Mes lauriers dans la soupe
Autoportrait craché : Vincent Duluc - C'est le meilleur d'entre eux, mais on le connaît finalement assez peu: nous l'avons fait parler.
Je suis Vincent Duluc, salarié de L'Équipe, meilleur journaliste sportif de France. De loin, mais de football seulement: pas exactement la noblesse du métier, auquel nous sommes ce que la podologie est à la chirurgie orthopédique.
J'ai cinquante ans depuis quatre mois d'après ma fiche Wikipedia. Ma vie, c'est un peu Un Jour sans fin: tous les deux jours, je me lève pour écrire le même article que l'avant-veille. Les noms des équipes et des joueurs changent bien, le score du match aussi, mais c'est la même chanson. Intro-couplet-refrain-couplet-refrain. Parfois, je caserais bien un solo, mais on n'a plus la place, et c'est fatiguant. La conclusion tombe comme un chat sur ses pattes: c'est mon intro, auront noté les plus perspicaces. On ressent une sensation de bien-être après la lecture de mes papiers, vous jureriez avoir le poil plus souple et plus brillant. Ça a un sens: celui dans lequel je le brosse.
Je ne me repose pas sur mes lauriers, je les mets dans la soupe pour la parfumer. Il n'y a pas mieux que moi, mais je ne vais pas m'en vanter. Le principe de la qualité relative dans le journalisme sportif permet aux mauvais de vivre en bonne harmonie avec les passables: ils se protègent les uns les autres. Moi, je survole ce petit monde comme je survole mes sujets. Je suis "leader" de la rubrique football du quotidien de référence, je suis arrivé là sans me fâcher avec grand monde et franchement, ça pourrait être pire. Ça l'a déjà été, d'ailleurs. Même les Cahiers du foot nous ont quasiment lâché la grappe, c'est Canal+ qui morfle. Ou bien c'est qu'ils ne lisent plus L'Équipe, et qu'ils sont encore abonnés à Canal.
Je compte sur mon style. Je ne lis de littérature que pour m'en inspirer, pas par plaisir. Il faut bien avouer que ma contribution est pour le moins limitée: pas un bon bouquin, pas le début d'une idée du football à défendre. Je n'ai pas d'idée du football, en fait. Ni vraiment d'opinion, plutôt des considérations que je dispense placidement. Entre deux de mes tweets, il y a un courant d'air, comme entre deux portes ouvertes. Sur Henry et Trezeguet, j'ai fait dire n'importe quoi aux statistiques, mais je n'ai rien dit moi-même. Et quand je suivais l'OL, j'ai laissé Aulas me faire passer pour un dangereux pamphlétaire. Je vous dis que tout est relatif dans ce milieu. Moi le premier.
En septembre 2010, j'ai sorti Le livre noir des Bleus, chronique d'un désastre annoncé, sur la Coupe du monde ratée de l'équipe de France. Un projet qui datait de 1998. L'ironie, c'est que le désastre de 2010, c'est bien le seul que je n'avais pas annoncé. Un peu trop pote avec Raymond – complicité lyonnaise, fidélité en amitié, c'est aussi moi, ça. Sinon, en mars dernier j'ai fait Le phénomène Pastore (déjà en solde, comme l'Argentin). Je vous recommande plutôt la lecture de L'Affaire Jacquet, un exercice d'auto-justification dix ans après, qui a eu dix lecteurs.
En réalité, ce que vous pourrez lire de plus intéressant de moi, ce sont mes interviewes par des sites de la jeune garde, ce sympathique lumpenprolétariat de la profession [1]. Je n'ai pas l'air prétentieux, et vous me trouveriez probablement sympa. Vous me reprochez d'être le Okocha du journalisme sportif, d'avoir utilisé mon talent à l'économie et pantouflé dans la meilleure crèmerie du pays? Je l'ai dit: "Je travaillais au Progrès en fonction de mon désir d’aller à L'Équipe. J’ai toujours voulu ça." S'être fait embaucher par la maison Goddet, c'est notre plus grand fait d'armes, à nous autres.
Après, j'ai contracté une grosse flemme. Un confrère m'a baptisé Vingt pour cent Duluc. Je ne suis pas menacé: au pire par les collègues qui imitent mon style, mais c'est encore moi qui y parviens le mieux. Le plus inquiétant chez eux, c'est leur suivisme capillaire, ayant été précurseur dans le port de la salade sur la tête. Ça me perturbe plus que leur mimétisme lexical, même si je dois avouer que léguer l'expression "comme un symbole" à la postérité, ça me laisse assez loin du prix Albert Londres. Mais enfin, j'ai l'esprit maison. Je rappelle que notre sens de la métaphore dans ce journal, c'est encore Chénez qui l'incarne le mieux.
[1] À lire sur Horsjeu, Sharkfoot et Les 3 Points.
AUTOPORTRAITS CRACHÉS
CHRISTOPHE DUGARRY
PIERRE MÉNÈS
MICHEL SEYDOUX
DOMINIQUE ROCHETEAU