Platini à Nantes, le rêve de Lagardère
En 1979, le nom de Michel Platini est discrètement évoqué dans les couloirs du Football Club de Nantes. Rien ne s'oppose à un transfert, sinon la frilosité des dirigeants. Le club nantais a-t-il raté un rendez-vous avec son histoire?
Rarement jusqu’alors le devenir d'un footballeur n'a autant agité les médias français. Michel Platini a vingt-quatre ans et le contrat qui le lie à l'AS Nancy-Lorraine, son club formateur, arrive à son terme en cette fin de saison 1978/79. Les supputations vont bon train.
Déjà, l'Inter Milan s'est positionné malgré une mesure qui interdit aux clubs du Calcio de recruter un joueur étranger. Le club lombard pense que la Federcalcio va très prochainement lever cette interdiction en vigueur depuis 1966. Mais la plupart des clubs français sont également sur l'affaire. Parmi eux, l'AS Saint-Étienne, le club numéro un de l'Hexagone, et son rival national, le Football Club de Nantes.
Bolides d'argent
Platini à Nantes, c'est avant tout une idée de Jean-Luc Lagardère. L'homme d'affaires est devenu en 1977 le PDG du groupe Matra. Auparavant, il s'était illustré dans le sport automobile en dirigeant ses pilotes vers un titre de champion du monde constructeurs en Formule 1 (1969) puis un triplé mythique (1972, 1973, 1974) aux 24 heures du Mans.
Les bolides rangés, Lagardère rêve désormais de devenir président d'un club de football. Son entreprise a racheté la station de radio Europe 1. Et comme celle-ci sponsorise le FC Nantes, Lagardère se voit bien prendre les destinées de la formation nantaise.
En octobre 1976, le patron avait même eu l'idée saugrenue d'inviter ses amis à assister à une rencontre du FCN face au Paris Saint-Germain, alors sponsorisé par une station rivale. Une idée qu'il regretta lorsque le jeune club parisien mena 0-3 sur la pelouse nantaise. Heureusement pour lui, les Canaris parvinrent à revenir au score et conclure le match sur un 3-3 qui sauva sa soirée.
Composants électroniques
En 1979, Matra-Harris installe une usine de composants électroniques à Saint-Joseph de Porterie, près de Nantes. Lagardère se dit que c'est le moment de réaliser un coup médiatique: il propose aux dirigeants canaris de faire venir Michel Platini et de financer une partie de son salaire. Il prend soin dans le même temps de déléguer Eugène Saccomano, journaliste d'Europe 1 et grand ami du joueur lorrain, vers Nancy pour expliquer le projet au principal intéressé.
Du côté nantais, deux camps prennent forme, les "pour" et les "contre". Parmi les premiers, Robert Budzynski, le directeur sportif, est persuadé que le Lorrain permettrait au club de franchir un palier, notamment sur la scène européenne. Il se déplace d’ailleurs lui-même jusqu'à Nancy pour confirmer l’intérêt des siens et promettre au jeune international le même salaire que l’idole locale, Henri Michel.
Ce dernier fait partie des "contre", sur la même longueur d’ondes que le président Louis Fonteneau. Le capitaine nantais craint non pas que le futur ex-Nancéien lui fasse de l'ombre, mais pense que le FC Nantes n'a pas besoin de Platini. Le club possède déjà en Gilles Rampillon un meneur de jeu de qualité. Il estime en outre que les sponsors n'ont pas à intervenir dans le domaine sportif en imposant des joueurs dans l'équipe.
L'affaire du Sofitel
Les discussions sont animées au sein d'une structure où, pour la première fois, se confrontent les intérêts sportifs et économiques. Une dépêche de l'AFP avance même que Platini a donné son accord aux Nantais mais la réalité semble toute autre. À l'occasion d'un Nantes-Nancy, le 18 mai 1979, Saccomano va rencontrer Platini au Sofitel de Nantes, où loge l'équipe lorraine. Le journaliste aperçoit le joueur en pleine discussion avec Pierre Garonnaire, le recruteur de l'AS Saint-Étienne…
Le 31 mai 1979, Michel Platini annonce qu'il a signé chez les Verts pour trois ans. Le rêve de Lagardère prend fin.
Sources:
• "Platini, le roman d'un joueur" de Jean-Philippe Leclaire (1998 - Flammarion)
• "Président Platini" de Arnaud Ramsay et Antoine Grynbaum (2014 – Grasset)