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Entre le mur et les poteaux, le gardien

Alors que Rolland Courbis en sort, rentrons en prison pour voir si le foot peut servir d'échappatoire aux détenus...
Auteur : Troglodyt le 25 Fev 2010

 

Parfois, le mur ne peut pas être contourné, les poteaux sont trop rapprochés, et il est impossible d’éviter le gardien. Libérons le football.

Le transistor est fébrile, il va me lâcher avant la fin du match, alors que je pourrais être en short dans un bar. Un coup à se pendre. Seul ici, et en face ce couloir vide. Avant que le commentateur n’ait pu le beugler, je compris que l’OM avait marqué: le couloir a explosé de cris et les portes sont tambourinées. Sorti de ma guérite, je perçois quelques "Ta gueule" accompagnant l’écho de mon appel au silence. Mais le silence est revenu.


« Tu n’as pas d’autres chaussures, toi ? »

La nuit a été calme. Le réveil aussi. Ils savent que c’est le jour du football pour leur aile. 8h30, je vais les chercher.
- "Pour le foot, sortez les drapeaux! Et en silence!"
Entre les portes et leurs chambranles, des feuilles de papiers s’agitent de haut en bas. J’avance en ouvrant les cellules concernées, et les joueurs sortent. Certains sont à peine réveillés.
- "Dites chef, je dois aller à l’UCSA (1) pour ma méthadone, je peux rejoindre les terrains après?
- OK, je te signale par Motorola. Pas de détours hein!
- Merci chef."
Adossés contre le mur de la coursive, je les fouille puis ferme leurs cellules. Celui-là a deux morceaux de sucre dans du papier aluminium. Je les lui fait déposer dans sa cellule, mais il préfère les avaler.
- "Descendez, et une fois au rez-de-chaussée, attendez le surveillant du sport. En silence!"
Accompagnés du bruit des pieds qu’ils traînent, ils empruntent l’escalier que je leur ouvre.

prisons_football_1.jpg
Les mises au vert favorisent la cohésion de groupe.


- "Allez les gars, sortez un par un puis à gauche directement vers les terrains. Attendez-moi à la grille. On se tait dans l’allée."
… quinze, seize…
- "Tu n’as pas d’autres chaussures toi?
- Ils ont gardé mes lacets aux geôles du tribunal hier.
- Il faut en cantiner (2)!
- J’attends toujours d’être classé aux ateliers (3) pour avoir de l’argent.
- Ça s’est bien passé au moins?
- Ouais, j’ai perdu deux lacets, mais j’ai gagné deux ans."
… vingt-quatre, vingt-cinq.

- "Moins de bruit, on s’échauffe, et dans dix minutes je veux deux équipes et trois arbitres pour commencer. Parmi ceux qui font la formation "arbitrage" si possible, le diplôme est dans deux mois."


Ici, le soleil se couche à 18 heures

Ils courent moins qu’ils ne discutent. Un beau soleil, tant mieux pour eux. Il faudrait penser à enlever tous ces ballons pris dans les barbelés du grillage d’enceinte du terrain, ils pourraient presque le passer sans se faire mal.
- "Bien, les équipes maintenant.
- Surveillant, il manque le toxico.
- Il jouera avec ton équipe. Prenez les chasubles."

Départ toujours laborieux: pour la moitié d’entre eux, ils se sont réveillés il y a une demi-heure et n’ont rien mangé. Il reste les tripoteurs de vingt ans, pour qui la prison ne modifie pas trop leurs activités, si ce n’est qu’ils ont déplacé le foot et les trafics de la nuit à la journée. Ici, le soleil et les activités se couchent à 18 heures. Finalement, les nouveaux quartiers pour les arrivants sont une bonne chose: la première semaine passée à l’écart leur permet de se remettre du décalage horaire.

- "Et, toi, pourquoi viens-tu toutes les semaines au foot sans jamais jouer, seulement pour arbitrer? Tu es blessé?
- Non surveillant, je viens pour le JAP (4). Je me réinsère."

Ça les fait tous marrer… Ils prétendent les réinsérer en les envoyant taper dans la balle. Mais tout au plus, ça leur offre quelque chose dans quoi taper. Et je suis sûr que dans le tas, il y en a qui sont là pour s’être battus sur un terrain.

