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La Centrafrique vue du ballon

Plongées depuis cinq mois dans un conflit complexe et meurtrier, certaines régions de Centrafrique reprennent vie, d’autres s’enlisent dans un cycle d’affrontements durables. Aperçus d'un pays en guerre à travers ses terrains de foot.

Auteur : Vapi le 16 Mai 2014

 

 

À Bangui, les activités ont peu à peu repris leur cours. Après plusieurs mois de combats intenses [1], qui ont vu tous les quartiers et les rues se vider, les écoles, les églises, les mosquées et l’aéroport se remplir de Banguissois fuyant les tirs et les attaques, le centre est revenu à la vie. Certains marchés ont rouvert, le lycée qui nous accueille a repris ses activités, et bien que nous soyons dimanche, certains étudiants traversent le terrain pour se rendre à l’internat. Pour nous aussi, il y a une forme de retour à la normale, après plusieurs mois passés en quasi confinement.

 

Bangui football
Bangui. Photo Sébastien Duijndam / cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Bangui, 16 Mars, débuts encourageants

Le week-end reprend ses droits, Le match commence, à quatre contre quatre, cinq contre cinq. Tant mieux si ça évite le grand terrain. Sous cette chaleur, on ne passera pas beaucoup plus de dix minutes à vraiment courir. Certains courent en sachant quoi faire du ballon ensuite, d’autre pas trop. De manière générale, les gamins qui nous ont rejoints jouent un peu mieux que nous, perdent moins de ballons.


Celui qui nous sert d’attaquant par exemple, contrôle la balle proprement. Mais il refuse systématiquement de la passer à ses partenaires d’attaques, pourtant toujours bien placés, et préfère la garder ou la remettre derrière, malgré les consignes reçues. Il a la peau un peu plus claire que les autres, et fait probablement partie des quelques familles peulhs qui sont restées à Bangui, malgré les menaces continuelles qui pèsent sur eux. La plupart des communautés musulmanes et peulhs ont aujourd’hui quitté la ville, trop souvent victimes d’attaques et de lynchages par une partie de la population chrétienne, après le désarmement et le départ des milices Séléka.


À la tombée de la nuit, on remballe le ballon, en ayant perdu, semble-t-il. Le couvre-feu n’est plus à 18 heures, mais rester dehors de nuit n’est toujours pas une option.  
 


Bossangoa, 30 Mars, ville fantôme

Samedi, dimanche, impossible de trouver une équipe ou un ballon. Cette ville, préfecture de l’Ouham, est aujourd’hui morte. Je scrute pour un terrain de foot pour occuper une partie du week-end, mais tout est vide. Certains quartiers ont été entièrement rasés, les traces d’incendies ornent encore les murs détruits des maisons que la population a quittées il y a déjà trois mois. En décembre, les milices chrétiennes ont tenté de reprendre la ville des mains des ex-Séléka. En quittant Bossangoa, les Séléka ont laissé derrière eux des cadavres et des milliers de maisons en cendres, dans les villages et dans la ville.


Ici, la population qui a décidé de rester dort dans deux camps de fortune, choisis selon la confession. La ville est coupée en deux: l’évêché au sud pour les chrétiens, l’école au nord pour les musulmans, qui fuiront peu à peu la ville et le pays pour de bon, sous l’escorte nécessaire des forces armées internationales.


J’ai entendu parler de matches inter-ONG, à défaut de mieux, organisés chaque dimanche. Pas ces jours-ci. Ce dimanche, seul le marché  propose un minimum d’activités, et encore, bien loin de ce que Bossangoa pouvait offrir auparavant. Le terrain de foot restera complètement vide, comme le reste de la ville.
 


Bangassou, 10 Avril, fausse alerte

Les jeunes sont là tous les soirs, juste à côté de l’ancien marché où s’organise la foire aux semences, et ils jouent plutôt bien. Le ballon circule vite, ils en perdent assez peu, malgré le terrain cabossé. Je pensais les rejoindre la veille, mais certains événements les avaient fait rentrer chez eux plus tôt, fait assez rare, dans cette région relativement plus tranquille que le reste du pays. La foire elle-même avait dû être annulée. Les informations de l’avancée des ex-Séléka vers Bangassou, dans un but encore flou, nous parvenaient en temps réel, inquiétant toute la population: 50 kilomètres, 40 kilomètres, 30 kilomètres.


