Dossier arbitrage (4) Protéger et professionnaliser les arbitres
Avant même de penser à des solutions pour améliorer l'arbitrage, il faudrait garantir la protection des arbitres contre les pressions des joueurs et des dirigeants, au prix d'une petite révolution culturelle qui pourrait inclure la professionnalisation…
Protéger l'arbitre…
Il est plus que jamais indispensable de rappeler certaines règles disciplinaires très simples afin de supprimer les comportements les plus inadmissibles de la part des joueurs et des entraîneurs, comportements inimaginables dans tous les autres sports où les arbitres ne sont pas assaillis par des fous furieux hurlants et gesticulants à chaque décision prise contre leur équipe.
Concernant les contestations, une campagne à la fois pédagogique et répressive en faveur d'une fermeté accrue permettrait de rappeler les règlements existants pour les cas de contestation, qui devraient théoriquement être toujours punis d'un carton jaune. Il faudra cependant une véritable révolution culturelle afin de changer les mentalités, ces pratiques faisant depuis si longtemps partie du bagage de base des footballeurs qu'elles sont devenues de véritables réflexes.
…des joueurs…
Une mesure séduisante est inspirée du rugby, et consisterait à faire reculer l'équipe qui redouble sa faute de vaines protestations, c'est-à-dire d'avancer de 10 mètres l'endroit où le coup franc doit être joué. Il faudra habituer les publics à subir cette double peine, mais elle aurait le mérite de dissuader progressivement les protestataires professionnels qui finiraient par se faire siffler par leurs propres supporters (comme ceux-ci sifflent un récidiviste qui écope d'un carton rouge prévisible pénalisant son équipe).
Dans le même ordre de mesures simples, l'interdiction formelle de toucher le ballon après sa perte (ce qui inclut les bagarres au fond des cages après un but) serait suffisamment claire si elle était sanctionnée systématiquement d'un carton jaune Les sanctions rétrospectives (évoquées dans la 2e partie de notre dossier) seraient une arme de choix pour punir les auteurs de pressions physico-vocales répétées, que les arbitres ne peuvent pas toujours punir en temps réel, sous peine de voir les rencontres dégénérer un peu plus (et leurs accusateurs s'acharner sur leur manque de psychologie). Ce sera avec un plaisir total que nous apprendrons les cartons rétroactifs de l'auteur d'une faute incontestable qu'il sera venu contester.
Ces mesures techniques (il en existe d'autres, comme l'interdiction totale d'adresser la parole au juge de ligne) auront fait la preuve de leur efficacité quand, parfaitement intégrées, elles ne seront appliquées que dans des cas devenus beaucoup plus rares. Là encore une période de transition (c'est-à-dire d'apprentissage pour les joueurs) serait nécessaire, d'un coût finalement très raisonnable en regard du bénéfice final.
…et des dirigeants
Les arbitres ne doivent pas seulement être protégés sur le terrain, mais tout autant dans les coulisses. La rébellion française a mis en évidence la responsabilité d'une Ligue extrêmement partiale et laxiste et encline à laisser les arbitres dans une position aussi précaire que possible (voir L’arbitre aussi rage).
À l'heure où les dirigeants en appellent à l'excellence économique, il faudrait que ceux-ci se rendent enfin compte de la nécessité de protéger le corps arbitral contre leurs propres tendances à en faire des jouets, et à lui garantir un cadre de travail digne. S'ils veulent vraiment, comme ils le prétendent, supprimer les aléas de l'arbitrage, ils doivent assumer leurs propres responsabilités et commencer par s'interdire tout dérapage verbal. Mais ils ne tiennent peut-être pas à perdre de si précieux moyens de pression…
En France, il apparaît clairement que l'indépendance et la sérénité des arbitres ne pourront être garanties sans un retour dans le giron de la Fédération, après avoir coupé les liens organiques avec la LNF. Les Commissions de discipline et d'appel ne peuvent non plus rester sous la seule influence des clubs pros, comme l'a montré leur totale perte de crédibilité ces derniers temps (voir La faillite disciplinaire du foot français, 23/01).
Vers la professionnalisation?
La professionnalisation des arbitres, souvent et depuis longtemps défendue, n'est pas une panacée, mais doit être enfin sérieusement envisagée après avoir été un serpent de mer. Leur situation a sensiblement évolué depuis quelques années avec des indemnités passées à 9000F par match de première division, mais leur statut reste précaire avec l'obligation de mener deux carrières simultanément, d'entretenir leur condition physique et de concilier le tout avec leur vie privée. La FIFA s'est déclarée favorable à la professionnalisation et a ébauché des programmes de formation en ce sens. Les instances françaises travaillent aussi depuis un certain temps sur cette hypothèse, notamment via le Conseil supérieur de l'arbitrage", mais le dossier n'avance pas vite et les principaux concernés semblent préférer majoritairement un statut semi-professionnel, nettement amélioré.
Qu'une "élite" arbitrale puisse se consacrer entièrement à l'exercice de ce délicat métier semble relever du bon sens, à condition qu'elle bénéficie d'une formation de haut niveau et soit soumise à des exigences athlétiques renforcées, afin de pouvoir observer une significative amélioration de la qualité de l'arbitrage. Il faudra aussi éviter d'éventuelles dérives corporatistes, qui verraient les arbitres s'auto-administrer et se coopter. Leur affirmation "politique" ne serait pourtant pas superflue, dans un univers où ils pèsent de si peu de poids devant les puissances économiques. L'assainissement de l'atmosphère autour des arbitres, sur les terrains et autour, permettrait à terme de faire disparaître une des pollutions majeures du jeu, qui fait qu'erreurs d'arbitrage et pressions diverses s'entretiennent les unes les autres. Des réformes institutionnelles sont urgentes pour prendre le problème par le haut et à bras-le-corps. Le football professionnel se vante souvent de pouvoir lever des milliards, mais est moins enclin à financer ce type de réforme, leur l'intérêt (général) ne correspondant pas à leurs priorités.
Sous l'impulsion de la Fédération, qui en a fait une priorité du nouveau mandat de Claude Simonet, le chantier de l'arbitrage semble enfin ouvert. Les groupes de travail qui ont été constitués à l'issue de la table ronde du 29 janvier abordent en effet beaucoup des aspects évoqués dans ce dossier (en les étendant au football amateur): détection et recrutement, formation continue, organisation, professionnalisation, technologies d'assistance et réforme du système disciplinaire. Ils doivent rendre leurs conclusions le 31 mai prochain. Espérons que leurs travaux seront suivis d'une politique volontariste et cohérente, et de décisions autres que symboliques…
Dossier arbitrage
(1) La vidéo, un crime contre le football.
(2) Les solutions techniques.
(3) Un débat : le double arbitrage.