- "Bon, fini de jouer à la baballe, on va essayer de s’appliquer. Déjà, avez-vous chacun un poste déterminé?
- Surveillant, laissez-nous jouer.
- Ici c’est du football, pour faire l’otarie, tu prends le ballon en cours de promenade. Allez, fixez des arrières, des milieux, et des avants. Et essayez de vous y tenir dans le jeu. Et l’arbitre, toi aussi tu dois courir!"

Le jeu reprend à l’identique, mais une ligne de défenseurs s’est dessinée. C’est déjà ça. Lui là-bas est vraiment doué, c’est con pour lui d’être ici, je suis presque sûr qu’il y aurait quelque chose à en faire dehors.

prisons_football_2.jpg
La qualité de jeu fait même monter l’affluence des loges VIP.


- "Hé, pourquoi tu sautes toujours le milieu à côté de toi, à chaque fois il est bien placé pour le décalage.
- Non mais lui je ne le vois pas.
- Tu ne le vois pas?
- Il m’a tiré du tabac et depuis il s’est endormi dessus.
- Je te l’ai rendu!
- Vas-y, je me suis ouvert d’un paquet et tu ne m’as filé qu’une clope l’autre jour aux ateliers.
- Oh, les gars! Vous voyez bien qu’il y a une raison à l’interdiction des échanges. Et toi, si tu ne veux pas de tes coéquipiers, tu ne viens pas jouer.
- Pardon surveillant."

Le vent se lève. Il nous amène les odeurs des abords du bâtiment. Ce bol d’air là, tu t’en passes.


Par-dessus la défense

- "Surveillant, vous ne pouvez pas nettoyer le bas des bâtiments, ça sent le mort.
- Est-ce que j’ai un uniforme de femme de ménage?
- Non mais pas vous surveillant. Payez les pointeurs (5)! Et qu’ils tuent les cafards aussi, ils seront bientôt plus gros que les rats.
- Les cafards, nous les gardons.
- Exprès surveillant?
- Ils bouffent les punaises, et c’est ce qui coûte le plus cher à exterminer."

Aussi dubitatif que moi, il reprend le jeu, qui ne l’a pas attendu. Celui-là, ça fait dix fois qu’il tente la remise de l’extérieur en profondeur par-dessus la défense. Il a dû le voir à la télévision hier. C’est déjà mieux que d’essayer la dernière roulette à la mode sur sa console de jeu.

- "Deux tours que tu restes arbitre de touche, toi aussi tu viens pour les RPS (6)?
- Non surveillant. C’est juste que je n’aime pas trop jouer au foot.
- Pourquoi viens-tu alors?
- Pour prendre l’air et pour avoir le droit à une douche supplémentaire (7). À cinq, c’est pas possible l’atmosphère là-dedans surveillant."

Pas bête. C’est vrai qu’à nous remplir à ce rythme, ils me demanderont bientôt de les faire jouer à quinze. Aïe…

- "Ça va?
- La cheville a tourné, surveillant.
- Tu peux essayer de marcher. Attends, tiens-moi, lève-toi.
- Va falloir m’aider là. Il peut m’accompagner à l’UCSA?
- Non, pas lui. Tu vas attendre sur la touche, et nous irons ensemble si tu as besoin d’aide, à la fin de l’activité."

Le jeu reprend. Lui non plus n’est pas mauvais derrière. Plus limité techniquement, mais il donne les bonnes consignes et replace bien son monde. Tiens, il faudrait que je revoie pourquoi il est ici. Il n’a pas une tête à être dans l’aile où il est.

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Et le soir, devant la télévision, on refait le match.

- "Rends-lui le ballon, il a sifflé faute.
- Mais surveillant, il ne respecte pas la règle!
- Tu t’accroches aux lois maintenant? Calme-toi, il a sifflé, c’est le jeu. Va chercher ce ballon. Si tu recommences, je te renvoie en cellule.
- Putain, on fini toujours par se faire niquer par les juges."

Bon, ce devrait être bon pour aujourd’hui: si ce n’est notre star, ils ne courent presque plus. De toute façon, c’est bientôt l’heure.

- "10h30, c’est fini, ça va être la gamelle, il faut réintégrer. Ramassez le matériel, et serrez-vous la main.
- Déjà surveillant?"
Ils ont bien compris qu’ils ne courront plus de la semaine, à moins de faire le tour de la cour de promenade.
- "Oui, fini pour aujourd’hui. Je vous libère."


