Erreurs système
Invité : When Saturday Comes – L'Angleterre ne produira pas de joueurs capables de gagner des tournois internationaux avant d'avoir des entraîneurs dignes de ce nom.
Un nouvel article de l'indispensable mensuel When Saturday Comes, issu de son numéro d'août. Titre original: System Errors.
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Immédiatement après que l'Angleterre a été éliminée de l'Euro 2012, Jamie Carragher s'est rangé parmi ceux qui ont critiqué non seulement l'équipe, l'entraîneur ou la prestation contre l'Italie, mais aussi le footballeur anglais lui-même. "À la prochaine Coupe du monde, nous aurons les mêmes discussions d'après-élimination à propos de notre incapacité à conserver le ballon", écrivit-il dans sa chronique pour le Telegraph. "Nous savons tous où est le problème. Nous sommes techniquement inférieurs aux superpuissances internationales."
On peut estimer que Carragher est bien placé pour émettre un tel jugement. Mais d'autres ne l'ont pas suivi. Jamie Redknapp a assuré catégoriquement qu'il "ne pensait pas qu'il s'agissait d'un problème de joueurs", ajoutant: "Je ne partage pas du tout l'opinion selon laquelle ils ne savent pas jouer, mais nous devons nous donner une chance de jouer avec la bonne formation." Pour une fois, Redknapp était à deux doigt de taper dans le mille. Si quelque chose est encore plus certain en Angleterre qu'une élimination aux penalties en quart de finale, c'est le caractère outrancier des réactions qui suivront – aussi bien pour fustiger les individualités que pour se flageller quant à l'état du football anglais.
Pas un problème de joueurs
Cette fois, les éléments à charge ont été l'échec de l'Angleterre dans la conservation du ballon et la statistique abondamment citée indiquant que le meilleur passeur avait été Joe Hart – et son partenaire préféré Andy Carroll. Si l'obsession actuelle pour la possession de balle masque parfois des statistiques plus pertinentes (comme le score), celle-ci en particulier ne dresse pas un tableau très flatteur de la façon dont l'équipe de Roy Hodgson a joué.
Il y a tellement de critiques valables à émettre sur les structures du football anglais qu'on est peine de savoir par laquelle commencer lorsque l'équipe nationale ne parvient qu'à être tout juste passable. Comme d'habitude, des théories étranges ont voisiné avec des remarques constructives – Rafa Benitez soulignant par exemple la nécessité d'autoriser les équipes réserve à évoluer dans les divisions inférieures. L'insistance de Carragher à dire que les joueurs ne sont pas bons relève d'une idée fausse assez révélatrice, qui dissimule une lacune bien plus profonde: les entraîneurs anglais ne sont tout simplement pas au niveau.
"Un mauvais coaching peut ruiner le potentiel de bons joueurs, mais le meilleur entraîneur du monde ne pourra jamais transformer un joueur médiocre en footballeur de très haut niveau." Carragher a raison, mais comme Redknapp le suggère, il n'est pas question de mauvais joueurs: huit des titulaires d'Hodgson à Kiev avaient gagné la Premier League ou la Ligue des champions.
Complexe national
La possession repose au moins autant sur l'organisation de l'équipe et le jeu de passes qu'elle met en place, que sur la valeur technique individuelle des joueurs. Après tout, il y a quelques mois seulement, les mêmes commentateurs qui aujourd'hui déprécient les internationaux anglais, tressaient des louanges à Swansea City pour sa faculté de garder le ballon, en notant que Leon Britton présentait le meilleur taux de passes réussies d'Europe.
Ça ne signifie pas que Leon Britton aurait dû figurer sur la liste d'Hodgson (quoique cela n'aurait pas été une mauvaise idée), mais que jamais les joueurs anglais, Carragher compris, ne se sont vu proposer un système leur permettant de jouer de manière plus sophistiquée – ni même la foi en l'idée qu'ils pourraient y parvenir. Nous n'aurons pas à attendre longtemps pour confirmer cette théorie. Si Brendan Rodgers arrive à faire des internationaux de Liverpool de meilleurs passeurs que lorsqu'ils évoluaient sous les ordres de Kenny Dalglish et de Roy Hodgson – et à mon avis ce sera le cas – on aura de bonnes raisons de croire que le coaching est plus à remettre en question que la technique de base.
Il y a également un problème d'ordre psychologique, que ne fait qu'aggraver l'autodénigrement. Depuis les pères fondateurs de l'angoisse du quart de finale – contre l'Allemagne de l'Ouest à l'Euro 72 – l'Angleterre s'est rendue à l'opinion que les autres pays jouent simplement mieux au football. Selon les époques, ce furent les Pays-Bas, l'Italie puis la France et maintenant l'Espagne (en plus de l'Allemagne, depuis le début). À bien des égards c'était juste, quoique pas de toutes ces équipes à toutes ces époques.
Où sont les entraîneurs britanniques ?
L'Angleterre est passée d'une mentalité trop sûre de sa propre supériorité à une autre qui déprécie instinctivement ses qualités. Mais suivre aveuglément le "système hollandais" ou "l'école barcelonaise" n'est pas la méthode qui a permis aux autres pays de progresser: ils ont aussi retenu ce qu'il y avait de meilleur dans leurs propres traditions. Au lieu de quoi, l'Angleterre se repose trop facilement sur les pires ses siennes – comme sur les béquilles grotesques de la mentalité de bulldog et de la guerre de tranchées.
Avec ce genre de discours, les joueurs anglais ne croient pas vraiment qu'ils puissent se mesurer aux six ou sept meilleures nations européennes, même quand celles-ci sont composées de joueurs dont les clubs sont de niveau similaire ou inférieur aux leurs (le Portugal, par exemple, dont l'équipe ne comprenait que cinq pensionnaires des clubs dominants dans les quatre principaux championnats).
Pour faire mieux, l'Angleterre doit d'abord cesser de battre sa coulpe avec sa supposée infériorité. Surtout, elle doit trouver le bon sélectionneur. Mais où sont les grands entraîneurs britanniques? C'est bien dans ce domaine – bien plus que dans celui des joueurs – que les autres nations ont avancé. Il y a vingt ou trente ans, les candidats pour le job avaient dirigé le FC Barcelone ou au moins l'Atlético Madrid. La probabilité infime de voir de tels clubs embaucher aujourd'hui un entraîneur anglais ne dit pas que Robby Robson, Terry Venables ou Ron Atkinson étaient des géants, mais montre à quel point le coaching britannique a régressé depuis cette époque.
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