Le Paris Saint-Germain ne vaut rien
À vendre mais toujours pas vendu, le PSG alimente les fantasmes sur son rachat par un fonds qatari. En attendant de devenir le Manchester City d'ici, il reste un boulet pour ses propriétaires actuels.
Auteur : Jérôme Latta
le 30 Mai 2011
Américains, Russes, Arabes du Golfe. Les rumeurs sur de potentiels repreneurs pour le PSG ont défilé quasiment sans discontinuer... depuis la vente du PSG par Canal+ en 2006. Colony Capital (98,4% du capital au terme du rachat des parts de Morgan Stanley et Butler entre avril 2008 et décembre 2009 [1]) est aujourd'hui plus que jamais prêt à vendre, étant quasiment parvenu à son principal objectif stratégique initial: l'obtention du bail emphytéotique du Parc des Princes à partir de 2014 et pour quarante ou soixante ans (qui commenceront par la rénovation du stade). Une bonne opération sur le marché de l'immobilier correspondant au métier du fonds américain, alors que la gestion d'un club de football relève de toutes autres motivations, s'avère fort décevante sur le plan financier et implique un lourd fardeau médiatique.

Cela fait plus d'un an que courent les rumeurs d'un rachat du Paris Saint-Germain par le fonds d'investissement souverain du Qatar (QIA), avec des tractations ouvertes depuis plusieurs mois mais menées au rythme très lent souhaité par les candidats. En 2006, Luc Dayan avait échoué en tant qu'orchestrateur d'un premier projet de rachat avec des opérateurs qataris, subissant notamment l'opposition de l'Hôtel de ville. Fin 2008, Charles Villeneuve fait jaser en jouant les peu discrets intermédiaires avec le même pays. Au printemps 2010, un accord portant sur 66% des titres aurait été trouvé avec QIA, qui n'a ensuite pas confirmé son offre. En décembre dernier, le club annonce l'arrivée d'actionnaires minoritaires, que la presse croit en provenance d'Amérique du Nord ou d'Europe de l'Est (on a un peu l'impression d'une partie de Risk). La piste américaine avait déjà été évoquée en 2006 et 2008...
En avril, Sébastien Bazin, directeur pour l'Europe de Colony Capital, lançait officiellement un processus de recherche de repreneur majoritaire. Avec plus de 100 millions d'investissement à perte sans pouvoir enrayer le déficit chronique du club, l'actuel actionnaire majoritaire ne veut pas brader son avoir, mais il n'ignore pas que l'occasion ne sera peut-être plus jamais aussi belle: le bilan sportif est satisfaisant, l'effectif bien valorisé, les tribunes sont "pacifiées" et les effets de la crise économique encore limités (ou du moins le traditionnel déficit parisien passe-t-il plus inaperçu – lire "Le football français ne veut pas voir son trou").
Opération géopolitique
Reste à savoir combien vaut le Paris Saint-Germain, c'est-à-dire une entreprise qui perd de l'argent et qui est régulièrement sujette à des soubresauts aux conséquences incalculables. Les spécialistes placent leurs pronostics dans une fourchette de 40 à 60 millions d'euros. Une somme qui paraît dérisoire en comparaison des montants des transferts pour les meilleurs joueurs, mais qui indique bien qu'en soi, les clubs ne valent pas grand-chose. Du moins ne valent-ils que le prix auquel vendeurs et acheteurs s'accorderaient (ainsi, l'OM n'a jamais valu les 110 millions de Jack Kachkar). En 2006, Colony Capital, Morgan Stanley et Butler Capital Partners n'en avaient eu que 26 à débourser... pour avoir le droit de perdre de l'argent et de voir leurs enseignes au fronton des médias dans un contexte délétère.
Institution d'État, Qatar Investment Authority ne chercherait pas un supplément d'âme comme les mécènes à la Abramovitch, ni un retour sur investissement comme la famille Glazer avec Manchester United. L'opération entrerait plutôt dans une stratégie d'image internationale. Le Qatar, organisateur de la Coupe du monde 2022, veut se positionner comme un acteur du football international, tout en acquérant une expérience dans cette industrie: il entre dans les objectifs celui d'une sorte de transfert de compétences. Ni danseuse, ni centre de profit, le PSG serait un outil géopolitique: une expérience encore inédite en France.
Avec de tels enjeux, QIA devra bien mesurer le "risque politique" inhérent à la possession du PSG, en évitant de se griser avec l'impression d'avoir acquis un morceau du prestige de la capitale française – alors qu'il n'aura avec certitude que contracté des conflits de voisinage à Boulogne-Billancourt.
150 millions pour rêver
Cette perspective d'une reprise par une institution dont les capacités d'investissement paraissent illimitées alimente évidemment les fantasmes. D'abord sur "l'origine des fonds", jouant sur l'amalgame entre des fortunes douteuses et d'autres simplement trop étrangères. Les minauderies politiques d'il y a quatre ans ne sont cependant plus de mise aujourd'hui, Doha ayant la bénédiction de l'Élysée. Réagissant à une déclaration intempestive de Chantal Jouanno ("Je préfère quand ça reste français"), Luc Dayan a résumé la situation dans Le Parisien: "On a intérêt pour notre football à arrêter de tenir un discours xénophobe, parce qu'on ne trouve plus d'actionnaires."
Mais c'est probablement à propos du projet sportif que les imaginations s'enflamment le plus. L'idée d'un Manchester City à la française a de quoi faire rêver une majorité de supporters, et le nom d'Arsène Wenger a été maintes fois imprimé ces dernières années. "Le chiffre de 150 millions d'euros investis sur les trois prochaines années se murmure parfois", écrivait L'Équipe le 10 mai dans un flou suggestif. À ce stade encore très hypothétique, les ambitions sportives des nouveaux propriétaires sont inconnues, mais a minima, le club retrouverait une capacité d'investissement sur le marché national et une sécurité financière certaine pour son avenir à moyen terme [2].
Mais voilà, on n'en est à ce jour qu'à des spéculations sur un rachat que Le Parisien estimait imminent en début de semaine dernière, mais qui attend d'être confirmé puisque le sujet n'a pas été abordé lors du conseil de surveillance du club, mercredi. La non qualification du Paris-SG pour le tour préliminaire de la Ligue des champions détermine forcément les termes de l'accord éventuel. S'il est encore remis aux calendes grecques, le mirage qatari se dissipera et le Paris Saint-Germain, restant sur les bras de Colony Capital, ne vaudra toujours rien.
[1] Lire l'enquête très intéressante et en plusieurs volets de PSGMAG.net sur la structure financière du PSG.
[2] Malaga offre un point de comparaison: son propriétaire le cheikh Abdullah al-Thani, membre de la famille princière du Qatar, s'est d'abord montré peu dépensier. Le club espagnol ayant dû batailler pour échapper à la relégation, après Julio Baptista et Martin Demichelis cet hiver, des noms ronflants sont attendus en Andalousie.