Banale violence
Les rencontres de la journée du championnat ont donc été retardée de quelques minutes, à l'initiative des arbitres qui ont lu aux équipes un texte manifestant leur inquiétude et leurs revendications. M. Poulat, pour Bordeaux-Marseille, l'a rendu public devant les caméras de Canal+, mais a ensuite décliné l'invitation à le prononcer au micro du stade. Un choix raisonnable si comme lui on craignait la réaction des spectateurs, traditionnellement peu enclins à soutenir ce corps de métier…
Encouragée par la ministre des sports et la Fédération, relayée par les médias, cette initiative a atteint une partie de ses objectifs.
Braillards
Très remontés, les arbitres ont peut-être voulu se faire respecter avec plus de fermeté que d'habitude lors de cette 24e journée, à l'image d'Alain Sars qui n'a rien laissé passer durant PSG-Lens, distribuant neuf cartons jaunes tous plus justifiés les uns que les autres. Ce match a d'ailleurs donné un exemple typique du comportement coupable des joueurs, lorsque Diouf est allé engueuler le juge de ligne, pour n'avoir pas signalé (à juste titre) un hors-jeu de Robert. Alors qu'il n'y avait même pas but, que la décision elle-même était parfaitement légitime, qu'il n'était pas concerné et était très mal placé pour juger, l'attaquant lensois avait traversé le terrain pour hurler et gesticuler une stupide colère auprès de l'homme au drapeau.
Ce genre de geste très banal prend un relief supplémentaire en cette période de crise de l'arbitrage. Le football est un des rares sports où il est de tradition d'aller assaisonner les arbitres à la moindre occasion, alors que partout ailleurs cette attitude est sanctionnée durement. Devenues systématiques, les contestations sont un fléau qui a toujours bénéficié d'une incroyable tolérance, dans cette discipline où l'arbitre a été délibérément condamné à une position de faiblesse, à la fois parce que son travail est techniquement difficile et parce qu'il fait un bouc émissaire idéal. La comédie est ainsi devenue une composante essentielle de la panoplie du footballeur football, et pas seulement en Italie (où les défenseurs lèvent les bras même sur les buts les plus limpides et où les conversations avec l'arbitre sont incessantes). Le jeu s'en retrouve pollué, et la tâche des arbitres de plus en plus difficile. L'usage rétrospectif de la vidéo pour sanctionner toutes les sortes de simulateurs et de contestataires professionnels doit être sérieusement encouragé.
Le 14 juillet dans la gueule
Un autre épisode lamentable fut ce corner lors de Bordeaux-Marseille. Nelly Viennot et François Grenet durent se tenir dans une zone où en moins de dix secondes tombèrent un briquet et un fumigène (l'un ayant servi à allumer l'autre?) et où un pétard de forte charge explosa, faisant même sursauter l'arrière bordelais. Un incident qui a une multitude de petits frères à chaque rencontre, et qui montre dans quelle atmosphère d'insécurité opèrent les assistants. N. Viennot en est à nouveau la cible et l'on se demande si c'est une simple coïncidence, ou bien une provocation délibérée et le signe que certains supporters ont vraiment de la merde dans la tête.
Les banderoles déployées par les kops parisiens samedi soir, suite à la condamnation à de la prison ferme pour deux supporters qui avaient lancé des fumigènes sur les supporters stéphanois à Geoffroy Guichard, montrent qu'il y a du chemin à faire avant de faire évoluer les mentalités. On put lire entre autres le sécuritaire "Criminels en liberté, supporters en prison", le puéril "Justice=mafia", et l'incomplet "Un fumi allumé/ En prison pour leur passion/ Pourquoi pas la pendaison?", le laconique "Supporters!=criminels". Cette réaction de solidarité est en partie compréhensible, mais on préfèrerait voir au contraire les associations se désolidariser de ceux qui se rendraient coupables de ces gestes, qui sinon semblent considérés comme parfaitement normaux. Étranges tributs à la "passion", car si les supporters ne sont pas des "criminels", les criminels ne doivent pas être tolérés parmi les supporters.
Bourgoin contre le lobby des arbitres
Gérard Bourgoin a une grande capacité à trouver les mots qu'il ne faut pas. Ses réactions au mouvement des arbitres sont assez stupéfiantes. Selon lui, il ne faut pas que les arbitres remettent en cause "l'intégrité des Commissions". "Je trouve déplacé le fait de mettre la pression sur les Commissions (…) n'en faisons pas des martyrs", a-t-il aussi précisé. Le renversement des rôles et des responsabilités est spectaculaire: ce ne sont pas les arbitres qui ont la pression, ou dont on remet en causes les compétences et l'honnêteté, ce sont les pauvres commissions qui passent leur temps à les déjuger!
Cette condamnation de fait, qui se place très clairement dans le camp des clubs, montre à nouveau que la Ligue n'est plus qu'un outil politique à leur service (ce que Noël Le Graët avait empêché aussi longtemps que possible). Alors que l'on pouvait espérer du président un minimum de neutralité et la reconnaissance d'un réel problème, il ne fait que rabrouer les plaignants, montrant bien que les intérêts qu'il défend sont ceux d'une seule "sous-famille" du football. La demande des arbitres se sortir du giron de la LNF pour entrer sous celui de la FFF n'en a que plus de sens.
La crédibilité de la Ligue encaisse un nouveau coup avec le conflit soulevé par le corps arbitral, la mauvaise foi de son président n'y pouvant rien changer. La table ronde sur le sujet qui se tient ce lundi mettra en cause sa responsabilité dans la dégradation de la situation. Elle ne semble pas prête à l'assumer.