Combats du sport
Bibliothèque – Avec Terrains de jeux, terrains de luttes, Nicolas Kssis-Martov rappelle à quel point le sport a toujours recelé des enjeux politiques.
Auguste Delaune, Lise Ricol, Abraham Henri Kleynhoff, Ahmed Bourouiba, Rino Della Negra, la Commune, La seconde guerre mondiale, le régime franquiste, la guerre d’Algérie… De Paris à Alger en passant par Barcelone, Nicolas Kssis-Martov raconte, dans Terrains de jeux, terrains de luttes, le sport par les luttes.
Cet essai à mi-chemin entre le roman et le cours d’histoire revisite les chamboulements politiques qui ont influencé le sport par ricochet – mais non pas par hasard. Il revient sur les parcours politiques et parfois les destins tragiques des militant(e)s illustres ou oublié(e)s, qui ont permis de rendre le sport accessible, populaire, inclusif.
D’emblée, l’auteur déclare qu’il s’agit moins d’une histoire politique du sport que d'un "petit retour sur ce que le sport doit à la politique, et à celles et ceux qui n’ont jamais eu honte d’en faire".
La place du sport
Nicolas Kssis-Martov, avec sa formation d’historien, excelle dans l’exercice du récit et sa sensibilité personnelle ressort notamment dans son intérêt pour les petites histoires dans les grandes. Qui se souvient, par exemple, de Carmen Crespo, une joueuse de basket espagnole tombée tragiquement sous les balles franquistes?
Pour autant, Terrains de Jeux, Terrains de luttes n’est pas une collection d’anecdotes inédites, plutôt une démonstration de la place qu’occupe le sport dans la société, avec tout ce que cela implique.
La genèse de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), la désillusion des Olympiades populaires à Barcelone, les créations du Racing club de Paris et du Mouloudia Club d’Alger, Daniel Cohn-Bendit et mai 68, les crampons rouges, le sport dans les banlieues: autant de feuilletons qui permettent de comprendre comment le sport et ses institutions ont évolué.
Si l'ouvrage laisse transparaître l’érudition de son auteur et atteste d’un grand travail de recherche, il reste accessible dans la forme d’une narration fluide et d'une division par chapitres qu’on peut rapprocher du feuilleton.
La place de l'humain
Le vernis romanesque rend la lecture plus agréable sans être accessoire, car beaucoup de ces figures héroïques sont aujourd’hui oubliées. L'hommage subtil que leur rend le livre s’inscrit dans un effort de redonner leur place aux actes militants.
Les luttes de l’époque du Front populaire, le combat pour un sport inclusif, les convictions des Delaune et Kleynhoff sont par exemple loin d’être de l’histoire ancienne.
En définitive, l’essai de Nicolas Kssis-Martov n’a pas comme sujet central le sport ou la politique, mais l’humain qui a peu à peu été relégué au second plan derrière les considérations économiques. L’ouvrage nous invite ainsi, peut-être malgré nous, à renouer avec les valeurs qui font le sport.
Terrains de jeux, Terrains de luttes apparaît en ce sens comme un ouvrage didactique, sans que l’auteur en ait la prétention. On y explore le passé pour mieux mesurer le chemin parcouru et constater celui qui reste à effectuer pour faire du sport un véritable levier d’émancipation.
Terrains de jeux, Terrains de luttes, de Nicolas Kssis-Martov, éd. de l'Atelier, 2020, 16 euros. Nicolas Kssis-Martov est journaliste à Sport et Plein air, revue de la FSGT, et écrit pour So Foot.