Des niches menacées de démolition
Voilà que les footballeurs voient leurs petits avantages fiscaux et sociaux remis en cause par des parlementaires... Chienne de crise.
Auteur : Jérôme Latta
le 27 Oct 2009
Bien qu'ils existent pour la plupart depuis des années, les dispositifs de dopage fiscal et social permettant au sport professionnel français de réduire son fameux "handicap" par rapport aux principaux championnats européens sont de plus en plus attaqués... La faute à la crise, qui met en évidence leur caractère légèrement obscène, s'agissant de privilèges accordés à une catégorie financièrement très favorisée. Politiquement, le sujet est devenu rentable pour qui veut se prévaloir d'une nouvelle morale économique: les niches et les bonus pour les plus nantis des citoyens sont devenus plutôt impopulaires.
DIC reverse
C'est d'abord le droit à l'image collectif (DIC) qui est visé. Instauré en décembre 2004 (Lire "Cadeau fiscal pour footballeur français «défavorisé »"), il permet de soustraire aux charges sociales 30% de la rémunération brute des sportifs professionnels. Si un seuil de déclenchement est bien prévu, 70% des footballeurs pros en bénéficient du fait des salaires élevés dans la discipline (45.300 euros bruts mensuels en moyenne en Ligue 1 la saison passée). Coût pour les budgets sociaux: 32 millions en 2008 – quatre fois et demi le budget annuel de la lutte antidopage, 21% des crédits affectés au sport de haut niveau (lire "Les charges s’allègent, l’État allonge"). Les clubs avancent sans vergogne que ce montant est intégralement pris en charge par le ministère des Sports... ainsi privé d'une partie de ses ressources pour développer ses propres missions (lire "Droit à l'image: au ministère l'addition?").
Dans le cadre de l'examen de la loi de financement pour la Sécurité sociale en 2010, le député UMP et rapporteur Yves Bur a ainsi déposé un amendement visant à supprimer cette mesure déjà très critiquée par la Cour des comptes sans attendre son extinction, prévue en 2012. Son collègue Marc Le Fur, cette fois au cours des débats sur le budget 2010, a pour sa part demandé que "l'option pour le bénéfice moyen" – un "système de lissage des revenus qui permet d'atténuer la progressivité de l'impôt sur le revenu et de le réduire d'un tiers" (Les Échos du 21 octobre) – exclue désormais les sportifs professionnels.
"Rupture d'égalité"
Autre coup dur: les parlementaires souhaitent restreindre la prime d'impatriation, qui permet aux personnes qui ayant été domiciliées fiscalement à l'étranger au cours des cinq dernières années de soustraire leurs suppléments de rémunération à l'impôt sur le revenu. Un dispositif sur mesure pour les Makelele et les Lisandro (lire "Fisc Fucking"). Enfin, cerise sur le gâteau, le gouvernement envisage de faire passer la taxe Buffet de 5 à 5,5% afin de financer la lutte antidopage...
Il n'en fallait pas tant pour susciter l'indignation des dirigeants de clubs, et bien entendu de Frédéric Thiriez, qui a dénoncé "un véritable harcèlement législatif fiscal", réclamé un "cessez-le-feu parlementaire" et noyé les sophismes dans son emphase habituelle. "Il n'y pas de niche fiscale", ose-t-il: "En réalité, les footballeurs ne bénéficient d'aucun avantage fiscal particulier. Ils ne l'ont, du reste, jamais demandé. Ce qu'ils souhaitent, c'est être traités comme les autres contribuables. Ni mieux, ni moins bien". À propos de la prime d'impatriation, il estime que "Ce serait une véritable rupture d'égalité que [d'en] priver les seuls sportifs", évoquant rien moins qu'une "discrimination contraire à la constitution". Manifestement, pour le président de la Ligue, il n'y a pas de rupture d'égalité quand on exclut de tels avantages l'ensemble des contribuables qui n'ont pas le malheur d'être aussi riches que des footballeurs.
Rama Yade fume l'opium
À entendre le football professionnel, mais aussi la Fédération qui s'est inquiétée du risque "de fragiliser l'ensemble de l'édifice du football français" et le secrétariat d'État aux Sports (1), il s'agit de préserver la compétitivité de nos clubs sur le marché européen comme s'il s'agissait d'un enjeu vital pour la nation. Le problème est que par les temps qui courent, il est de plus en plus difficile de convaincre l'opinion que les priorités résident bien là.
Alors est-ce au moins une question de justice sociale pour des professionnels dont la carrière est courte? Cet argument sempiternel ne pèse pas lourd. Comment considérer que disposer à trente et quelques années d'un patrimoine consistant – dont la quasi-totalité des salariés cotisants ne pourra pas constituer le dixième en une vie entière de travail – constitue un handicap devant être compensé par la collectivité?

L'enjeu, c'est peut-être Rama Yade qui le désigne le mieux. La dernière réponse de la secrétaire d'État aux Sports, dans une interview accordée au Journal du dimanche, donne à penser que la question était "Le football est-il l'opium du peuple?" (2). "Il ne faut pas oublier que le sport offre du rêve, permet de s’échapper, grâce au spectacle offert, des difficultés du quotidien, de partager des grands moments d’émotion nationale. C’est pour cette raison aussi que nous devons retenir nos meilleurs joueurs. Je ne voudrais pas expliquer aux gens qui souffrent qu’on va leur ôter leur rêve ou leur distraction, voire leur espérance. Ce n’est pas ma conception, ni celle du Président de la République. Au contraire, il s’enthousiasme pour le sport et il attend avec impatience que la France remporte l’organisation de l’Euro 2016". L'avantage avec ce gouvernement et ses représentants, c'est qu'il finissent toujours par révéler de quelle idéologie un peu grossière ils se réclament.
(1) Rama Yade : "Le droit à l’image collective n’est pas un avantage accordé aux footballeurs, c’est une aide accordée à nos clubs professionnels – pas seulement de football – pour tenir face à la concurrence très forte qui règne dans le sport européen" (Le Journal du dimanche, 25 octobre).
(2) La question était en réalité : "En attendant votre révolution platinienne, le football est-il une priorité en temps de crise?"