De quoi Nasser Al-Khelaïfi est-il "innocent" ?
Minichro – Relaxé par la justice suisse dans une des affaires de corruption de la FIFA, Nasser Al-Khelaïfi est-il aussi "entièrement blanchi" qu'il le prétend?
La minichronique pose une question, elle n'y répond pas toujours et, à la fin, elle en pose une autre.
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À l'issue du procès d'une des affaires de corruption de la FIFA, le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone en Suisse a acquitté Nasser Al-Khelaïfi et Jérôme Valcke dans le dossier principal.
"Après quatre années d’allégations sans fondement, d’accusations fictives et d’atteintes constantes à ma réputation, la justice m’a entièrement blanchi. Le verdict d’aujourd’hui est une véritable victoire", a triomphé le dirigeant qatari dans un communiqué.
Nasser Al-Khelaïfi échappe ainsi aux vingt-huit mois d'emprisonnement requis contre lui. Mais, si les juges ne l'ont pas condamné, est-il aussi innocent qu'il le clame?
photo cc Christophe Pelletier
L'accusation lui reprochait d'avoir offert fin 2013 à Valcke, alors secrétaire général de la FIFA, l'usage exclusif d'une luxueuse villa en Sardaigne (achetée 5 millions d'euros, via une société que "NAK" détenait). Ceci quelques mois avant l'attribution à BeIN Media des droits de diffusion des Coupes du monde 2026 et 2030 pour le Moyen-Orient.
Comme l'écrit Coralie Febvre de l'AFP, "les magistrats ont pourtant validé, factuellement, la thèse de l'accusation: Valcke a bien monnayé son soutien à BeIN". Les magistrats, au civil, ont qualifié "de pot-de-vin ou d'arrangement corruptif" l'acompte que lui a remboursé par Nasser Al-Khelaïfi pour la villa.
Problème 1: la FIFA ayant retiré sa plainte après un accord amiable avec Nasser Al-Khelaïfi (en contrepartie d'un versement de près d'un million d'euros selon le Times), le tribunal ne pouvait plus le poursuivre pour "corruption privée".
Problème 2: l'accusation de "gestion déloyale" n'a pas été retenue, le montant obtenu pour les droits en question étant objectivement très élevé (60% de plus que pour les deux mondiaux précédents).
BeIN et son patron ont donc bien accordé des faveurs financières à un dirigeant de la FIFA, moins pour obtenir un marché qui serait de toute façon revenu au groupe (seul candidat, avec une offre très élevée) que pour… pour quoi, au juste? Disons: pour asseoir son pouvoir sur la FIFA et le football mondial.
Il s'agit, en quelque sorte, d'une forme supérieure de corruption consistant à acheter non pas un avantage économique, mais le pouvoir lui-même – le pouvoir institutionnel de la FIFA, encore plus redevable d'un État auquel elle a déjà accordé l'organisation de la Coupe du monde. Une forme de corruption juridiquement non condamnable.
Du moins pour ces faits car, depuis 2016 et une "loi FIFA" adoptée en Suisse, une plainte n'est plus nécessaire pour poursuivre les acteurs présumés d'un pacte de corruption. L'ex-tennisman Nasser Al-Khelaïfi est donc passé dans les trous de la raquette judiciaire plus qu'il n'a été "blanchi".
Voilà la nature de sa "victoire", face à une justice suisse empêtrée dans la myriade d'affaires impliquant la FIFA. Le patron du PSG – mis en examen en France pour "corruption active" dans l’attribution des Mondiaux d’athlétisme 2017 – et le Qatar sortiront-ils pareillement innocents des autres procédures en cours?