Le foot s'ennuie...
Tribune des lecteurs - À l'heure du formatage de la technique et de la personnalité des footballeurs, on peut regretter la disparition des chiens fous (ou galeux) qui faisaient le charme de ce sport...
Auteur : Brice Tollemer
le 2 Mars 2005
Cela fait bientôt huit ans que le King Éric Cantona a arrêté. Huit ans. Il s’en est passé des choses. L’équipe de France a (considérablement) étoffé son palmarès, les clubs français retrouvent un standing européen (du moins pour certains d’entre eux), les joueurs estampillés hexagone sont une valeur sûre. Cependant, quelque chose manque toujours. Quelque chose de non-quantifiable, qui échappe aux statistiques, aux considérations techniques, aux représentations tactiques. Finalement quelque chose qui peut ne pas paraître essentiel, voire même dérisoire, mais qui peut déclencher rêves et fascination. Charisme de gastéropode Prenons par exemple le joueur français emblématique de la fin du 20e siècle et du début du 21e. Zidane sur un terrain est souvent magique (enfin quand il daigne courir un peu mais là n’est pas le sujet). En dehors du terrain, il a l’air sympa. Et puis voilà. C’est tout. Voilà le problème, il a le charisme d’une huître. Pas fascinant pour un sou. Pas de déclarations intempestives, pas d’attitude atypique. Et c’est un peu la tendance générale actuellement. Regardons le cas Robert Pires. Le gendre idéal, un gentil gars, genre le voisin qui vous prêterait sa tondeuse, et qui se demande bien pourquoi vous vous entendez si bien avec sa femme. Et bien le voilà qui se transforme en parfait petit rebelle pour avoir critiqué les choix du sélectionneur. Puis attention, c’est du violent hein, c’est sans concession. Tellement violent qu’il a dû s’excuser. Ouf. Je me rappelle la première fois que j’ai entendu parler de Cantona, je devais avoir sept ou huit ans. Il venait de traiter Henri Michel de "sac à merde", je crois. Il venait de traiter celui qui avait entraîné l’équipe championne olympique en 1984 et qui avait mené la France en demi-finale de Coupe du monde de "sac à merde". J’ai trouvé ça génial, même si à l’époque, j’avais pas tout compris. Par la suite, ses hauts-faits furent nombreux, son col relevé, sa conférence de presse après son kung-fu envers un supporter, tout ça faisait que Cantona détonait, en dehors et sur le terrain. Où en sommes-nous aujourd’hui? On met même des cartons jaunes aux joueurs qui enlèvent leur maillot après un but... On est loin de Robbie Fowler qui, il y a quelques années, après avoir marqué, avait sniffé la ligne comme réponse aux accusations de cocaïnomanie dont il était l'objet... Rigorisme propret Les footballeurs sont d’un ennui, peut-être dû au fait de la généralisation et du très bon fonctionnement des centres de formation (ou plutôt de formatage) : ils sont devenus complètement interchangeables, et on leur apprend même quoi répondre pour les interviewes d’après-match. Pas une parole plus haute que l’autre, pas une tête qui dépasse. Comme en haut ce n’est pas intéressant, on regarde maintenant vers le bas pour trouver quelques cas particuliers (signe des temps, la création du Ballon de Plomb © Cahiers du football). On a le sentiment que ces joueurs ne veulent pas (ou ne peuvent pas?) sortir de ce schéma dans lequel ils sont enfermés. Cela est peut-être en rapport avec l’intelligence, ou la culture, ou bien les deux, mais l’explication n’est pas suffisante. Cette espèce de rigorisme propret a, semble-t-il, complètement annihilé l’expression de personnalités caractéristiques parmi les footballeurs. La plupart d’entre eux sonnent creux, ne veulent se fâcher avec personne, et rester dans ce consensus, entre le mou et l’insignifiant. En France, seuls Fabien Barthez et Johan Micoud semblent avoir quelque consistance... Finalement tout ceci manque de leaders, de héros, de stars.. Tout est devenu tellement prévisible, tellement anodin, tellement ennuyeux. Neurasthénique. Et à force d’être trop désinvolte, on a l’air de rien…