À titre exceptionnel
Le diable se cache dans les détails, et les unes de L'Équipe en disent assez long sur l'évolution récente du quotidien sportif...
Souvent annoncé, le passage de L'Équipe au format tabloïd est pour l'instant mis entre parenthèses par l'avènement d'Aujourd'hui Sport et par diverses interrogations métaphysiques. Cela n'empêche pas certaines évolutions d'être de plus en plus en sensibles, notamment sur la façade de l'institution: sa première page.
Afin de confronter des impressions persistantes à des éléments concrets, nous avons comparé les titres de L'Équipe de 2005/06 et ceux de 2008/09, sur la période septembre-janvier (1). Pour constater que les nouveautés et les évolutions étaient nombreuses.
Poursuite du trivial
On assiste ainsi à une multiplication des unes directement consacrées à une vedette, sans autre forme de justification:
"À Nasri de jouer". "Ronaldo rêve de Paris". "Gourcuff contre Gourcuff". "Benzema fait-il rêver l'Europe?" "Bordeaux et Milan s'arrachent Gourcuff". "Dingues de Ribéry!" "Sir Nicolas Anelka".
Si le principe n'est pas nouveau, il atteint une fréquence inédite (une fois toutes les trois semaines en moyenne).
Un langage plus trivial, recourant largement aux expressions familières, se répand, alors que ce traitement était très marginal trois ans auparavant:
"Nice volé à Lyon". "Les gros sans pitié". "Lyon met la gomme". "Klasnic bute Lyon".
Cette tendance amène parfois le quotidien à proposer des titres qui infantilisent résolument le lecteur:
"Même pas peur!" "Lyon c'est dingue!" "C'est génial!" "Trop fort Parker!"
Nouvelle également, l'insistance à mettre en scène la relation du journal avec le sujet traité, par le moyen d'injonctions adressées aux acteurs du sport:
"Rassurez-nous!" "Que ça change, et vite". "Mo-bi-li-sez-vous!" "Imitons Famagouste!" "Réchauffez-nous!" "Cette fois, lâchez vous". "Tous à vos postes!"
Il arrive même que la relation avec le lecteur soit mise en scène: "Nous, on a aimé". L'usage du franglais est également une spécificité 2008 ("La L1, c'est show!" "Benzema is back!").
L'important c'est les 27 points
Sur la même période en 2005, nous n'avons trouvé que sept unes pouvant tomber dans les catégories précitées:
"Où en est Zidane?" "Qu'on en finisse!" "Le monde est gaulois!" "On se revoit en 2006!" "Enfin reine!" "Lillois, c'est ce soir!" "Joyeux Noël, Toulouse!" "Bonne année les petits!" "Elle est bien bonne".
Soit sept points d'exclamation utilisés en cinq mois contre 27 entre septembre 2008 et janvier 2009 (environ un tous les cinq jours et demi).
On notera que ces derniers mois comptent déjà une proportion étonnante de unes mémorables:
"Domenech, l'incroyable vérité", "Nice volé à Lyon" suivi de "Lyon ne l'a pas volé", "La Lettre au Père Noël" (qui comparait Lassana Diarra et Jean-Claude Darcheville au large désavantage de ce dernier), "Le successeur" avec Gourcuff et Zidane, et la fameuse vraie fausse Laure Manaudou.
La une "Deschamps tout près du PSG" est, elle, un classique du quotidien, comme l'est devenu le traditionnel entretien avec Robert-Louis Dreyfus allumant son propre club en plein milieu de saison.
Un jour sans fin
On s'amusera de quelques collisions inopinées, parfois avec le petit frère. Le 30 novembre, Lyon-Valenciennes vient de se jouer sous une pluie battante. L'Équipe titre "À quoi ça rime?". Une quarantaine de jours plus tard, le 8 janvier, alors que la L1 s'apprête à jouer sous un froid polaire, Aujourd'hui Sport titre… "À quoi ça rime?".
Le 24 octobre 2005, un enthousiaste "Toujours Verts" barre la première page. Trois ans plus tard jour pour jour, le 24 octobre 2008, Gomis pleine page est surmonté d'un non moins enthousiaste "Toujours Verts!". Identique... à un point d'exclamation près.
Encore figé dans un format que son propriétaire hésite à bouleverser, au point de préférer tenter des expériences avec Aujourd'hui Sport, le quotidien L'Équipe se réforme par petites touches plus qu'il ne se révolutionne. La liste est longue des aménagements effectués depuis la rentrée, correspondant à l'entrée en fonction d'une nouvelle direction: articles plus courts, multiplication des hors-texte et des infographies, mise en tête de gondole des "plumes" dont la photo d'identité accompagne les papiers, goût pour la mise en scène des débats sous forme de questions ou de pourcentages ésotériques...
Le traitement de la une de L'Équipe témoigne de la tentation de glisser d'un sensationnalisme ordinaire vers une démagogie plus ou moins assumée. La ligne éditoriale reste en tout cas plus proche d'un journalisme d'exclamation que d'un journalisme d'opinion: les pages intérieures confirment une hiérarchie de l'information qui place les enjeux économiques et politiques du sport ou la question du dopage très loin derrière l'écume de l'actualité et les controverses usuelles.
> Lire aussi : "On ne change pas une Équipe qui vend", sur le recyclage sans fin des mêmes titres stars.
(1) Cette petite étude empirique, qui porte tout de même sur plus de 300 unes au total, n'a évidemment pas force de vérité scientifique.