« Canal Football Club est une émission intelligente »
Interview: Cyril Linette (2). Dans cette partie essentiellement consacrée au Canal Footbal Club, le directeur des Sports défend ardemment sa création.
Auteur : Propos recueillis par Jérôme Latta et Thibault Lécuyer
le 26 Oct 2010
Deuxième partie de l'entretien. Lire aussi « Nous avons réussi à réduire la place des polémiques sur l'arbitrage »

Il y a une tendance qui n'est pas propre à Canal mais qui est peut-être plus regrettable encore chez Canal: dans les émissions de football, il y a de moins en moins de football. Le Canal Football Club est un bon exemple, parce qu'il y a énormément de discussions de plateau, de sujets sur les à-côtés. Et même à l'intérieur des résumés, de plus en plus de séquences sont consacrées à des scènes de vestiaires, de couloirs, de tribunes quand ce n'est pas à Salma Hayek…
Je vois l'objection... D'abord, je suis plus que satisfait du CFC, pas en raison des audiences – parce que les audiences ne sont pas la question du fond...
Vous êtes quand même évalué là-dessus...
Sur le CFC un peu plus parce qu'on est en clair, sur le reste non. Je pense que c'est une émission intelligente, qui atteint aujourd'hui un point d'équilibre, donc je suis très content de ce que nous avons a fait. Cela a été long, il y a eu des tergiversations, nous sommes parfois partis dans tous les sens – mais pas dans la variété comme vous l'avez écrit. Cette impression est sans doute liée au fait que nous ne devons pas faire la même émission que Jour de Foot. À l'époque de la fameuse interview, je trouvais que Jour de Foot était une émission qui partait beaucoup dans le hors-sujet. Il y avait toute une énumération de choses en novlangue – un focus, une camiso... – et à l'arrivée, sur une heure d'émission, nous étions tombés à vingt-cinq minutes d'images.
Quelles conclusions en avez-vous tiré?
Lorsque nous avons remporté cet appel d'offres, un an après notre interview, je me suis retrouvé avec trois magazines à faire: un le samedi, un le dimanche et un le lundi, sur la même matière – les matches. La seule différence entre le samedi et le dimanche, c'est qu'il y a deux matches l'après-midi. Il ne fallait pas faire la même émission le samedi et le dimanche, d'autant que le CFC est regardé par une majorité d'abonnés. Première chose: faisons de Jour de Foot quasiment une émission de direct, en donnant le plus de place possible à des résumés bruts de décoffrage, avec le commentaire de Foot+. Une émission très épurée qui donne l'impression de voir du foot pendant une heure. En comparaison, les résumés du CFC sont plus "malaxés", avec à l'intérieur des interviews, des séquences du vestiaire, des bus qui arrivent, de la presse. Le résumé de Lille-Bordeaux dans Jour de Foot va durer six minutes, avec six minutes de foot, et dans le CFC, trois minutes ou trois minutes trente avec deux minutes quinze de foot…
Mais il y a moyen de montrer du football autrement qu'il a été montré dans Jour de Foot sans devoir le diluer. Il y a quand même ce constat que la part de minutage du football dans les images est réduite à la portion congrue.
Ça ne me frappe pas du tout. On a d'abord j'ai un résumé brut, très agréable avec du commentaire en direct, puis le lendemain, un résumé avec un peu d'humain ou un peu d'analyse, avec un angle.
On a l'impression qu'il y a quand même une part plus grande qui est accordée aux échanges sur plateau et aux sujets magazines, plutôt qu'aux images de football. Quelles sont les études ou les analyses qui indiquent que montrer plus de football ferait perdre de l'audience?
Je n'ai jamais pensé ça.
« Je n'ai pas le sentiment qu'on a lâché le football. »
Mais alors, pourquoi avoir acheté les images si c'est pour en diffuser si peu?
Je vous ai dit qu'on essayait de ne pas montrer les mêmes résumés le samedi que le dimanche...
Vous pourriez faire autre chose, d'autres types de traitement qui prendraient un peu plus de place par rapport aux débats en plateau. Est-ce que le Canal Football Club ne s'est pas inspiré des formats de talk-show, tels qu'ils se sont imposés à travers "On refait le match" et ses avatars, quitte à rapprocher Canal+ de formats d'émissions assez clairement populistes?
Je ne pense pas. Il y a un bon équilibre aujourd'hui entre les résumés de matches, les analyses avec les palettes, le débat, la polémique et l'enquête, c'est-à-dire les quelques reportages qu'on n'était pas capables de faire avant. Après, il pourrait y avoir de temps en temps un résumé de match sous une forme un peu plus analytique, rien ne nous en empêche. Et nous l'avons déjà fait.
Vous disiez il y a trois ans que la tactique n'intéressait qu'une minorité de téléspectateurs.
Oui, mais je pense que l'émission est suffisamment installée aujourd'hui. On ne perd jamais de téléspectateurs en montrant des images de foot, on en perd si le plateau n'est pas bon.
Pourquoi ne pas montrer plus de foot justement, à plus forte raison dans une "vitrine" comme Canal Football Club?
