Fucking disgrace
Entre les simulations et les gesticulations, les arbitres peinent à s'y retrouver. Didier Drogba, lui, s'est retrouvé le dindon de sa propre farce.
Auteur : Pierre Martini
le 14 Mai 2009
Voici Didier Drogba, attaquant international ivoirien et salarié du Chelsea FC. Jouissant en France d'une bonne cote pour avoir enchanté son passage à Marseille et donné l'impression qu'il voulait y rester ou y revenir, chouchou d'un Téléfoot qui cultive l'amitié franco-éléphantesque. Un grand attaquant. Un beau joueur, mais pas au sens figuré. Car Didier a tendance à tomber, et à réclamer après s'être roulé par terre. Et c'est pas bien de réclamer. Que réclame-t-il, au fait? Des penalties, essentiellement, c'est très utile, les penalties. Il est exact que si on laissait les attaquants s'exprimer dans la surface, ils n'en seraient pas réduits à de tels expédients. Mais pour l'arbitre, c'est encore plus difficile: il n'est pas critique d'art dramatique, ni juré de plongeon artistique. Pourtant, si un joueur l'abuse avec la plus accomplie des simulations, c'est lui qui va se faire clouer au pilori (1).
Comédie
Prenons cette demi-finale Chelsea-Barcelone. Qu'a-t-on vu? Des joueurs tomber, avec plus ou moins de réalisme. D'autres toucher le ballon du bras, sans qu'il soit aisé de démêler la candeur ou le vice dans ces gestes suspects. Un festival. Après chaque incident, les joueurs ont énormément gesticulé, tel Michael Ballack, qui a montré une ardeur plus grande au marquage de M. Tom Henning Ovrebo que dans l'utilisation du ballon. Sur chacune de ces actions rendues litigieuses (si les joueurs jouaient seulement au ballon, on y verrait plus clair), l'arbitre norvégien a dû prendre des décisions – c'est son job.

Hélas, Didier Drogba n'a "pas aimé l'arbitrage", comme on dit de nos jours, et après avoir fait beaucoup de cinéma dans temps réglementaire, il s'est livré à un sketch mémorable au coup de sifflet final (2). La confusion étant de mise, on ne sait pas exactement ce qu'il reproche à l'arbitre. D'avoir ignoré de vraies fautes ou de ne pas être tombé dans le panneau de vraies simulations? De ne pas avoir fait les bonnes erreurs?
Balance des erreurs
Peut-être les Blues sont-ils fondés à estimer que la balance des erreurs arbitrales était en leur défaveur ce soir-là, mais est-il encore question de football dans ce débat? Y a-t-il moins de justice sportive quand une confrontation très serrée est tranchée par deux frappes superbes plutôt que par des coups de pied de réparation qui auraient été encore plus polémiques? N'y a-t-il aucun autre facteur qui a pesé dans la décision finale, comme les faits de jeu, les choix tactiques, les performances individuelles, les occasions ratées, etc.?
Difficile d'en vouloir à Didier Drogba, d'abord parce que le ridicule et la sanction de l'UEFA le puniront bien assez. Ensuite, on a tellement laissé les joueurs s'infantiliser sur l'arbitrage qu'il a eu exactement le comportement attendu, celui qui est la règle partout autour des terrains. D'ailleurs, on lui reproche d'avoir été inconvenant, pas d'estimer que son équipe a été "volée". À sa décharge aussi: ce vol était annoncé le matin du match dans certains tabloïds – ceux-là même qui accablent maintenant le joueur.
Pauvre de lui, déjà lesté d'une solide réputation de plongeur et plombé par la pièce de monnaie relancée sur les supporters de Burnley en Carling Cup, il s'est tiré une balle dans le pied. À 31 ans, il peut encore acquérir de la sagesse, comme l'a estimé son entraîneur Gus Hiddink. Et relativiser son propre sort en ayant une pensée pour Tom Henning Ovrebo, menacé de mort et dont la maison à Oslo est placée sous surveillance policière.
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NdA (mise à jour, 10:25): Au moment où nous écrivions ces lignes, Francis Decourrière, président du VAFC, hurlait à l'adresse de Tony Chapron, arbitre de Valenciennes-Bordeaux, les invectives "honte de l'humanité" et "raclure de bidet", l'invitant à revenir "avec les chiens" la prochaine fois (in L'Équipe). Mais bien sûr, cela n'a rien à voir.
(1) Comme Johan Micoud avec Éric Poulat la saison passée.
(2) Peut-être que l'éditeur de jeu vidéo qui sponsorise l'ancien Guingampais va intégrer de telles crises de nerfs dans la prochaine version de sa simulation.