Gourcuff, l'austère qui se barre
Vingt-cinq ans. On en a vu un paquet de matches ensemble, Christian. J'avais sept ans lorsqu'après l'avoir tanné pendant des semaines, mon anti-footeux de père capitula et m'emmena voir un bon vieux Lorient-La Roche-sur-Yon en D3. Une partie gravée dans ma petite tête de passionné. Lettre au patron.
Aujourd'hui encore, je me souviens parfaitement de l'odeur du gazon, du gars avec son panier qui gueulait "Ah cacahuèèèèèètes demandez pralines cacahuèèèèètes", des effluves de chipo, de la longue haie qui menait au vestiaire, des panneaux publicitaires Grillero ou encore des vannes grasses des supporters. Une écharpe orange et noire sur les épaules, des étoiles plein les mirettes. Ce jour-là, ma passion était née.
Depuis, je n'ai eu cesse de suivre les pérégrinations de tes Tangos. Peu importe où je me trouvais. À la radio, bien au chaud dans ma petite chambre à suivre le multiplex tapant des crises cardiaques à chaque: "Et but à Lorient!" Aux quatre coins du stade, dans le froid, sous la flotte ou dans l'excitation la moiteur aoûtienne après l'interminable trêve estivale. Devant mon ordi, en streaming, au Canada, à Bruxelles et même dans un cybercafé en Afrique.
Excitation et ennui
Comme dans un couple, il y a bien évidemment des hauts et des bas. Je mentirais si j'écrivais que je ne m'étais délecté que de matches d'anthologie. Evidemment. Lorient-Troyes, Lorient-Sochaux, Lorient-Dunkerque, Lorient-FC Saint-Leu... Des purges, je m'en suis farcies. Je préfère ne me remémorer que les beaux souvenirs.
J'ai fait la fête devant la mairie en 1997-1998 avec mon tee-shirt "Bonjour la D1, Kenavo la D2" pour fêter l'improbable montée avec les Bouafia, Pédron ou Malm. Plus petit budget de seconde division, tu avais réussi l'impossible. J'ai hurlé au milieu de Parisiens intrigués lors de la première victoire dans l'élite au Parc des Princes, un mois après la Coupe du monde, face au PSG de Marco Simone, Bernard Lama ou d'Alain Roche. Étudiant, j'ai fait la chenille avec mes collègues imbibés lors de la troisième montée face à Reims, au détriment de Caen, lors de la dernière journée. Je me suis délecté du spectacle proposé lors d'une victoire à domicile contre l'ogre lyonnais. J'ai chambré mon pote parisien lors de la déculottée (3-0) au Parc et ses supporters excités. Et j'en passe.
Plus que les résultats, dont la Coupe de France remportée par Yvon Pouliquen, c'est surtout la qualité de jeu proposée qui m'aura marqué. Les combinaisons à une touche de balle, le jeu en mouvement, les passes courtes. Du vrai beau football. Pas une mince affaire en Ligue 1. Une marque de fabrique que les connaisseurs rencontrés partout en France, n'ont eu cesse de respecter.
Une fin en queue de poisson
Ta personnalité ne plaît pas à tout le monde. Dans un milieu de plus en plus aseptisé, tes coups de gueule et ta vision du foot ont du plomb dans l'aile. Certes. Ton caractère reflète pourtant à merveille la ville aux cinq ports et ses habitants: brut de pomme, mais avec un grand cœur. J'ai eu l'occasion de le vérifier lors d'une rencontre en 2012 dans le cadre d'un article publié sur Rue 89. Sur tes gardes dans cette petite salle du Moustoir, tu t'étais finalement relâché pour évoquer ton passé. "Cela fait plaisir pour une fois de parler de jeu", m'avais-tu confié. Ton seul leitmotiv.
Au cours de cet entretien, tu avais parlé d'un éventuel départ du FC Lorient. Une prémonition? De mon côté, je n'aurais jamais imaginé un départ si prématuré. Et surtout pas qu'il soit forcé. Car, quand je vois la façon avec laquelle tu t'es fait lourder, je me dis qu'après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, tu méritais sans doute mieux. Les Lorientais ne sont pas dupes. En vendant Mario Lemina, sans même t'en avertir selon tes dires, le président Féry a signé les papiers du divorce. Ce dernier a choisi pour devise du club "Le football autrement". Sur ce coup-là, je crois qu'il a surtout fait dans "Le football comme les autres".
Et maintenant ?
Alors Christian, je ne sais pas qui va prendre ta suite à la tête de l'équipe mais je ne suis pas franchement optimiste pour le futur des Merlus. Bien entendu, le club grandit, se stabilise, le stade devient sympa, le centre de formation a de la gueule, mais la réussite du club est en grande partie due à ton talent: faire bien avec peu de moyens. Gameiro, Koscielny, Aliadière, Jallet... Faut-il rappeler toutes les pépites que tu as dénichées ou relancées? Quand on voit où se trouve Auxerre depuis le départ de Guy Roux ou Manchester United depuis la retraite de Ferguson, je me dis que j'ai des raisons d'être dubitatif.
L’Écossais a sa statue à Old Trafford. On attend désormais que ta silhouette orne l'esplanade du Moustoir. Ce n'est que du foot Christian mais, franchement, respect. Mon "moi" enfant, ado et l'adulte que je suis à présent te remercient du fond du cœur pour toutes ces belles années.