Angleterre-Italie : un pur chef d’œuvre
Angleterre-Italie était tellement émouvant qu’il a élevé le supporter jusqu’à des sommets habituellement inatteignables pour lui: l’objectivité.
Il est de tradition, pour beaucoup de supporters de l’équipe de France, de ne guère aimer les sélections anglaise et italienne. C’est pourtant sans amertume qu’il faut les décorer pour le fait d’armes suivant: on a peut-être vu, dans la nuit de samedi à dimanche, le match de foot qui a proposé le plus haut niveau, la plus belle qualité de jeu qu’on ait jamais vu sur un rectangle vert (pantone PMS 369).
Non pas qu’il ait été question du "plus beau match" dans l’absolu (mille raisons particulières peuvent faire qu’un match est le plus beau, ou juste beau). Simplement, celui qui a montré "le plus haut niveau". De l’expérience et l’intelligence de jeu de Pirlo (changement d’orientation, capacité à agir nettement sur le rythme du jeu, aussi bien pour l’accélérer que pour le poser), à l’audace fougueuse de Sterling, Sturridge, et Balotelli (grands ponts dans la surface, dribbles variés, frappes soudaines, dilettantisme pour lober dans un angle improbable…): ce match a montré la palette de tempéraments et de styles la plus large.
Dans tous les domaines
Ensuite, il faut parler des passes. Là encore, toute la palette disponible, portée à son plus haut degré de perfection. Gerrard sur trente mètres à ras de terre, Verratti dans les petits périmètres, Pirlo partout et parfois en évitant le ballon, Rooney en plein débordement et de son mauvais pied, le gauche, le pied gauche avec lequel Candreva, après une première feinte, a trouvé l’habile appel de Balotteli au second poteau avec son centre millimétré: tous les types de passes ont trouvé un ministre impeccable pour les incarner. Même les passes "simples" étaient supérieures aux passes des autres matches: toujours appuyées, jamais dans les talons quand elles étaient dans les pieds, et lorsqu’elles étaient dans la course, toujours à la fois le plus loin possible et récupérables par le destinataire. Si une transversale de Rooney a terminé en touche, c’est parce que le jeune Sterling, encore un peu tendre, a cru qu’il avait le temps, dans un match aussi magnifique, d’attendre un rebond avant d’amortir. (Sa seule erreur, dans un match où il a rappelé ce que signifiait "dribbler": sans grands renforts de grigris parasites qui font perdre du temps à tout le monde.)
Et les frappes! En force, en douceur, du coup de pied, du plat du pied, du… On ne se sait pas encore trop pour Pirlo sur coup franc – avec élan, sans élan, dans la course, de près, de loin… Toutes les frappes. Y en a même eu une sur la barre. C’est beau, une frappe sur la barre. Tout cela, sous trente degrés avec un taux d’humidité extrêmement élevé. Le dégagement directement en touche de Joe Hart, les crampes des joueurs, le corner complètement foiré de Rooney nous ont rappelé, comme un pincement amusant, que tard dans la nuit nous ne rêvions pas.
Comment l’accepter ?
Difficile d’accepter la fatalité? De reconnaître l’évidente supériorité de ces deux meilleurs ennemis de la France (juste derrière l’Allemagne)? Eh bien non. Pour trois raisons précises. D’abord, parce que dans la famille des supporter acharnés, on peut être celui qui aime le foot plus que l’équipe favorite: c’est alors tout naturellement qu’on se courbe devant l’équipe qui force le respect, quel que soit son style ou son identité. L’Italie a tellement agacé, par le passé, avec ses façons de l’emporter, qu’on ne va pas maintenant lui reprocher de briller! Ensuite, parce qu’il faut faire l’amour et pas la guerre. La coupe du monde est une parenthèse d’où toutes les problématiques sociales et politiques doivent être écartées, manifestement – le clip de l’hymne, ça c’est bonheur!
Enfin, parce que les Italiens sont superstitieux, et qu’ils ne vont pas du tout aimer cette conclusion: Messieurs, vous êtes manifestement les meilleurs, vous allez remporter cette Coupe du monde. Ils ne vont pas apprécier, car ils appréhendent que ce genre de discours ne leur porte la scoumoune, les Italiens. Ils pourraient même aller jusqu’à dire que je l’ai écrite pour ça. Pour leur porter malheur. Comme si un supporter pouvait se rabaisser à cela. Alors que pas du tout. Pas – du – tout.