Elche ruiné, détroussé, bientôt roulé ?
Relégué en deuxième division pour endettement excessif, Elche vient de vendre Jonathas, son meilleur joueur, grand voyageur de l’écurie Mino Raiola. Sur les 7,2 millions du transfert, Elche ne va encaisser que 600.000 euros. Explications.
L’Espagne a hissé le drapeau noir de la piraterie contre l’interdiction des tierces parties (TPO) par la FIFA depuis le 1er mai. Selon ce système, un pourcentage des parts économiques d’un joueur pouvait être détenu par une partie tierce (agent, fonds d’investissement, société, particulier). La Ligue espagnole considère suspensive sa plainte devant la Commission européenne.
L’Espagne et le Portugal avancent pour argument que la puissance économique de la Premier League crée une concurrence telle que le TPO constitue un dispositif compensatoire. D’où ce brigandage des galions espagnols et portugais contre les vaisseaux de l’Empire britannique.
Le Elche CF vogue, lui, actuellement sur un canot ballotté et doit écoper sans relâche. Relégué en Liga Adelante (D2) début juin pour cause d’endettement excessif, alors qu’il avait fini treizième de Liga, le club est menacé d’être encore relégué s’il ne paye pas aux joueurs les arriérés qu’il leur doit avant le 1er août.
Dans la galaxie Mino Raiola
Le transfert de Jonathas, son attaquant vedette (quatorze buts la saison dernière) à la Real Sociedad va t-il alléger ses dettes? Pas du tout. Sur les 7,2 millions d'euros du transfert, Elche n’en encaissera que 600.000! Il faut en effet d’abord soustraire 1,5 million, les salaires impayés du club au joueur; puis 3,6 et 1,5 millions (qui font donc au total 6,6 millions d'euros), soit les parts du joueur détenues par Mino Raiola, l’agent du joueur, et Maga, un club brésilien. Dans quel ordre? Peu importe, en fait, puisque l’agent est copropriétaire du club.
Maga, club obscur de troisième division, est inconnu en Europe et Jonathas n’y a jamais mis les pieds. Le joueur a juste cédé 75% de ses droits à l’Associaçao Maga Sporte Clube sur injonction de Raiola. Lequel dispose donc d’une filiale au Brésil pour Maguire Tax and Legal, sa société d’agents dont, pour raisons fiscales, le siège principal est à Amsterdam et le secondaire à Monaco.
À 26 ans, Jonathas est un infatigable coursier de l’écurie Mino Raiola. L’opération le menant à la Real Sociedad est en effet le seizième transfert ou prêt du joueur en huit ans. Avec, au passage, une ébouriffante série en Italie entre 2012 et 2014: six mouvements entre Brescia, le Torino, Latina Calcio et Pescara! Une déferlante de commissions et de mouvements de fonds…
Dans la soirée du 28 juillet, une réunion s’est tenue à la mairie d’Elche entre la municipalité et des investisseurs locaux, amenés à remplacer Juan Anguix, président du club, démissionnaire trois jours plus tôt. Lequel s’est offert un coup de théâtre en débarquant en pleine réunion avec selon lui LA solution: Dean Johnson, un Nord-Américain, disposé selon lui à investir entre quatre et six millions d’euros. Anguix précise alors que Johnson dispose d’une expérience européenne, dans le football belge. Il n’aurait pas dû…
Dean Johnson, le Kachkar du FC Liège
Le CV du "sauveur" d’Elche fait rapidement le tour des réseaux sociaux. Dean Johnson a en effet été le Jack Kachkar du football belge. Installé à Bruxelles au milieu des années 90 pour Wingfield, sa holding financière, il se propose, en 2010, d’investir dans le FC Liège, qui est alors en troisième division. Et ce alors que de deux de ses sociétés viennent d’être déclarées en faillite.
Un an plus tôt, il avait déjà ruiné le Minnesota Thunder, un club du championnat pro US (USL), en partant avec un millions de dollars de dettes. Mais il parvient tout de même à prendre le contrôle du FC Liège en décembre 2010. Un mois plus tard, Dean Johnson disparaît. Les supporters se mobilisent, financent les dettes fédérales et un mois de salaire pour les joueurs, avant que des repreneurs sauvent le club.
Dean Johnson ou pas, le Elche CF, dont la dette totale est de 40 millions d'euros, doit en trouver sept avant le 1er août afin de payer les salaires des joueurs. Sinon, double relégation. Son appel ayant été rejeté le 13 juillet par le tribunal administratif du sport espagnol, le club s’en remet maintenant à la justice civile. Il ne peut plus s’en remettre aux collectivités. Car fin 2013, la Commission européenne a mis en garde l’Espagne et les autorités de la communauté valencienne contre les subventions déguisées accordées au Valence CF, Hercules et Elche CF, que constituaient des prêts à taux très réduit (0,5% pour FC Valence, 1% pour les deux autres clubs). La survie du club est clairement en jeu.
Début juillet la commission des marchés et de la concurrence espagnole a estimé que le TPO (parts des joueurs détenus par un tiers) et le TPI (prêts possibles à un club par une tierce partie) étaient légaux et concouraient à assurer la pérennité financière des clubs, y compris ceux endettés. Elle a également estimé que les libertés d’initiative et de mouvement des joueurs n’étaient ni mises en cause, ni altérées. Un manifeste libéral détrompé de manière spectaculaire par les situations du Elche CF et de Jonathas.