Mais aujourd’hui, les informations sont plus rassurantes et la tension est redescendue. Les forces armées internationales auraient réussi à arrêter les milices à 25 kilomètres de là. La foire aux semences a repris, permettant aux agriculteurs dont les réserves ont été pillées cette année de semer malgré tout. Le foot également, et je m’y arrête une fois la foire terminée. On me met automatiquement dans l’équipe "avec maillot", comme à chaque fois que la situation se présente.


Les types sont solides, miraculeusement stables sur ce terrain, et je perds systématiquement tous mes duels. J'essaie de les éviter autant que possible en jouant tout en une touche de balle. L'équipe se déplaçant assez bien, cela permet même de créer quelques occasions. Nos deux attaquants parviennent à récupérer la plupart des ballons dans la profondeur, bien aidée par une défense adverse assez mal organisée, et deux ouvertures sont converties, sur le même schéma. 2-1 pour nous.
 


Bangui, 20 Avril, un soutien précieux des anti-balakas

À peine le ballon est-il sorti de la voiture, suivi d’un grand dégagement vers le milieu de terrain, que des dizaines de gamins se mettent à courir après. Ils sont nombreux, très jeunes, et traînent apparemment autour d’ici tous les dimanches. Le terrain borde la cathédrale, qui se vide enfin à cette heure-ci, après un dimanche où elle a été comme d’habitude très sollicitée. Seuls les enfants dépassant les 1 mètre 20 seront gardés sur le terrain pour compléter les deux équipes de onze. Les autres resteront sur le banc. Nous nous répartissons équitablement entre les deux équipes. Je reste en défense avec à droite mon collègue centrafricain de deux mètres et mon amie colombienne à gauche.


C’est toujours le même problème sur ce genre de terrain, mélange d’herbe, de boue et de cailloux. On glisse en permanence, a fortiori quand il est mouillé. Impossible de changer brusquement sa course. Je me fais déborder en permanence, et il ne reste plus qu’à essayer de jouer de l’épaule pour reprendre le dessus. Le fait que l’ailier gauche adverse ne pèse pas plus de 35 kilos représente à ce titre un avantage certain. Les seules chaussures qui accrochent bien sur ces terrains, ce sont ces espèces de sandalettes de plages en plastique, qu’on trouve bizarrement assez peu ici. À Bangui, c’est l’option pieds nus qui domine.


Sur le bord du terrain, deux types ont pris d’office le rôle de coach, engueulant et replaçant leur équipe en Sango [2]. Les seuls mots de notre langue que l’on distingue sont "putain de merde", trop régulièrement répétés au vu de la moyenne d’âge de l’équipe. L’un des coaches porte autour du cou certains gri-gri qui, en temps normal, suffiraient à le catégoriser comme anti-balaka [3]. Mais cette appellation est assez floue, et se divise aujourd’hui entre "vrais" anti-balakas, membres de la milice d’origine, et "faux" anti-balakas, de simples pillards profitant du chaos ambiants. Celui-là n’a, à première vue, pas l’air bien dangereux, mais il gueule sacrément fort.


Une défense à peu prés disciplinée, un numéro 10 précis et, en attaque, un collègue centrafricain qui, nous le découvrons avec bonheur, aurait auparavant joué au plus haut niveau, nous donnent vite l’avantage. De l’autre côté, ni les adultes ni les enfants ne font l’effort de se replacer en défense, et la plupart de nos ouvertures dans la profondeur finissent par un tir sec, cadré, souvent au fond. Après une heure épuisante, le match se finit à 9-2 en notre faveur. Un score comme ça, dans ce contexte où l’on parle difficilement d’autre chose que de boulot, nous fournit de quoi chambrer largement jusqu'à  la semaine prochaine.
 


Bozoum, 1er Mai, entre professionnels

Les quelques fonctionnaires du gouvernement encore présents à Bozoum se rassemblent au bord du terrain. Ce sont eux qui sont à l’origine de ce match, pour célébrer le 1er mai. Fonctionnaires contre ONG. Ils s’impatientent, la plupart de leurs équipiers n’étant pas encore arrivés.  "On avait pourtant créé un comité pour organiser ce match!" Finalement, personne n’a plus de trois quarts d'heure de retard et les équipes, trop déséquilibrées à l’origine, sont réarrangées sur place.


Il faut admettre que la rencontre est assez bien organisée. Il y a même un commentateur armé d’un mégaphone, qui ne faiblit pas, et décrit chaque action en nommant ses protagonistes. Pour moi ce sera munju, "blanc" en Sango [4]. Pas de confusion possible, je suis le seul sur le terrain, et nous ne sommes plus qu’une poignée en ville. Une partie d’entre eux a discrètement fuit Bozoum la veille à cinq heures du matin, jugeant que la reprise des activités de l’ancienne milice seleka au Nord, ainsi que les affrontements extrêmement violents entre milices chrétiennes et éleveurs peulhs à l’Est et au Sud,  constituaient une menace directe sur la ville et sur leur sécurité.