Je ne m'étais jamais figuré qu'on n'en montrait pas beaucoup. Vous êtes les seuls à me dire ça, avec vos lecteurs. Dans les vingt-cinq interviewes que nous avons accordées sur le Canal Football Club – qui n'a pas toujours été à ce niveau, qui a progressé je pense pendant la Coupe du monde –, c'est la première fois que j'entends ça. Je reconnais qu'au départ, nous ne savions pas trop comment créer une émission différente de nos codes habituels, nous nous demandions s'il fallait chercher des personnes à l'extérieur. Selon moi, aujourd'hui le CFC est pleinement une émission Canal, à laquelle nous avons ajouté effectivement une dimension un peu polémique, mais aussi une dimension de reportage, d'enquête... Je pense que c'est intéressant, que cela permet de faire le buzz, d'être dans l'actu, mais je n'ai pas le sentiment qu'on a lâché le football pour autant.
« Aujourd'hui, Pierre Ménès n'est plus tout seul. »
Il y a pourtant quelque chose de fondateur dans le Canal Football Club, c'est le choix de Pierre Ménès. Quand on choisit d'importer Pierre Ménès sur Canal+, c'est un coup, ça a surtout une signification très claire: on prend – sans être excessivement péjoratif, ça ne l'est même pas forcément d'ailleurs – une grande gueule de talk-show, qui va occuper l'espace, auquel il faut accorder la vedette, qui ne peut avoir quasiment que des faire-valoir à côté de lui. C'est tout de même un choc culturel sur Canal+, et à notre sens, ça ne va pas dans le sens d'une amélioration qualitative des débats.
Parce que vous ne l'aimez pas…
Ce n'est pas qu'on ne l'aime pas, c'est qu'on trouve qu'il dit rarement des choses intéressantes...
Le choix de Pierre Ménès résulte du constat, au bout d'un an d'émission, que l'on s'ennuie un peu sur le plateau. Au départ, on se dit que nos consultants, qui arrivent à débattre naturellement dans les Spécialistes, ont plus de mal à être spontanés et à exprimer des avis clairs dans un contexte où il faut aller plus vite. Et donc qu'il nous faut, entre guillemets, un professionnel du plateau, quelqu'un qui va venir dessouder le conducteur, mettre un peu le bordel, faire un peu marrer, afficher une opinion péremptoire et de parfaite mauvaise foi. Si je prends quelqu'un qu'on ne connaît pas, qui ne l'a jamais fait, il n'arrivera pas à s'imposer dans une mécanique aussi compliquée et aussi rapide que le Canal Football Club, dont le conducteur est vraiment serré. Contre l'avis de tout le monde ici à Canal, je me dis que nous allons prendre Pierre. Il n'est pas forcément dans les codes Canal, mais on va le canaliser un peu, sans jeu de mots, et il va nous apporter tout de suite ce qu'il sait faire, c'est-à-dire de la vie sur le plateau.

C'est ce qui s'est passé?
Pierre Ménès arrive pour la deuxième saison, et se produit alors ce que vous disiez, c'est-à-dire que le CFC devient une émission autour de lui. Je pense que, depuis la Coupe du monde, ce n'est plus du tout le cas. Il me semble que quand Christophe Dugarry vient sur le plateau, il n'est pas dominé par Pierre Ménès. Que Marco Simone exprime des avis souvent assez différents. Autant Pierre est très mainstream dans ses propos, je suis d'accord, et exprime une sorte de bon sens populaire, autant Simone exprime un avis différent. On ne peut plus dire aujourd'hui que l'émission est sur-dominée par Pierre. Il reste un élément très important, qui a contribué à faire gagner l'émission en vie et en contenu, mais aujourd'hui, il n'est plus tout seul.
« L'émission a progressé et petit à petit, elle s'est installée dans l'espace public. »
Avec Pierre Ménès, vous prenez une bête de plateau, mais est-ce que vous faites progresser le discours sur le football?
Oui, je pense que oui. En tout cas son avis est intéressant. Son avis est mâtiné de celui de nos consultants, comme Élie Baup qui met en perspective ses propos. Ça me paraît constituer un bon équilibre. Et inversement, Pierre apporte une certaine forme de vérité face à des gens en place, qui sont peut-être tenus par une certaine réserve. J'y vois une vraie complémentarité.
Plutôt qu'un "équilibre" ou une "complémentarité", on voit surtout une absence de contradiction à ses truismes ou ses contre-vérités...
Il est dans son registre de sniper mais il me semble que ce que dit Baup prend aussi toute sa place dans l'émission, que ce que dit Simone est souvent différent de l'état d'esprit général – il apporte quelque chose d'un peu moins convenu. Ça m'intéresse d'avoir cet avis-là.
Sans s'en tenir à Pierre Ménès, Guy Roux avait par exemple entamé une explication un peu technique sur une situation de jeu, pas très compliquée pour autant, mais il a tout de suite été interrompu par Hervé Mathoux, qui lui a dit "Oh la la, on comprend rien". Une vanne de Ménès plus tard, on était reparti sur autre chose.
