de facilité des joueurs brésiliens. Jairzinho finit par être trouvé le long de la ligne côté gauche, alors que le ballon titille une première fois le hors-champ. Le numéro 7 repique dans l'axe, contourne le bloc italien et s'en va trouver Pelé de l'autre côté de la surface. Dans un éclair de génie, le légendaire numéro 10 distille une passe aveugle vers une zone du terrain alors vide. Une passe imaginaire dans un espace qui ne contient aucun corps: ni adversaire, ni partenaire. Un temps suspendu. Et... le miracle advient. Carlos Alberto, déjà un latéral droit, déboule du hors-champ pour propulser le ballon dans le petit filet opposé. Un chef-d'œuvre inaugural qui en appellera d'autres.

 

En 1970, le peuple brésilien se donnait encore rendez-vous dans la rue pour écouter les matches à travers des haut-parleurs disséminés aux quatre coins des places publiques. C'est l'occasion de rappeler que ce plaisir de téléspectateur est lié à l'histoire des images et des archives télévisuelles qui nous font redécouvrir ces équipes, ces buts. Une histoire populaire du petit écran qui, lorsque le parcours de l'Équipe de France nous autorise à rêver, devient grand. On le place en hauteur dans un coin de bar et on lève tous les yeux vers ce spectacle doté d'un pouvoir hypnotique égal à celui du cinéma des débuts, lorsqu'il était une attraction foraine.

 

Le 30 juin 2018, en huitième de finale de la Coupe du monde, Benjamin Pavard est entré une première fois dans cette histoire. Le serait-il définitivement sans la victoire finale de Moscou, le 15 juillet dernier? Sans doute pas, et c'est une nouvelle preuve que l'histoire s'écrit à grand renforts de chefs d'œuvres, qui, mis bout-à-bout, finissent toujours par donner une victoire. Ici, celle du football comme spectacle générateur d'imaginaire et pourvoyeur d'émotion.

 

[1] Le plan de base, notion que l'on doit à Charles Tesson, est le plan principal utilisé lors des retransmissions de matches télévisés. Ne pouvant contenir tout le terrain, il oblige le cadreur à effectuer un panoramique "invisible", qui suit l'action des joueurs et la progression du ballon, sans que le téléspectateur ne s'en rende compte. Il définit ainsi le champ visible de l'image, et dans le même temps une zone hors-champ.
[2] Un sort que seuls les supporters danois et français auront connu lors de l'édition 2018.

Réactions

  • Toto le Zéro le 02/08/2018 à 13h55
    A partir du but de Pavard, les Bleus ne seront plus jamais menés dans cette compétition... But mythique.

  • ravio le 02/08/2018 à 14h46
    Marrant mais je n'avais jamais vu le but de Carlos Alberto filmé depuis cette tribune.

    Je l'avais vu sous cet angle : lien

    Notez que l'effet sur le téléspectateur est similaire...

  • AKK, rends tes sets le 02/08/2018 à 15h28
    Je viens de le revoir à l'instant : le but de Xakha contre la Serbie remplit parfaitement cet office. Balle contrée en retrait, qui traine... Qui va arriver dessus en premier ? Et le suisse catapulte le ballon au fond d'une belle frappe.

  • Hydresec le 02/08/2018 à 21h53
    Tout de même, je veux bien que le Brésil 70 soit le dernier beau et grand champion, mais qu'est-ce ça jouait pépère... Je veux dire, réussir des passes et des contrôles à la vitesse d'aujourd'hui me semble plus difficile qu'à cette époque "héroïque" mais lointaine où les joueurs avaient plus de temps pour anticiper et exécuter leurs gestes. J'aurais tendance à en conclure que les équipes récemment couronnées ont davantage de mérite à faire valoir leur supériorité dans ces conditions, mais ce serait sans doute sacrilège que de les comparer à une formation dans laquelle évoluait le roi Pelé.

  • Milan de solitude le 02/08/2018 à 22h05
    Et puis l'Armée rouge aurait fait un malheur en Azincourt.

  • Jamel Attal le 02/08/2018 à 23h20
    @Milan de solitude
    Aucun aggiornamento, il en faudrait plus. D'autant que le plan analysé par l'article est un plan large, celui dont on critique la marginalisation au profit de plans qui compromettent la compréhension du jeu. Plan large qui n'est pour autant pas dépourvu de hors-champ, mais qui réduit ce dernier – ce qui permet précisément le "surgissement" décrit par l'auteur.

    On n'a jamais "[sous-entendu] que la vérité et l'émotion ne pouvaient être qu'altérées par le prisme de la caméra", on a mené une critique des choix de réalisation (pas de la réalisation en soi, ce qui serait un peu absurde). Choix qui vont avoir ce genre d'effets, au profit d'un spectacle qui s'éloigne du jeu.

  • Milan de solitude le 03/08/2018 à 01h26
    Jamel Attal
    02/08/2018 à 23h20

    ---

    Je croyais percevoir sur ce site une petite musique laissant entendre qu'on ne vivait vraiment un match qu'au stade. Merci de cette mise au point.

  • Sens de la dérision le 03/08/2018 à 07h39
    Hydresec
    02/08/2018 à 21h53
    ----
    Un truc qui paraît bizarre aujourd'hui, c'est que les gars sont pépères, reçoivent le ballon, courent 10s et coupent leur effort d'un coup.

  • José-Mickaël le 03/08/2018 à 12h02
    Cela dit cette action a lieu dans les dernières minutes du match (et il n'y avait pas les arrêts de jeu de maintenant, c'est vraiment la fin du match). À 3-1 pour le Brésil qui confisque le ballon, j'imagine bien que les joueurs attendent surtout le coup de sifflet final.

  • lyes le 12/08/2018 à 15h54
    Ok ok c'est loin d'être le rythme et la pression sur le possesseur de 2018 mais quelle nonchalance sublime de Pelé sur cette passe. Il temporise à peine et voit 3 italiens face à lui, ensuite son geste et délié et délicat, tout son corps détendu et cette offrande vers un espace oubliée.

    Pour le but français c'est évidement différent avec un Matuidi hypertonique qui envoie une passe sèche en profondeur. Superbe mais Hernandez doit s'arracher pour pouvoir centrer.
    Et puis la ou Carlos Alberto venait conclure par un missile une action éthérée, c'est à peu près l'opposé avec cette volée de Pavard qui semble avoir une trajectoire infinie et prendre son temps pour faire basculer ce match vif et tendu.

La revue des Cahiers du football