Notre gardien est directeur adjoint de l’école catholique privée de Bozoum, gérée par des prêtres italiens. Au bout de cinq minutes, un centre adverse raté arrive tout doucement vers lui. Celui-ci s’allonge pour le capter, commet une faute de main inattendue, et n’a plus qu’à regarder le ballon rentrer dans le but. Dans notre équipe, huit ou neuf joueurs prétendent être d’anciens professionnels, un terme a priori un peu flou ici. Pourtant, le niveau n’est pas très impressionnant. Nos deux défenseurs centraux sont très sûrs, mais la construction est trop lente, les passes trop longues et toujours coupées. Notre numéro 6 est très technique, mais le gros pressing de l’attaquant adverse empêche toute relance propre, et nous n’arrivons à nous créer aucune véritable occasion. 1-0, score final. Frustrant.


Je traverse le marché pour rentrer chez moi. Il est inhabituellement animé, du fait de l’arrivage frais de quatre têtes de bétails. Une anomalie ici, qui ne peut vouloir dire qu’une chose : les milices chrétiennes ont attaqué, et massacré, les communautés peulhs quelques kilomètres plus au sud, et célèbrent ce fait d’armes en bradant leur bétail fraîchement volé. Ce soir, les gargotes de Bozoum proposeront de la viande.

 

[1] Dans la nuit du 4 au 5 décembre 2013, la ville de Bangui a été attaquée par les anti-balaka, milices chrétiennes, afin de déloger le gouvernement qui avait pris le pouvoir lors d’un coup d’état un an plus tôt, avec l’aide de la Séléka, milice majoritairement composée de musulmans. Depuis, les combats entre anti-balakas, ex-Séléka et forces internationales sont continuels, malgré la démission du gouvernement le 10 janvier 2014.
[2] La langue officielle de la République centrafricaine, avec le Français.
[3] Littéralement, et assez ironiquement, "anti-machette".
[4] Le terme "munju" viendrait en fait du mot "bonjour", à l’origine uniquement proposé par les premiers colons blancs.  

 

Réactions

  • José-Mickaël le 16/05/2014 à 00h48
    Merci pour ce témoignage ! La fin n'incite guère à l'optimisme, mais ce récit de la vie quotidienne en temps de guerre civile est vraiment intéressant. Surtout qu'on n'en parle pas beaucoup, de la Centrafrique. En lisant le texte, je ressens une impression de banalisation de la guerre, comme si les gens finissaient par s'y habituer (ah zut, il y a eu un massacre, on peut pas jouer au foot / aller au marché), ce qui est assez effrayant. En tout cas ce serait bien si le foot arrivait à faire un tout petit peu oublier les soucis quotidiens.

  • Etienne Mattler le 16/05/2014 à 09h14
    Merci beaucoup pour cet instantané, Vapi, et porte-toi bien !

  • Isaias le 16/05/2014 à 09h14
    Merci Vapi pour cet article ! Je dois dire que j'aime beaucoup tes différents témoignages, ils permettent d'avoir une autre vision sur des pays qu'on connaît peu.

  • richard le 16/05/2014 à 09h29
    Comme les autres, merci beaucoup, c'est super intéressant !

  • matthias le 16/05/2014 à 11h06
    Merci Vapi, comme à chaque fois.

  • et alors le 16/05/2014 à 11h39
    Bravo Vapi, courageux témoignage. Ca donne envie d'en savoir plus sur ce qui t'y amène.

  • Sir Sourire le 16/05/2014 à 12h03
    Superbe, merci. Ça donne envie d'être toi.

  • dugamaniac le 16/05/2014 à 17h43
    Merci, c'est passionnant comme à chaque fois.
    Et puis ça rappelle cette magie du foot, ce jeu si simple qu'on joue partout selon toute circonstance.

  • liquido le 18/05/2014 à 09h01
    Comme les autres, un grand merci. Et bravo d'avoir trouvé un ton aussi juste, entre le plaisir du jeu et le spectre jamais loin de la violence. Stay safe!

  • AKK, rends tes sets le 19/05/2014 à 14h29
    Vapi, c'est toujours excellent.
    Mis à part tes réactions sur le forum et tes articles, tu tiens un blog, ou quelque chose comme ça ?

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