Leurre de vérité
Pour la deuxième année consécutive, c'est un club qui ne jouait pas le titre qui a remporté le championnat. Comment expliquer cette incongruité?
Auteur : Thibault Lécuyer
le 24 Mai 2010
C'est devenu un jeu. Des journalistes qui demandent aux joueurs et entraîneurs s'ils jouent le titre, et ces derniers qui tergiversent puis répondent par la négative. Une activité d'une puérilité accomplie, qui s'il fallait la comparer avec un jeu d'enfants se situerait entre chat perché, ni oui ni non, et cache-cache. Laurent Blanc ayant été élu champion national de la discipline l'an dernier, Auxerrois, Montpelliérains, Marseillais et autres se sont joint à la récréation cette saison.
Il fallait voir Didier Deschamps, René Girard ou Jean Fernandez se tortiller sur leur chaise en conférence de presse comme assis sur des oursins sortis des poches de Jean-Louis Triaud, expliquer sans convaincre que champion de France, non merci, pardon, je dois y aller. Plus le journaliste ira titiller le gratin, plus les scènes seront cocasses. Ainsi tancé, José Anigo, tiraillé entre l'envie et la retenue, gigotait tel Homer Simpson pris d'une envie de pisser. À la même question, on l'aura cette saison entendu répondre oui – non – bien sûr – on ne doit pas en parler – je vous dirai ça demain – j'ai l'air con à répondre à vos questions.

Tu vas voir de quelle langue de bois je me chauffe
Si le jeu est si puéril, c'est que la réponse est tellement évidente que la question n'a pas de sens. On n'imagine pas le quatrième gardien d'un promu commencer la saison avec pour autre objectif que de gagner tous les matches. Quand on a atteint le plus haut centile dans sa profession, quelle autre aspiration que d'être le meilleur? La bonhomie de Jean Fernandez, le bagout de René Girard ou les pratiques xylolinguistiques de Didier Deschamps ne trompent personne: tous les joueurs ou entraîneurs professionnels entament le championnat dans le but de le gagner. Le contraire serait étonnant, pour des hommes qui depuis leurs huit ans s'endorment presque chaque soir en s'imaginant outsider soulevant un trophée contre toute attente, que ce soit la Coupe du monde, le trou de balle ou un Hot d'or.
Jouer le gros titre
Alors pourquoi poser la question? Par esprit de contradiction, pour commencer. On sait que pour maintenir la concentration d'un groupe, il vaut mieux se concentrer sur le chemin plutôt que sur l'objectif. Alors qu'on les croyait bloqués à l'adolescence, les médias sont en réalité en plein âge du non. Tu ne veux pas le dire, je vais t'emmerder jusqu'à ce que tu dises oui, même si je connais la réponse.
Pour faire un gros titre, aussi. Les lecteurs refusant désormais de lire des articles de plus de cinq lignes, il semble qu'un titre "Kévin Dugland: «On joue le titre!»" soit vendeur. Dix mots d'enrobage écrits par un stagiaire payé en bons d'achats Leader Price et voilà cinquante mille clics à peu de frais. D'autant plus avantageux que ça laisse du temps au visiteur pour cliquer sur la vidéo de l'arbitre bourré qui met un carton rouge au mauvais joueur suite à un tacle ayant provoqué une quadruple fracture hanche-cubitus-rotule-tibia lors d'un match de cinquième division de district moldave filmé avec une webcam de 50 pixels sur 30.
La question qui n'était qu'une mode est devenue une obsession journalistique au même titre que les transferts, les erreurs d'arbitrage et les Wags. En attendant une nouvelle mode, car à force de remplir des trous avec du vide, il serait surprenant qu'on touche un jour le fond du tonneau des Danaïdes.