Cela peut arriver, cela peut résulter un souci de conducteur. Mais le débat peut aussi aller très loin, parfois une palette génère une vraie discussion. La difficulté est d'avoir tous les buts, de les avoir en longueur, d'avoir aussi du temps de plateau, de pouvoir de temps en temps s'arrêter sur un sujet. Parfois on n'a plus le temps d'aborder le sujet prévu, parfois on survole un peu. C'est la difficulté, mais je pense que plus ça va, plus ils arrivent à faire des choix et à se dire: voilà le parti pris, débattons vraiment de ce sujet. L'émission a progressé et petit à petit, elle s'est installée dans l'espace public: tout le monde la regarde, tout le monde en parle, tout le monde a envie de la voir – avec les limites que vous pouvez souligner et que j'entends bien – mais il me semble que l'on arrive peu à peu au point d'équilibre.
Il y a trois ans, vous disiez qu'il fallait plus d'impertinence, et aussi qu'il fallait être plus journaliste. Or, on a l'impression que plus ça va, plus les journalistes s'effacent devant des consultants dont la parole est d'évangile et qui leur volent la vedette sur les plateaux. Aussi parce qu'ils semblent avoir renoncé à porter la contradiction, ce qui serait typiquement le rôle des journalistes.
L'émission est actuellement construite autour de consultants, avec tout de même Dominique Armand qui est en charge de la palette. On pourrait mettre plus de journalistes. Peut-être qu'un jour cela changera, je suis plutôt pour que les journalistes expriment un point de vue, qu'ils n'ont pas simplement à s'effacer derrière les consultants. J'ai dans l'idée de faire émerger des journalistes qui seront capables petit à petit d'être porteurs d'une opinion. Rendre la frontière un petit peu moins étanche, c'est une direction dans laquelle nous travaillons, c'est aussi dans ce but que nous mettons à l'antenne des journalistes avec de la personnalité comme Thomas Thouroude. C'est un travail de longue haleine. Le CFC s'améliorera encore.
« Le Canal Football Club est une vraie innovation majeure, qui s'installera »
Vous voulez faire une antenne plus "abrasive", mais nous avons le sentiment qu'en se rapprochant de On refait le match, avec des interventions de moins de vingt secondes, vous interdisez, peut-être pas intentionnellement, de faire du fond.
Non seulement ce n'est pas du tout une volonté, mais je ne suis pas d'accord avec le résultat que vous observez. Nous pouvons faire mieux, évidemment, mais il n'y a pas de volonté machiavélique de dire "On va faire de l'audience en mettant Ménès, en mettant machin, en étant méchants". Non, il y a la volonté de construire une ligne éditoriale un peu plus complète où l'expertise des consultants Canal puisse être enrichie d'un peu de polémique, de reportages, d'enquêtes, de devenir un peu plus des acteurs du foot et pas simplement le diffuseur qui passe ses matches et qui dit "L'actualité, ce n'est pas chez moi". Nous essayons de faire une émission d'actualité. J'en suis assez satisfait, et même très satisfait.

Une dernière question de la part de nos lecteurs, ils veulent vraiment avoir un canal son avec uniquement l'ambiance du stade. Pourquoi ne proposez-vous pas cette option?
J'imagine que dans cette demande, il y a un présupposé critique à l'égard des commentateurs?
Non, pas forcément. C'est une expérience intéressante.
Récemment sur Foot+, en raison d'un souci technique sur les décodeurs, il n'y a plus eu de commentaires sur aucun match et j'ai reçu énormément de mails, d'appels de gens un peu en panique.
On est d'accord que 90% des gens préféreront le son classique, mais ça ne coûte pas grand-chose de le faire.
Je ne sais pas, bof, pourquoi pas. Je préférerais réfléchir à d'autres formes de commentaires, revenir peut-être à un seul commentateur par exemple, voir ce que ça donne.
Vous nous aviez dit il y a trois ans que les commentateurs parlaient trop, et ils parlent toujours trop.
Ah oui, c'est sûr, tout le monde parle trop, moi y compris. C'est vrai, mais j'aimerais plutôt réfléchir à un autre mode de réalisation, un autre mode de commentaire.
Est-ce qu'il y a une cellule R&D pour le sport chez Canal+?
C'est moi, en fait, la cellule. (rires)
Canal+ a eu ce rôle très novateur dans les années 80, mais on a l'impression que la chaîne est beaucoup moins en pointe. Elle s'inspire de formats comme les talks et n'innove plus depuis très longtemps ou alors avec une palette 3D qu'on peut considérer un peu comme un gadget, une variante de ralenti…
Je pense que le Canal Football Club est une vraie innovation majeure, qui s'installera. Le fait de faire une grande émission à cette heure-là, devant un carrefour de populations un peu particulier en access prime time, devant un public qui peut être aussi familial, un public avec des exigences importantes... Je pense que c'est une émission qui s'installera pour de nombreuses années, sans doute largement après moi, et qui évoluera – je l'espère dans le bon sens.
Lettre ouverte à Cyril Linette
Interview (1) : « Nous avons réussi à réduire la place des polémiques sur l'arbitrage »
La politique du moindre mal