(1) Unité de consultations et de soins ambulatoires: service médical interne de chaque établissement pénitentiaire (directement rattaché au Ministère de la Santé).
(2) La "cantine" est le catalogue des produits que les détenus peuvent acquérir et conserver dans leurs cellules. Le nom a vite trouvé son néologisme verbal.
(3) Être inscrit à une activité de travail rémunérée au sein de l’établissement pénitentiaire.
(4) Juge de l’application des peines. Il accorde ou refuse les aménagements de peine au regard, notamment, des activités en détention.
(5) Surnom péjoratif des personnes incarcérées pour infractions sexuelles ou aux mœurs.
(6) Réductions de peine supplémentaires: accordées par le JAP en raison du travail, de la formation, et des activités pratiquées en détention, ainsi que de l’indemnisation des parties civiles et du suivi de soins, le cas échéant.
(7) Un minimum de trois douches par semaine est prévu par les textes, indifféremment de la chaleur et du surpeuplement. Mais une douche supplémentaire doit être accordée au retour d’une activité sportive ou de travail.
(+) Seule l’appellation "surveillant pénitentiaire" est propre. L’erreur représentée par l’usage de "gardien" est ici volontaire, pour l’analogie.
(+) Photos: Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Réactions

  • DarkZem13 le 25/02/2010 à 09h46
    Superbe article, très CDF spirit. La liberté et le football sont deux des plus belles choses au monde, alors merci pour ce témoignage.

  • Jean-Jacques-Pierre-Yves-André le 25/02/2010 à 09h50
    Très bel article, avec une justesse de ton rare, compte tenu du sujet...
    Bravo

  • Tonton Danijel le 25/02/2010 à 10h00
    Koller et Thil
    jeudi 25 février 2010 - 09h15

    Oui, je saisis un peu ce que veut dire troglo: la prison est un milieu extrêmement individualiste, dont voir un joueur "penser collectif", ça dénote un peu. C'est là aussi qu'on voit que le sport collectif peut être un fabuleux vecteur de réintégration, en apprenant aux détenus à travailler pour les autres, dans une métaphore de cette société qu'ils ont tendance à rejeter. Et la formation à l'arbitrage est une excellente opportunité de les transformer en juge, d'apprendre à appliquer et à respecter un règlement.

    Même si la conclusion que l'on tire de cet article, c'est qu'il y a du boulot. (au passage, je t'admire troglo car j'ai le sentiment que tu avais largement les compétences pour travailler dans un cabinet, mais que travailler en milieu carcéral, c'est vraiment une vocation).

  • Lancelot du HAC le 25/02/2010 à 10h09
    Je me joins aussi aux divers applaudissements. Le ton est juste, beaucoup de sujets abordés sans avoir l'air d'y toucher, pas larmoyant ni misérabiliste. C'est drôle car sans être racoleur pour un sous, on y perçoit déjà des héros, des escrocs et l'histoire qu'on pourrait tirer de ton témoignage... C'est peut-être comme je ne sais plus qui l'a dit l'effet "Un Prophète".

    Enfin, merci Troglo et merci les CDF.

  • In Gone We Trust le 25/02/2010 à 10h26
    Bien écrit, sujet intéressant et qui a complètement sa place dans un média de foot et d'eau fraiche, bien joué Troglo.

    Une question me taraude, toutefois : il l'a réussi, finalement, la remise de l’extérieur en profondeur par-dessus la défense ?

  • fabraf le 25/02/2010 à 10h49
    N'ayant pas ta plume Troglo, je ne vais pas être très original : ça fait un petit moment que je n'ai pas lu quelque chose d'aussi captivant.
    Alors tout simplement merci.

  • funkoverload le 25/02/2010 à 11h05
    Thanx Troglo.
    Personnellement j'ai trouvé ce compte-rendu particulièrement déprimant. Je pense que c'est aussi le truc que t'as essayé de faire passer.

  • Hurst Blind & Fae le 25/02/2010 à 11h07
    Ils criaient geôle quand ils marquaient un but?

  • Et ne ris que l'art sonne le 25/02/2010 à 11h12
    merci.

  • animasana le 25/02/2010 à 11h24
    Troglo, il fait quoi exactement comme travail (je le voyais dans un cabinet)?
    Pareil, pour travailler pas mal avec des détenus (pas de psychiatre dans la prison près de chez moi, on nous envoie donc les patients), et côtoyer quelques "matons" (ça leur fait toujours plaisir, et ça me fait courir un peu), je trouve ce texte non pas très humain, mais juste ressemblant à ce que je vois, loin des préjugés sur le monde carcéral.

La revue des Cahiers du football