Histoire Football Club
Dis, cédéfiste érudit, raconte-moi une histoire...
valdo
15/11/2020 à 15h36
Histoire personnelle et amateur
C’était un après-midi d’août, les années 1980 essayaient de percer. Il était un peu trop tôt et nous restions indemnes de ce temps qui glissait plus surement que l’avenir.
Nous étions dans un champ, tous les 6. C’est ce que ma mémoire a retenu mais peut-être se mélange t’elle les pinceaux.
C’était les vacances et j’étais bien jeune. Quand je dis tous les 6 c’était bien sur Marc, Jf, Anne toute petite et moi, accompagnés par nos parents.
Je revois le champ légèrement bosselé et je le devine sur une ile. Peut-être était-ce cette année ou cherchant un camping à Oléron et perdant espoir devant les panneaux « complet » affichés à l’entrée de chaque, nous fûmes abordés par un gars du coin, un petit malin, qui nous proposa son champ qu’il avait nommé « camping à la ferme » sous prétexte qu’un abreuvoir y figurait et qu’il y avait la place pour poser caravanes et canadiennes. Si la Haute Marne avait pu convenir à mes parents, ce bout de terre ferait l’affaire. Entre gens du terroir on entend le même chant d’oiseaux.
Le prix pour une semaine devait correspondre à l’équivalent d’une demi-seconde dans les campings 2 à 3 étoiles où nous entrevoyions piscine et jeux à profusion.
En homme de la terre, l’autochtone avait-il reconnu en mon père un compère, un homme simple aux besoins élémentaires ? Je ne saurais le dire. Ou bien c’est l’agriculteur qu’il voyait en lui que mes géniteurs ont adopté sans faille. Du corporatisme de base, daté certes mais du corporatisme toujours.
L’apparence rustique, valeur sure et authentique, la délivrance de trouver un lieu ainsi que plein d’autres préoccupations parentales que nous ignorions à l’époque, firent que nous avons suivi le bonhomme à travers les méandres de l’île.
Nous avons eu le droit, face à nos mines renfrognées de jeunes enfants s’apercevant que la modernité et le luxe allaient encore nous échapper, à un rappel de leurs conditions de vie au même âge, les foins, les travaux quotidiens, peut-être même la mandarine à noël… nous avions bien de la chance. Ils avaient raison.
Un transistor, le plein air, de quoi courir, un ballon et la mer pas trop loin, mes souvenirs sont heureux.
C’était un après-midi et nous, les trois garçons, jouions au foot sur un terrain imaginaire et des buts faits d’habits.
Il ne manquait rien pourtant qu’elle que soit la configuration, 3 pour faire un match quand on a si peu d’écart c’est bancal. Inégal.
Je ne sais plus qui a eu l’idée, qui a demandé mais nous avons sollicité notre père pour équilibrer les équipes. Nous avions 10, 11 et 13 ans et pour la 1ère fois nous demandions à notre père de participer.
Il n’avait pas de patates à éplucher, de salades à laver et Pierre Bellemare avait fini de conter ses histoires étranges et fascinantes. Il a dit oui.
J’étais déjà le plus petit (c’est un point qui n’a pas évolué) et nous avons fait équipe tous les deux face à mes frères.
Jf avait l’aisance et la finesse, Marc la force et la robustesse. Moi j’avais un merveilleux défi devant les yeux. Jamais nous ne l’avions vu jouer ni se passionner pour ce sport. Pas de coupe du monde 1978 à la télé, juste 10 minutes de la finale grâce à un de leurs amis hollandais.
Le foot c’était un passe-temps pour nous trois depuis 2 ans et je ne pensais pas à l’époque que cela remplirait autant ma vie. Avec le recul, cette activité était pour eux un moyen d’être tranquille, de nous laisser entre nous, de s’occuper d’eux.
Le sport, la culture, ils n’avaient rien contre. Encore fallait-il que tout reste en proportion raisonnable et surtout n’empiète pas sur la réussite, qu’elle soit scolaire ou professionnelle.
De notre côté, nous rêvions d’excès, d’exploits et des héros que d’autres nous contaient. La télévision ne quittait pas la chambre des parents et il était difficile de s’y incruster sans se faire voir, surtout quand il dormait dedans.
Nous citions des noms et notre admiration enveloppait les plus grands, les anciens mythiques, les nouveaux qui s’affirment, les français qui percent. Il nous fallait du muscle, de la sueur et des heures de souffrance. Plutôt Emil Zatopek que Pietro Mennea. Je rêvais de défi inaccessible aux autres, d’ascension des plus grands sommets, de traverser du désert, de la montée de l’Alpes d’Huez en vélo. Je rêvais, plein d’espoir d’être quelqu’un d’autre.
Au milieu de tout cela, le foot n’était qu’un divertissement agréable, facile. Nous étions français et ce sport ne représentait pas d’enjeu, encore moins d’espoir. Nous étions nuls et amenés à le rester. Notre connaissance du foot se limitait à Pelé, Garrincha, Fontaine. Le monde d’avant.
La victoire était une simple option et le meilleur moyen de s’affirmer face à mes frères. Le plus jeune excelle quand il arrive à vaincre ses ainés. Un évènement tellement rare que je suis en droit de me demander si il a existé. Heureusement depuis j’ai insisté.
Et si tout ceci n’est pas exact, cela n’en reste pas moins le souvenir que j’en ai.
Voir jouer mon père à mes côtés était une grande fierté mais je n’étais pas certain que footballistiquement parlant ce soit un atout. Malgré tout, il apparaissait évident pour nous tous que c’était un évènement et qu’il convenait d’en être digne.
Dès l’engagement, il a avancé avec la balle, tout droit, sans que Jf ou Marc puisse l’arrêter et il a mis un boulet de canon (on dirait une mine aujourd’hui, ce qui montre bien le caractère guerrier de la chose) au milieu du but. Un tir d’une puissance que je n’avais jamais vu. Un tir, un but, le goal étant occupé à voler ailleurs. Puis un 2ème sur le même mode. Je regardais ébahi, souriant.
Je voyais bien la solidité du paternel, sa stature mais un ballon ne pouvait pas aller si vite et surtout les miens ne pouvait pas être aussi lents. Pour casser le rythme, jouer un peu, je me souviens avoir dit : Papa, il faut faire des passes ! Ce qu’il fit.
Le match s’est poursuivi et nous avons gagné de justesse. Notre tactique rudimentaire avait permis à l’équipe adverse de s’engouffrer dans nos failles mais trop tardivement. Eux aussi avaient été surpris de ce début de match, de ce buteur qu’il ne soupçonnait pas.
Puis, il est reparti à ses occupations, à ses loisirs me laissant débriefer avec mes deux frères cette rencontre unique. Les raisons de ce succès ne m’étaient pas conférées. J’avais gagné car il était trop fort, trop puissant. Cela me convenait parfaitement.
Nous avons dû le solliciter mille fois à nouveau mais je n’ai pas souvenir qu’il soit revenu jouer. Le caractère unique de ce moment était sans doute préférable.
C’était un après-midi d’août où j’ai joué au foot avec mon père.