Blanc, année zéro
En sept matches, le sélectionneur a dégagé une ossature restreinte et un dispositif préférentiel. Le projet de jeu reste incertain mais les places sont devenues plus chères...
Auteur : Jérôme Latta
le 14 Fev 2011
Des promotions et des retours
Le premier match (et première défaite) de Laurent Blanc en Norvège avait, compte tenu des circonstances, fait office de revue d'effectif improvisée pour les joueurs auxquels, dans un futur plus ou moins proche, le nouveau sélectionneur pouvait faire appel: Cissokho et Fanni en latéraux, Sissoko, N'Zogbia, M'vila et L. Diarra en milieux défensifs (plus Cabaye entré en fin de match), Nasri, Ménez et Ben Arfa (buteur) en milieux offensifs, Hoarau, Rémy, Benzema et Briand en attaquants... Sans oublier Ruffier dans les cages.
Seuls M'vila et Nasri en ont réellement profité pour mettre un pied dans la porte, tandis que Blanc allait ensuite confirmer qu'il entendait accorder une confiance durable à la charnière Mexès-Rami, reconduite sans discontinuer (ce sont les deux seuls joueurs titulaires au coup d'envoi des sept rencontres).
Ben Arfa, buteur, a vu par la suite son destin se compliquer, avec une grève de l'entraînement malvenue, puis sa grave blessure. De son côté, Benzema (entré après l'heure de jeu), pas encore brillant sur le terrain, en a probablement profité pour démontrer à Blanc un changement d'attitude: après une nouvelle association Hoarau-Rémy face à la Biélorussie, le Madrilène n'allait plus quitter le onze de départ.
Au rayon des survivants de Knysna ayant effectué leur retour au cours des six derniers mois, Malouda, Sagna, A. Diarra et Lloris ont vite retrouvé un statut de titulaires. Clichy, bien parti pour les imiter (quatre matches consécutifs), a pour sa part cédé le sien à Abidal, libéré de sa suspension et qui a été des deux victoires contre L'Angleterre et le Brésil. D'autres ont été contrariés par les blessures: Diaby, Gourcuff ou Valbuena, qui avait gagné en Bosnie une nouvelle stature, mais ils sont restés dans les plans de Blanc alors que l'avenir international de Ribéry reste toujours aussi incertain.
Parmi les gagnants du second rang, on peut compter Réveillère (3 sélections), Hoarau et Rémy (4), mais aussi Ménez en dépit de débuts compromettants. D'autres, en plus des invités d'Oslo cités plus haut, n'ont eu droit qu'à un ou deux tours de piste: Saha, Gameiro, Matuidi, Sakho. Payet se distingue avec trois entrées en jeu, dont une décisive au Luxembourg, mais son "bras de fer" avec l'ASSE l'a pénalisé.
Le schéma et ses variations
Laurent Blanc a donc assis son équipe sur une classique défense à quatre, au sein de laquelle la hiérarchie pour chaque poste paraît bien établie: Abidal-Mexès-Rami-Sagna, le quatuor est installé. Ses choix sont moins nets pour tout le reste, même si des constantes se dégagent. Il a d'abord semblé essayer un système à deux attaquants: Hoarau et Rémy pour les deux premières rencontres, avec un 4-4-2 avec milieu "en losange" en Norvège et un autre avec des milieux excentrés contre la Biélorussie. Puis il n'a plus beaucoup dérogé à un 4-2-3-1 occasionnellement convertible en 4-3-3, mais finalement cousin de celui qui avait eu la vedette lors de la Coupe du monde... et de celui que Domenech avait privilégié au cours des deux saisons précédentes.
Onze type + quatre prétendants à la titularisation + quatre options de recours.
