Les marris de l'an II
Avec la réforme Platini, la Ligue des champions s'est ouverte à plus de pays, mais elle se resserre sur une élite qui en profite pour éliminer la concurrence dans les championnats nationaux.
Auteur : Thibault Lécuyer
le 30 Août 2010
Les sièges aux premières loges assurés aux pays les plus riches ne le sont plus. Le FC Seville, le Zenit Saint-Petersburg ou La Sampdoria, éliminés en barrages, peuvent rendre Platini directement responsable de leur absence du plateau 2010/11. C’est le président de l’UEFA qui a souhaité sceller les invitations de Zilina, Cluj ou l'Hapoel Tel Aviv en faisant se rencontrer Français et Russes, Espagnols et Portugais lors de ces barrages (lire "Platini: la réforme à petits pas"). L'impact semble déjà conséquent. Ainsi, parmi les 32 équipes en lice cette saison, seules 12 étaient déjà présentes la saison dernière: Barcelone, Real Madrid, Chelsea, Manchester United, Arsenal, AC Milan, Inter Milan, Olympique lyonnais, Olympique de Marseille, Bayern Munich, Glasgow Rangers et Rubin Kazan.
En ébranlant ainsi quelques places fortes du football européen et en assurant une forme de brassage, Platini espérait notamment faire émerger quelques challengers un peu moins attendus, et donner de l’air à une compétition devenue trop prévisible. Lyon ou Benfica ont, qui sait, le potentiel pour s’installer à la place des habituels barragistes espagnols ou anglais, lesquels ont parfois justement profité dans le passé d’un tour préliminaire facile pour aller loin dans la compétition (1).
Monopole le poulpe
On peut cependant craindre quelques effets pervers à plus long terme. En réduisant le groupe des abonnés à une douzaine d'équipes plutôt qu'une vingtaine, l'UEFA pourrait leur donner à un avantage encore plus significatif, notamment au niveau national. Le différentiel de ressources entre ceux qui y sont et ceux qui n’y sont pas est devenu déterminant, pour ne pas dire rédhibitoire. Les clubs capables de s’assurer pendant deux ou trois ans une présence sans passer par des barrages devenus aléatoires pourraient produire des écarts sportifs impossibles à combler par des poursuivants qui, auparavant, leur collaient au train. Il ne s’agirait que d’une amplification d’un phénomène déjà existant (2), mais alors que les championnats nationaux avaient tendance à se jouer systématiquement entre X équipes (X étant le nombre de qualifiés pour la C1), ils pourraient être amenés à ne se jouer qu'entre les deux équipes directement qualifiées.
Pour remettre en cause cet oligopole de plus en plus monopolistique, les espoirs sont minces. Braga , candidat à l'intégration de ce G12 va par exemple voir son impressionnante progression sportive passer cette année à l’impitoyable révélateur d’une première saison en Ligue des champions. Beaucoup ne s’en sont pas relevés. On constate (voir tableau ci-dessous) que les douze redoublants de l'année tiennent le manche depuis longtemps, le risque étant qu’ils ne le lâchent plus jamais. La nouvelle donne voulue par Platini prive les challengers habituels d'un ingrédient majeur dans la recette du succès: la régularité, notamment dans les ressources.
Historique de la présence en Ligue des champions des 12 clubs qui s'y sont qualifiés en 2009/10 et 2010/11.
Robin des bois pour classe moyenne
Pour remédier à cette possible concentration à l’extrême des ressources, on pourrait souffler une idée au président de l’UEFA. Revenir à l'ancien système pré-Ligue des champions étant hélas irréaliste, il s'agirait de mieux doter la C3. Elle réunit encore aujourd’hui beaucoup d'outsiders, d’improbables vainqueurs de coupes, et potentiellement de l’oxygène pour les compétitions nationales comme internationales. Car le problème de la C1 ne réside pas dans la possibilité de tel ou tel de se qualifier, mais bien dans l'écart de ressources entre ceux qui sont in et ceux qui sont out. Sportivement, la Ligue Europa a déjà élevé son niveau par le principe des vases communicants. Il faudrait piocher quelques millions de droits télévisés en C1 pour réveiller l’intérêt des clubs, et surtout pour que la compétition joue son rôle de marchepied pour l’étage supérieur. À l’heure actuelle, les fous qui se repaissent au premier ont retiré l’échelle. (3)
En volant aux riches pour donner aux un peu moins riches, l’UEFA favoriserait non seulement un brassage un peu plus important entre ses deux compétitions, mais aussi une incertitude plus importante à l’intérieur des championnats nationaux. Si Lille ou Paris, participants réguliers à la C3, voyaient l’écart de revenus avec Lyon et Marseille se réduire, leurs chances d’être à nouveaux champions seraient d’autant plus importantes.
Entre crise économique, prochaine mise en place du fair-play financier et réformes à petites touches, le football européen a un virage important à négocier après une quinzaine d’années passées à foncer tout droit vers toujours plus d'élitisme. À la lenteur où vont les choses, il s’agit moins d'une épingle à cheveux que d'une longue courbe légèrement oblique. Reste à tourner le volant dans le bon sens.
(1) Vainqueurs passés par le tour préliminaire: Barcelone 2009, Liverpool 2005, Milan AC 2003, Manchester 1999. Finalistes: Liverpool 2007, Leverkusen 2002, Valence 2000 et 2001, Bayern 1999.
(2) Les deux derniers "nouveaux" vainqueurs de la C1 depuis la création de la Ligue des champions sont Dortmund, il y a quinze ans, et Marseille, il y a dix-huit ans.
(3) Quand les 32 clubs participant à la phase de poules de la Ligue des champions se sont partagés 745 millions d'euros, les 48 de la C3 ont dû se contenter de 134 millions d'euros. Pour être arrivé en finale de Ligue Europe la saison dernière, Fulham a gagné 10M€ : soit 1,5 millions d'euros de plus que le Maccabi Tel Aviv, qui a perdu ses six matches en C1, et deux fois moins que Liverpool, éliminé au premier tour.