Speak up, fed up
Tribune des lecteurs – Avec sa campagne contre le racisme, l'équipementier Nike s'était offert une belle tranche de médiatisation gratuite. Aujourd'hui, cette entreprise citoyenne… est passée à autre chose.
Auteur : Matthieu Belbèze
le 28 Mars 2006
Vous vous souvenez de l'invasion rampante des bracelets blancs et noirs ? Si si, rappelez-vous, ceux que votre petit neveu arborait fièrement au bras au moment d'aller rejoindre ses co-footballeurs en herbe pour aller taper dans un ballon. Ceux qu'on voyait fleurir aux bras des joueurs, entre le bracelet anti-sueur aux couleurs du Cameroun, la gourmette dorée péniblement recouverte de strap à la demande expresse de l'arbitre avant le match, et autres signes indistincts d'appartenance à une tribu oubliée. Si tout cela ne vous dit rien, rappelez vous l'intervention opportune d'un grand attaquant français, dont les dix minutes d'interview sur le magazine dominical de TF1 pour le lancement de cette campagne en 2005 resteront sans doute dans les annales comme le plus grand tas de saindoux télévisuel de sa carrière.
Sur un air de Marley
À l'époque, Nike avait su éclipser avec maestria l'initiative de l'UEFA contre le racisme dans le football. Aux côtés du FARE (Football Against Racism in Europe), la fédération européenne avait pourtant établi un plan d'action plein de bonne volonté publié en 2002. Une initiative restée relativement confidentielle jusqu'à l'intervention nikesque, qui, il faut le reconnaître, eut au moins l'avantage de mettre le doigt là où ça faisait (très) mal. Une dizaine de joueurs (sous contrat) fut mobilisée pour se "lever et parler": "Speak up, stand up", get up for your rights, de quoi faire se retourner Bob Marley au paradis des rastafaris.
Malheureusement, le marketing étant ce qu'il est, le grand barnum prit vite des allures de galéjade planétaire. En France, Nike eut la bonne idée de faire d'un malheureux match PSG-Lens qui n'avait rien demandé à personne l'événement-phare de sa campagne. À personne? Enfin presque, puisque l'heureux géant américain n'était autre que l'équipementier officiel des deux équipes en lice. Dans un Parc des Princes redécoré en moins de temps qu'il n'en faut pour fabriquer une Nike Air, on assista à un spectacle surréaliste. Parisiens en tunique blanche, Lensois en tunique noire (manichéen, manichéen vous avez dit?), bracelets-marque-déposée au bras, le football en prit un coup. Les supporters aussi, brandissant bien haut une banderole "Sit down, shut up".
Rupture de stock sur les valeurs citoyennes
Un an après, qu'en reste-t-il? Aux oubliettes les bracelets! Le site officiel de la campagne nous apprend qu'ils sont "en rupture de stock" et que l'équipementier "ne compte pas en produire à nouveau". Mieux: on apprend que la campagne est terminée, "Merci pour votre soutien", restez pas là mon bon monsieur on ferme. Le racisme? Un an de lutte chez tous les bons distributeurs officiels, voilà qui a dû le faire disparaître, non?
Aujourd'hui, Nike repart de plus belle avec sa nouvelle campagne "Joga Bonito". Au programme: du beau jeu, des stars, des pubs TV, mais aussi le lancement d'une communauté internet en coopération avec Google pour les "footeux qui défendent le beau jeu". Attention cependant, cette communauté n'est accessible que "sur invitation" pour le moment. De quoi faire sourire, quand on sait que l'on comptait à peine plus de 10 millions d'internautes en Afrique en 2004, contre plus de 200 millions en Europe (1)...
(1) Source eMarketer, International Telecom Union