Feuilles mortes
Samedi, L'Équipe Mag a livré des extraits d'un livre des éditions L'Équipe sur la une à scandale de L'Équipe. Ou quand l'autopromo rejoint l'autojustification.
Auteur : Jérôme Latta
le 27 Sept 2010
Samedi, L'Équipe Mag produisait les "bonnes feuilles" de Histoire d'un scoop, livre de Damien Degorre et Raphaël Raymond à propos de la révélation, durant la dernière Coupe du monde, des insultes de Nicolas Anelka à l'encontre de Raymond Domenech à la mi-temps de France-Mexique. Une actualité de plus en plus faisandée, qui ne fait d'ailleurs plus la une (c'est Bixente Lizarazu qui s'en empare, avec la mer en arrière-plan évidemment). On peut même nous reprocher d'y réagir à notre tour, mais l'exercice est trop parlant: L'Équipe Mag livre des extraits d'un livre publié par les éditions L'Équipe à propos de la une à scandale de L'Équipe...

L'article prend la forme d'une chronologie, et en reste là sur le fond. Il élude la question de l'exactitude des propos de Nicolas Anelka en ne s'attachant qu'à leur teneur: l'information d'une altercation violente entre le joueur et Raymond Domenech a été fournie et confirmée par différentes sources fiables. Et sur la pertinence de reproduire ces propos orduriers littéralement sur la première page, alors que leur exactitude n'était pas attestée comme le montrera la suite, plutôt que dans les pages intérieures, rien. Quoique, un indice: "Quand on possède une telle info, on la met en valeur" écrivent les auteurs (sans rire?).
On apprend que la discussion a eu lieu, mais on n'en connaîtra pas les termes. "Bien sûr, entre nous, ça débat (sic). Comme cela débat au siège. Les arguments en faveur d'une telle une sont plus nombreux que ceux en sa défaveur". Amusante formulation: plus nombreux, d'accord, mais étaient-ils meilleurs? Savoir aussi quelle était leur teneur permettrait d'en savoir plus sur les motivations du journal... Malheureusement, de ce côté, le secret du vestiaire est respecté.
Un coup bas anobli en scoop
Dans ces lignes, une vague justification : il fallait punir une équipe dont le discours officiel travestissait sa réalité. "À Paris, la hiérarchie (...) se rejoint (sic) sur une idée force: il y en a marre de cette hypocrisie qui entoure l'équipe de France" (1). Il se serait donc agi de "présenter le vrai visage de l'équipe de France qui n'en est, finalement, pas une". L'argument est d'autant plus dérisoire que la moitié des clubs et des sélections, au bas mot (2), mériterait un traitement analogue. Le choix continue de ressembler à un règlement de comptes et à une envie de réaliser un "coup" assez bas, anobli en scoop dans le titre du livre.
Le poisson est bien noyé, les questions restent. Pourquoi des injures invérifiables en toutes lettres et en devanture des kiosques dans toute la France? Pourquoi, accessoirement, alors que l'équipe de France n'est pas éliminée, choisir de la faire exploser en toute connaissance de cause? (3) "Comment cela va-t-il être interprété? Que vont en penser nos lecteurs. Comment va réagir le monde du foot? Il est évident que toutes ces questions nous traversent l'esprit". Manifestement, elles n'ont fait que traverser.

Juge et partie
Il est bien précisé, avec une certaine insistance puisque trois passages des extraits de L'Équipe Mag reviennent sur ce point, que la décision a été prise par "la hiérarchie" à Paris (J). On ne sait pas s'il faut flairer un désaccord ou juste une façon de dégager la responsabilité de journalistes qui restent au contact de la sélection et des internationaux. Une autre précision retient l'attention: les "chefs de la rubrique football" avaient pour "première idée" l'option consistant à reproduire les insultes en titre, mais seulement en pages intérieures. En d'autres termes: la direction assume la responsabilité. Dommage que ce ne soit pas elle qui témoigne.
Le livre (164 pages pour 10 euros) dont cet article est un sous-produit et un support de promotion est peut-être plus riche, mais faute de débat et de contradiction, il ne sera pas autre chose qu'un exercice d'autojustification stérile – comme l'avait été L'Affaire Jacquet de Vincent Duluc. En définitive, ces bonnes feuilles confirment en négatif ce que L'Équipe ne veut pas concéder: c'est moins le souci de la vérité que le mercantilisme et un désir de représailles qui ont poussé le journal à présenter l'information de cette façon, alors que rien ne l'y obligeait. L'école de la malveillance s'est offert une revanche sur douze ans de frustration.
(1) La suite de cette phrase : "À Paris, la hiérarchie (...) se rejoint (sic) sur une idée force: il y en a marre de cette hypocrisie qui entoure l'équipe de France depuis le début de sa préparation et de ces personnes qui font croire, répètent, insistent comme pour mieux s'en convaincre elles-mêmes que tout va mieux dans le meilleur des mondes, que l'ambiance est excellente, que tout le monde s'aime, s'amuse, s'améliore de jour en jour".
(2) Rappelons les propos d'Arsène Wenger: "Étant ici avec dix ou onze joueurs, je peux vous dire qu'il y a 80% des groupes ici en Afrique du sud qui sont au bord de l'implosion. Tous les groupes vivent difficilement" (Lire "La Crise du star-system").
(3) Lire "La mi-temps de France-Mexique".
(4) "Vers 22 heures, la direction de la rédaction tranche: les insultes feront la une". "L'édition de ce papier, c'est-à-dire sa relecture au siège du quotidien, sa titraille et sa mise en page relèveront de la hiérarchie. À elle de décider si elle place les insultes en une, en page 2 et 3, ou si elle les laisse dans le cœur de l'article sans les faire ressortir et trouve une autre idée de titre".