France Football: des hontes au logis
Rétro de la saison – L'été dernier, FF nous offrait de grands moments de journalisme sportif avec une interview virtuelle de Ribéry et un canular gobé tout entier avec le transfert d'un joueur imaginaire... La "bible du foot" ne dit plus la bonne parole. Extrait du n°28 des Cahiers du football, septembre 2006.
Auteur : Jamel Attal
le 13 Juil 2007
Le journalisme sportif est-il encore un journalisme? On peut en douter, à en juger par le nombre des dérives ordinaires dont il est le théâtre. Dans ce domaine, l’été de France Football a été un peu compliqué. L’affaire de l’interview de Franck Ribéry a notamment eu un écho assez large, ne serait que parce que l’intéressé lui-même a rué dans les brancards en déclarant n’avoir jamais donné l’interview parue le 25 août dans les colonnes du bi-hebdomadaire, titrée "Je ne suis plus un enfant" et dans laquelle le joueur critiquait l’attitude de Pape Diouf. Embêtant, alors que le "feuilleton Ribéry" avait livré quelques jours auparavant son épilogue avec la décision du joueur de rester à l’OM...
Numéro de ventriloque
Furieux, Ribéry convoque une conférence de presse et assure que jamais il n’a tenu de tels propos: "Je n’ai plus vu, ni adressé la parole à Marc Benoist depuis la fin de la saison dernière (...) je ne comprends pas comment (...) un journal aussi sérieux et respectable [sic] que France Football a pu en arriver là".
Le mardi suivant, ledit journal rend compte de la différence entre la version de son correspondant dans le Sud-Est et celle du footballeur.
Cependant, l’article (non signé) suggère fortement que l’agent du joueur, Bruno Heiderscheid, a pu jouer un rôle dans cet "imbroglio" en parlant à la place de son client. Plus troublant, dans la colonne voisine, un "billet" du directeur de la rédaction Gérard Ernault avoue que "n’étaient la notoriété du joueur, l’ampleur du litige et le fait que Ribéry l’ait exposé sur la place publique, nous n’y serions pas davantage revenus ici-même". Faut-il comprendre que des informations présumées fausses, si elles ne sont pas dénoncées comme telles, par une tierce personne et avec suffisamment de retentissement, ne seront pas rectifiées par le journal? C’est, hélas, ce que l’on va pouvoir vérifier un peu plus loin...

Délayage et bonne conscience
En attendant, Ernault fustige l’Olympique de Marseille à la fin de son texte, coupable d’avoir, sur son site Internet, dénoncé un manquement grave à la "déontologie professionnelle en journalisme". Et s’il y a quelque chose qu’un journaliste n’aime pas, c’est qu’on lui donne des leçons de journalisme !
Pourtant, dans le numéro du 1er septembre, l’éditorial de Gérard Ernault se démarque cette fois très nettement de la version de son rédacteur, accusé de "développer une théorie fluctuante": "la difficulté que rencontre France Football avec Marc Benoist est celle que l’OM rencontrait récemment avec Ribéry. Un jour il voulait aller à Lyon; l’autre jour, il n’avait jamais autant adoré le Stade Vélodrome et les supporters de Marseille" (tiens, dénigrer la victime revient-il à minimiser le délit?). Présumant toutefois que l’entretien était bien "imaginaire", le journal "dit à Franck Ribéry et à ses lecteurs sa profonde désolation et leur présente ses plus vives excuses".
Le reste de l’édito est un grand numéro de délayage, un long laïus pérorant sur les conditions actuelles du journalisme, déplorant à demi-mot la désinvolture des "nouvelles générations de professionnels", flattant le lecteur épris de vérité et étalant sa propre bonne conscience sans jamais se départir de son indécrottable moralisme...
Entre ici, Borisio Ferrara !
L’épisode serait en soi suffisamment édifiant, mais une autre anecdote nettement moins médiatisée s’est avérée tout aussi éclairante.
Le 18 juillet, deux amis adeptes d’un forum Internet décident d’inventer un joueur et de lancer la rumeur de son transfert à Saint-Étienne: "Selon la Gazetta Dello Sport du jour, l’ASSE se serait renseignée pour un prêt de Borisio Ferrara, jeune milieu de terrain de 20 ans appartenant à Livourne. Ce jeune joueur est un numéro 6 connu pour être un aboyeur, il prend modèle sur Gattuso mais est surtout connu pour faire comme son idole Lucarelli: porter un t-shirt du Che sous son maillot". Tout est faux, mais les deux compères crédibilisent la nouvelle en postant également un texte en italien qui fait tomber les membres de leur forum dans le panneau...
L’histoire aurait dû s’arrêter là mais, à la plus grande surprise des blagueurs, ils retrouvent "l’information"... dans la rubrique transferts du France Football du 21 juillet! La boule de neige dévale désormais une forte pente, et l’information sera reprise sur différents sites de football (dont l’inénarrable Maxifoot), ainsi que par que l’hebdomadaire But!, qui réussira même l’exploit de mal recopier le nom du joueur virtuel et de lui attribuer la nationalité brésilienne. Borisio reste quelques jours dans le tableau des transferts de FF, avant de disparaître. Nous avons épluché les parutions ultérieures du journal pour y trouver un erratum, en vain. Et en effet, pourquoi se fendre d’un rectificatif, alors que le canular se distingue à peine dans le grand bazar de l’actualité des transferts? Et pourquoi diable s’embarrasser de scrupules, alors que le journalisme sportif, ce n’est quand même pas du vrai journalisme, hein?