Le coût du tunnel
Rémunérer le football anglais alors que les financements se font rares? Rien n'est trop absurde pour la télévision publique.
Auteur : Thibault Lécuyer
le 5 Jan 2009
Samedi 3 janvier 2009, 16h00, les fans de Bernard Mendy sont déçus. En allumant leur télévision sur France 4, ils constatent que Ricketts, Doyle, Taylor ou Enrique animent les couloirs de ce Hull City-Newcastle. Point de Ballon de Plomb 2006 sur cette impeccable pelouse du Nord-Est de l'Angleterre. Mais tant pis si le téléspectateur n'a jamais entendu parler de ces quatre joueurs. C'est du football anglais, et il y a un ancien Red (Michael Owen), un ancien Red Devil (Nicky Butt), un ancien Blue (Damian Duff) et Daniel Cousin sur le terrain. Que demande le peuple?

Difficile de s'étonner que ce genre de match trouve son chemin jusqu'aux antennes hexagonales. Ma Chaîne Sports ou Eurosport 2 diffusent bien les championnats japonais ou écossais et jusqu'ici, la Cup – plus vieille compétition en Europe (elle date de 1871) – se partageait entre TPS et Canal+. La nouveauté, c'est que les équipes les plus regardées au monde sont cette fois diffusées sur une chaîne de service public.
France Télévisions a en effet acquis pour environ quatre millions d'euros le droit de retransmettre dix-neuf matches de Cup par saison sur les trois prochaines années. Les demi-finales et la finale seront diffusées sur France 2 ou 3. Le coût unitaire s'élève à environ 70.000 euros par match, sans compter les frais de production, Laurent Luyat assurant le remplissage des mi-temps en compagnie d'une bimbo avec l'accent de Jane Birkin.
À la fois jaloux, méfiant et obnubilé par tout ce qui se déroule outre-Manche, le foot français ne s'est jusqu'ici pas ou peu ému de ce constat: subventionnés par l'argent public français, les clubs anglais n'ont pas à s'inquiéter pour leur suprématie économique.
Besson chez les Britons
Il serait certes oiseux de prendre le raccourci entre la redevance payée par les téléspectateurs français et le salaire de Michael Owen. Les quatre millions – une goutte d'eau dans l'océan de droits engrangés par la Premier League – dépensés par France Télévision seront probablement couverts par les revenus publicitaires, les matches de football suffisant quasi-systématiquement à augmenter l'audience de chaînes qui rassemblent habituellement très peu de téléspectateurs (Lire L'inflation du ballon, CdF #39).
Il reste que les investissements des annonceurs en direction du public français iront remplir les caisses déjà pleines du football anglais, après avoir transité par celle de l'État. État qui ne voit aucune contradiction à commander des rapports sur la compétitivité de son football tout en finançant celui d'à côté. La dépense a beau avoir du sens sur le plan purement économique, elle n'en reste pas moins contraire à l'intérêt général. Or, s'il est discutable de demander à des chaînes privées de défendre cet intérêt, le moins que l'on puisse attendre d'une entité publique est d'y réfléchir un minimum avant de faire un chèque à sept chiffres.
Pub anglaise
Pour ne rien arranger, cette opération s'est déroulée selon un calendrier des plus ironiques. Signé en décembre 2007, le contrat entre France Télévisions et la FA a été annoncé quelques jours seulement avant le décret de suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Difficile de ne pas faire de lien entre ces deux évènements, d'autant que le premier match de Cup diffusé sur France Télévision ce samedi est retransmis deux jours avant que la publicité ne disparaisse entre 20 heures et 6 heures sur les chaînes du groupe. Pour peu que certains matches de Cup soient programmés en prime time d'ici à la fin du contrat en 2011, on verra bien des matches anglais 100% financés par l'État.
On peut ainsi espérer que la mesure, si controversée soit-elle, évitera à l'avenir que la France contribue à la toute puissance de la Premier League. Et que cesse l'ineptie consistant à ce que des téléspectateurs puissent assister gratuitement à des matches se déroulant à l'étranger pendant qu'Alençon-Lorient, Montluçon-Paris ou Besançon-Marseille sont diffusés sur Eurosport, chaîne privée et payante.
Au fait, Hull-Newcastle s'est terminé sur un 0-0, et devra être rejoué pour désigner un vainqueur.
Que pourrait faire le foot français avec 4 millions?
• Payer un salaire à Raynald Denoueix.
• Éditer un t-shirt réclamant la libération d'Aung San Suu Kyi, ça lui ferait tellement plaisir.
• Créer un prix pour le challenge des tribunes les plus offensives, afin d'aider Nice et le PSG.
• Ouvrir un compte chez Total pour les voyages en avion de l'OM.
• Recruter un détective privé pour suivre Franck Jurietti 24h/24.
• Payer quatre jours de salaire à Zlatan Ibrahimovic.
• Financer la retraite de Daniel Lauclair.
• Payer la caution de Sidney Govou.
Bonus
Pour prouver qu'il y a du foot au-delà des professionnels anglais, voici les dix plus beaux buts du foot amateur, compilés par visiofoot.
Ainsi que les dix plus beaux ratages, qui montrent que les Anglais n'ont rien inventé de ce côté-là non plus.