Un cadavre dans le Blaquart
Avec des sanctions symboliques, la FFF donne un épilogue amer à une affaire des quotas passée à la trappe des médias. Bonus: un document d'archives ironique...
Auteur : Jérôme Latta
le 3 Juin 2011
Le désir de ne pas provoquer de remous supplémentaires, à la veille des élections fédérales, a peut-être joué dans les décisions de la Fédération, remarquablement clémentes. Si l'on pouvait s'attendre à ce que Laurent Blanc soit épargné moyennant des excuses explicites (lire "Le coup d'éponge plutôt que le coup de torchon"), les sanctions annoncées indiquent qu'il s'agissait de remettre le couvercle: six jours de mise à pied pour André Prévosto (lequel, détenteur de l'enregistrement de la réunion, n'a pas alerté sa hiérarchie) et un simple avertissement pour François Blaquart. La FFF a donc considéré que la rétention, par un tiers, des propos incriminés était plus grave que l'expression de ces propos. Mohamed Belkacemi l'a échappé belle, lui qui, au lieu d'être salué comme un lanceur d'alerte, a été fustigé en tant que "taupe". Érick Mombaerts, lui, n'est même pas inquiété.
Blanc seing
François Blaquart a fait la démonstration de son incompétence "technique" à ce poste un envisageant un système de discrimination qui aurait affaibli le football français, reposant sur une vision idiote des caractéristiques techniques, physiques et mentales des jeunes joueurs. Sans même aborder les implications morales de la discrimination projetée et des amalgames mobilisés [1], il y avait là des raisons suffisantes pour chercher un autre DTN (d'autant que ce dérapage va probablement pousser encore plus de jeunes à repousser la nationalité sportive française). Sur le fond, on peut donc être le plus haut responsable technique de la formation française et promouvoir l'exclusion de jeunes "binationaux" de douze sur la base d'un brouet d'amalgames et d'une vision étroite – pour ne pas dire xénophobe – de l'identité footballistique nationale (lire "Amalgames over")... sans encourir la perte de son poste ni même devoir s'excuser.
La "morale" de l'histoire est confondante. Elle cautionne les discours déjà fortement banalisés qui stigmatisent indistinctement les jeunes de banlieue / "issus de l'immigration" / Noirs et Arabes, optionnellement musulmans / présumés mauvais Français. Elle conforte le racisme ordinaire, de plus en plus décomplexé, qui s'est massivement exprimé en marge de l'affaire. L'affaire des quotas vous souhaite une excellente élection présidentielle 2012.
Indigence disciplinaire
De toute façon, comme l'indique le nombre famélique d'articles consacrés à cet épilogue par des médias qui avaient pourtant ouvert leurs journaux sur l'affaire, il n'y a plus de place dans l'actualité pour elle, même plus de curiosité: on est passé à autre chose. L'affaire n'a pas été et ne sera pas jugée sur le fond, elle n'aura vécu qu'en fonction de son intérêt médiatique à un instant donné (elle a même été travestie dès lors que les personnes mises en cause ont été présentées comme des victimes). On se sent d'ailleurs un peu casse-bonbons, à revenir dessus [2].
Il ressort aussi de cette affaire une conclusion maintes fois tirée sur ces pages, depuis des années: la Fédération, tout comme le football professionnel au travers de la Ligue, sont incapables d'exercer la justice contre eux-mêmes. Il en résulte une indigence disciplinaire invraisemblable, épargnant ceux qui bafouent tous les principes dont chacun se réclame vertueusement (l'immense escroquerie des "valeurs" du sport). On parle beaucoup de gouvernance à l'occasion des élections pour la présidence de la FFF, mais voilà un problème de cette nature, grave, qui n'est même pas abordé. Le bilan est d'autant plus amer que, pour notre part, nous garderons en mémoire tout au long de leur mandat les propos tenus par le DTN et le sélectionneur des Espoirs. Nous leur devons bien ça.
[1] Demandons-nous encore une fois pourquoi François Blaquart a affirmé, au cours de la réunion du 8 novembre, que cette politique de discrimination était déjà en place dans certains clubs et que lui-même avait donné des instructions en ce sens.
[2] D'ailleurs on le fait un vendredi de pont de l'Ascension.
Document : une campagne de publicité de SOS racisme en 1998...
