Cristiano Ronaldo, le Dorian Gray du football
Il est sur le point de remporter son cinquième Ballon d'Or. Mais quel pacte Cristiano Ronaldo a-t-il signé pour paraître plus jeune et plus lisse saison après saison?
Cristiano Ronaldo devrait obtenir aujourd'hui son cinquième Ballon d’Or, après avoir remporté le trophée de meilleur joueur de la FIFA. Il égalera ainsi son rival et double antagonique, Lionel Messi.
Un record, un de plus pour Ronaldo, qui semble vivre pour les posséder tous, lui qui a récemment déclaré dans L’Équipe qu’il désirait "sept enfants et autant de Ballons d’Or". Sept, comme "CR7", sa signature et sa marque, son numéro au Real Madrid depuis 2010 et le départ de Raúl [1].
La quête des sept Ballons d’Or ne semble d’ailleurs pas inaccessible, tant le temps paraît ne pas avoir de prise sur son niveau et ses performances. Quant aux enfants, il en est à quatre.
Être Cristiano Ronaldo
Cristiano Ronaldo est un joueur qu’on aime détester. Trop fort, depuis trop longtemps, trop individualiste, dictateur du ballon obligeant ses partenaires à l’alimenter sans cesse, lui et pas les autres, lui l’ogre aux plus de 500 buts marqués depuis le début de sa carrière professionnelle.
Ses attitudes sont exaspérantes: ainsi sa propension impudique à exhiber son corps parfait, arrachant son maillot pour mieux bander ses muscles à chaque fois que l’occasion est assez belle pour attirer mille caméras et photographes, y compris quand il n’a pas joué, ou si peu – comme lors de la finale victorieuse de l’Euro 2016 avec le Portugal.
Et puis il y a son irrépressible coquetterie, sur le terrain – tout jeune, il se recoiffait déjà sur les écrans géants – et surtout au dehors. Lieu de déploiement privilégié de son image, son compte Instagram (116 millions d’abonnés, troisième compte plus suivi au monde et le plus suivi de tous les footballeurs) regorge d’images.
Images de Cristiano Ronaldo au volant de bolides invraisemblables, de Cristiano Ronaldo devant les portes de sa demeure aux portes siglées "CR", de Cristiano Ronaldo en slip, de Cristiano Ronaldo descendant les marches de son jet privé, de Cristiano Ronaldo en costume sombre et lunettes noires, de Cristiano Ronaldo souriant d’un sourire trop blanc, et parfois de plusieurs de ces situations en même temps. Comme beaucoup de footballeurs, peut-être, mais Cristiano Ronaldo n’est plus seulement un footballeur. Il est "Cristiano Ronaldo".
Le fantôme d'un adolescent
Le visage de Cristiano Ronaldo est une énigme. Ce n’est pas que Ronaldo ne vieillit pas: c’est bien plutôt qu’il semble rajeunir. Insensible aux tendances capillaires du moment, il est toujours impeccablement glabre. Pas un poil ne dépasse: les sourcils sont épilés, les cheveux soigneusement pommadés comme un joueur du grand Real des années 1950, ou bien dressés au gel en petites pointes, comme un adolescent des années 1990.
Son visage est lisse, sans pores, sans granules, comme modelé dans un plastique souple et bronzé. Il a 32 ans, bientôt 33. Il en paraît 18. À cet âge, il avait pourtant une tout autre figure. Dans ses jeunes années, au Sporting Portugal et même à Manchester United (2003-2009), c’était encore un post-adolescent un peu vilain, boutonneux, aux dents mal plantées, aux coiffures approximatives et bicolores.
Il n’y a pas besoin de chercher bien loin ces portraits si peu conformes à l’image actuelle de Ronaldo: les mots "Cristiano Ronaldo jeune" dans n’importe quel moteur de recherche y conduisent tout droit.
Comment relier ce visage adolescent, si imparfait, au Ronaldo actuel autrement que par les explications faciles que sont la chirurgie esthétique, les soins dentaires et l’attention perpétuelle à son corps d’un homme qui s’est progressivement obsédé de lui même? Existerait-il un rapport secret entre les performances inaltérables de Ronaldo et la fabrication de son éternelle jeunesse?
Une nuance de Gray
Et si Cristiano Ronaldo était une sorte de Dorian Gray du football? Dans Le Portrait de Dorian Gray, le célèbre roman d’Oscar Wilde publié en 1890, le jeune Dorian, beau et ambitieux, fait la rencontre d’un aristocrate décadent, Lord Henry Wotton. Ce dernier lui présente Basil Hallward, un peintre en vogue qui réalise son portrait – son chef-d’œuvre.
Convaincu par Lord Henry que seule la beauté donne son prix à la vie, Dorian fait un vœu: que ce soit le portrait, et non lui-même, qui vieillisse. Le vœu est exaucé et Dorian traverse les années sans qu’une ride ne flétrisse son visage. Le portrait, lui, s'altère. Parallèlement, Dorian est admiré, invité de toutes parts. Mais il devient mauvais et cynique. Chacune de ses bassesses, de ses cruautés et finalement de ses crimes, marque le portrait qui devient celui d’un vieillard hideux.
À la fin du roman, pour détruire le tableau devenu la preuve de ses péchés, Dorian veut le déchirer à coups de poignard. Au premier coup, c’est lui qui s’effondre: on retrouve au bas du tableau son corps méconnaissable, au visage repoussant. Le portrait, lui, a retrouvé son aspect originel.
Y a-t-il quelque part un portrait de Cristiano Ronaldo en vieillard monstrueux? Non. Dans la décadence de l’Angleterre victorienne dépeinte par Wilde, les hédonistes pervers comme Lord Henry ou Dorian Gray se cachaient pour jouir de leurs vices.
Autoportraitiste
Ronaldo, lui, ne se cache pas: sportif acharné qui passe sa vie à s’entraîner sur des terrains de sport et fils d’une époque qui voue un culte à la performance brute et chiffrable (le palmarès, le nombre de buts, les trois mille abdos par jour), c’est à Instagram qu’il a confié son image. Les métamorphoses du portrait de Cristiano Ronaldo n’ont rien de secret: elles sont constamment à la vue de ses 116 millions de followers.
En étant à lui-même son propre portraitiste, Ronaldo a enterré un jeune homme imparfait et peut-être attachant pour construire l’effigie d’un demi-dieu triomphant et inaccessible. Sans doute a-t-il peu de réelles turpitudes à cacher: la mère de son premier fils est inconnue, mais à la différence de Dorian Gray poussant la belle Sybil Vane au suicide, Ronaldo lui a versé douze millions d’euros. On le dit même altruiste et généreux dans son pays, bien qu’il ne paie pas ses impôts en Espagne.
Sa soif d’argent s’affiche partout sur son compte Instagram, rempli de publicités, parfois dissimulée en scènes de sa vie de famille dans lesquelles il prend soin d’exhiber les chaussures de son sponsor.
En somme, contrairement au roman, ce n’est pas le portrait qui tuera Ronaldo, mais Ronaldo qui tuera le portrait: quand il cessera d’être un joueur de haut niveau, dans deux, trois ou cinq ans, à quoi lui servira le vernis des filtres Instagram?
[1] C’était déjà le sien à Manchester United, où il succéda dans la filiation septénaire au grand Beckham, au roi Cantona et à la légende Best.