Banega, for Ever
Ode au génial argentin du FC Séville, dont la qualité de passe et l’élégance a pu rester cachée du regard de certains observateurs jusqu’à récemment.
À partir de combien de minutes passées à regarder un joueur peut-on l’aimer? Y-a-t-il une barre à franchir pour être légitime à le revendiquer, cet attachement du regard? Je m’en fous, je m’attarde et lui, temporise. Il choisit le jeu de son équipe. Selon ce qu’il perçoit ou peut-être selon ses envies, ou son humeur. À gauche, à droite. Puis dans la profondeur, par-dessus la défense. D’ailleurs, ses partenaires s’inclinent et lui donnent poliment le ballon quand il daigne passer en trottinant à quelques mètres, venant faire le devoir que lui a imposé son talent: lancer le jeu. Eux le voient tous les jours à l’entraînement, et s’inclinent.
Dans mon souvenir, Ever Banega était une brève. Un espoir argentin qui fit piteusement la Une pour un hommage trop appuyé à une beauté devant une webcam. Depuis, rien jusqu’à ce Liverpool-Séville du 18 mai 2016. Alors maintenant, j’apprends. Vainqueur de la Libertadores avec Boca Juniors, médaillé d’or aux JO en compagnie de Messi en 2008, quarante sélections avec l’Albiceleste, un tibia brisé sous sa voiture par oubli du frein à main, une Ferrari brûlée, l’Atlético, Valence (ah si, ça, j’avais su) avant Séville aujourd’hui: son parcours est pour le moins chaotique et espagnol avant, parait-il, de devenir intériste et italien.
Changements d’aile et ballons piqués
Ceux qui le connaissaient, ce talent, ceux qui le vantaient, me prendront pour un fou ou un amateur. Quelle ignorance, quel temps perdu! Le mérite revient donc à l’Europa League. Je l’avais quitté milieu défensif sans connaître ses qualités, le voilà numéro dix en finale face aux Scousers. Un bon résumé, en somme, de ses aptitudes de footballeur dans la superbe compétition offerte cette année, notamment dans ses phases finales, par Liverpool, Dortmund, Villarreal, le Shakhtar et le FC Séville. Il est, par exemple, le pivot du une-deux avec Vitolo finalement repris par Coke pour le deuxième but sévillan. Surtout, dans une première période où Séville galère, Banega organise, dribble, décale, tente, rate et retente.
Deuxième plaisir en une semaine, après la finale gagnée contre Liverpool, il est l’heure de la finale perdue contre le Barça en Copa del Rey. Mais pas de peine ou de compassion à avoir pour l’Argentin: il a joué au football, et bien. Cette fois replacé milieu défensif par Unai Emery, Ever sort les bottes secrètes de Pirlo de ses chaussettes. À base de changements d’ailes, de ballons piqués au-dessus de la défense catalane ou de coup franc sous la barre (sorti par Ter Stegen), Banega crée le jeu de Séville avec les appels de Gameiro et la vitesse de Vitolo. Il ne s’avouera vaincu, vêtu de rouge par l’arbitre, que sur l’une des passes géniales, qui dicteront la fin du match et du résultat, de l’autre natif de Rosario. L’accélération de Neymar est celle de trop, celle qui met en avant la faculté qu’Ever Banega n’a pas: la vitesse de course. Touche de romantisme dans la frénésie physique du football moderne.
Fin vêtu de rouge
Il sait en effet à peu près tout faire. Et du haut de son mètre soixante-quinze, il a des airs du Jefecito Mascherano, au milieu de son équipe. Ses cheveux dressés vers l’avant, reconnaissable en plan large avec ce képi naturel sur la tête et son numéro 19 dans le dos, le Rosarino est celui qui rameute les troupes après l’ouverture du score anglaise en coupe d’Europe. Il tire coups francs, parfois corners et surtout transversales à tout va dans un festival d’orientations et de changements de rythme.
Il est dit de certains joueurs qu’ils ont le tempo des matches dans la tête. Nul doute que Banega est de ceux-là. D’ailleurs, il parait aussi que les grands joueurs fêtent leurs départs, à Berlin ou ailleurs, en sortant seul du terrain, vêtus de rouge par l’arbitre…