Pourtant, si le principe d'une seule pointe a été acquis avec l'intronisation de Benzema, de même que celui de deux offensifs excentrés (Malouda à gauche, Valbuena ou Ménez à droite), l'entrejeu a été à géométrie variable. D'abord parce que les quatre joueurs de devant ont exprimé une grande mobilité. Benzema n'a ainsi pas hésité à décrocher, arpentant régulièrement le côté gauche – et même l'axe droit contre le Luxembourg. Le "meneur" – Nasri, Gourcuff ou Diaby en Bosnie – ne s'est pas cantonné à l'axe, et a évolué dans une zone assez profonde. De même, les défensifs ont beaucoup coulissé dans la largeur, et ils n'ont pas évolué sur la même ligne, favorisant ainsi les relais dans l'axe: A. Diarra a souvent veillé devant la défense, avec par exemple M'vila positionné un cran devant lui, à portée de zone de Nasri ou Diaby. Une dissymétrie qui caractérise les schémas de Blanc (lire "Comment les Bleus ont joué du triangle").
Enfin, la composition et le positionnement des milieux "centraux" a énormément varié. Depuis France-Bosnie, Blanc a ainsi joué les combinaisons Diaby-M'vila-A. Diarra, Nasri-M'vila-A. Diarra, Gourcuff-A. Diarra-Diaby, Nasri-Gourcuff-M'vila, Gourcuff-A.Diarra-M'vila, soit cinq formules différentes en autant de rencontres. Et si la paire M'vila-A. Diarra tient la corde avec trois titularisations [1], Diaby était de la partie la plus probante, à Sarajevo, avec ses deux autres compères. L'impact physique et la qualité technique du trio avait assuré une très grande maîtrise du jeu, mais par la suite, Blanc a accordé sa préférence à un leader plus technique – Gourcuff ou Nasri... les deux en même temps contre l'Angleterre. Le Gunner a pris un avantage sensible sur le Lyonnais, mais chacun a son propre profil: plus percuteur pour Nasri, plus régulateur pour Gourcuff.
Une identité incertaine
Si une ossature et un schéma de jeu se dégagent très nettement des sept premières rencontres de l'équipe de France sous Laurent Blanc, il reste à poser la question de l'animation et des principes de jeu. Le sélectionneur avait initialement promu une conception misant sur la possession du ballon, ce qui a fonctionné en Bosnie, à Wembley durant une heure et en seconde période contre un Brésil réduit à dix... Mais les Bleus ont souvent abandonné le jeu à l'adversaire (première mi-temps à Saint-Denis mercredi dernier), ou peiné à donner corps à leur domination (Roumanie, Luxembourg, Angleterre), leur efficacité les ayant alors tiré d'affaire – ce qui est déjà très bien, mais qui ne doit pas occulter une étonnante difficulté à placer des tirs dangereux.
Les bonnes séquences sont restées trop sporadiques en dépit de progrès spectaculaires dans le jeu court, avec une tendance à chercher des solutions trop individuelles, à l'image de tous ces départs en dribbles vite enrayés. En revanche, la sélection a consolidé ses bases en retrouvant une certaine assise défensive et un impact athlétique dans l'entrejeu qui rappellent des fondamentaux bien connus: un goût pour le contre et les coups de pied arrêtés, une grosse capacité de récupération, un brio limité sur les ailes, un jeu déposé dans les pieds d'un numéro 10.
L'équipe de France va peut-être renouer avec une identité bien connue depuis 1996, et le projet de Blanc s'accomplir au prix de quelques compromis ou de contradictions avec les plans de départ. Elle a peu de certitudes dans le jeu mais a engrangé une confiance bienvenue après un départ calamiteux, et cette équipe dont le bagage technique est tout de même élevé dispose d'une marge de progression évidente dans son expression collective. Il faut aussi compter sur l'imprévu, comme la confirmation de certaines émergences (Gameiro, Payet?) ou des retours (Gignac, Ribéry, Ben Arfa?).
En août, les portes de la sélection étaient largement ouvertes, et le sélectionneur prônait "la forme du moment": aujourd'hui, on voit qu'il a restreint ses choix à un groupe composé d'une quinzaine de titulaires potentiels, en accordant sa confiance à quelques individualités avec lesquelles il veut poursuivre la constitution d'un groupe, selon des critères pas exclusivement sportifs.
[1] On peut noter que M'Vila a évolué alternativement dans l'axe gauche et dans l'axe droit: par exemple à gauche de Diarra (Bosnie, Roumanie) et à sa droite (Brésil), abusant les gazettes qui inversèrent à chaque fois leurs positions. Le Rennais a aussi joué seul devant la défense à Wembley.