Tribunes vides
Pour ceux qui auraient raté l'épisode, un petit rappel s’impose. Au début du clasico, deux jeunes "anti-mondialisation" pénétraient sur la pelouse afin de se menotter aux poteaux de buts. Opération réussie pour les deux manifestants, qui profitaient ainsi de la médiatisation de cet incontournable rendez-vous du football ibérique pour dénoncer "l’Europe du capital", par le biais d’un message inscrit sur leur t-shirt. Il faut dire que Barcelone accueillait un sommet européen, et (à l’insu de son plein gré) plus de 300 000 citoyens engagés dans la lutte contre la mondialisation libérale, largement promue par Bruxelles.
Visiblement, le message n’a pas rencontré le succès escompté auprès des spectateurs massés dans les tribunes: alors que les deux "intrus" étaient expulsés manu militari par la sécurité, une bronca généralisée et des jets d’objets divers accompagnaient leur sortie.
Cette attitude est assez significative de l’état d’esprit qui habite nombre de spectateurs, lesquels attribuent au spectacle sportif une importance si fondamentale qu’une interruption de dix minutes passerait presque pour un crime contre l'humanité. Ils sont encore plus nombreux à estimer qu'il ne faut pas mélanger le sport et la politique, que le premier est un sanctuaire qui ne doit pas être profané (par quoi, par des messages autres que publicitaires?). C'est le genre de philosophie qui a permis à l'Argentine, en l'absence de boycott, d'organiser le Mundial 78 pour la grande gloire de Videla, à certain populiste de faire carrière et aujourd'hui à une pensée unique de s'emparer du football européen sans rencontrer d'opposition.
Le plus regrettable, c’est que les spectateurs catalans devraient être les plus réceptifs à ce type de messages. Car c’est bien l’Europe libérale et l’arrêt Bosman qui ont transformé leur club, pourtant détenteur d’une forte identité régionale, en délocalisation de la sélection néerlandaise, il y a quelques mois. Et l’on ne peut pas dire non plus que les dérives actuelles vers le foot-business aient particulièrement profité aux Blaugranas… Mais la riche Catalogne dans la libérale Espagne d'Aznar n'a peut-être pas ce genre de préoccupations.
Le public a semblé en effet réserver son combat politique aux rituelles luttes régionalistes, comme le prouvent les banderoles déployées samedi dernier dans les travées: "La Catalogne n’est pas l’Espagne", "Cent ans d’histoire, cent ans de pourriture"... Les supporters du Barça se trompent d’adversaires, et ce ne sont visiblement pas deux juvéniles "fauteurs de trouble" qui leur ouvriront les yeux.
Finalement, on préfèrera à l’attitude des 100 000 personnes massées au Camp Nou celle des 30 000 présentes le même soir à Montjuic: Manu Chao et quelques autres artistes y donnaient un concert de soutien aux nombreux mouvements venus protester contre la marchandisation du monde…
En restant sur ce vaste sujet, et pour trouver quelque motif d'espoir, remarquons tout de même la banderole vue au Havre : "Droits télé, droits radios. A quand la vente du droit d'expression?". Signalons aussi l'initiative des Bad Gones 1987 de Lyon, qui ont produit un communiqué dénonçant la politique "tout-business" des dirigeants de l'OL et regrettant le déficit de passion autour de l'équipe.
En voici un extrait, qui prouve que certains présidents se voient contester leur appropriation des clubs (et que les Bad gones peuvent trouver d'autres mots que leur devise guerrière et un peu ridicule, soyons francs, "Combattre et vaincre").
"On n’entend que très rarement parler de jeu, de passion et de rêves, et bien trop souvent de budget, droits télés et introduction en bourse. Le domaine sportif paraît constituer au sein de l'Olympique Lyonnais un MOYEN et non un OBJECTIF. Les objectifs réels, bien souvent affichés, sont la construction d'un " grand club " selon une vision moderne du football de plus en plus mercantile, ou le spectacle se substitue au sport, les objectifs sportifs ayant été fixés en fonction des recettes à engranger pour couvrir les charges prévues pour les prochaines étapes de construction de cette entreprise de spectacle (… )Nous attendons des dirigeants qu’ils reconsidèrent leur politique pour revenir à l'essentiel : le football. Le business n'étant qu’à son service."