Gone baby Gone
Revenu à trois points du leader, l'OL intrigue autant qu’il divise ses supporters. Claude Puel maintenu, sa jeune équipe continue de présenter de nombreux paradoxes.
Auteur : Irwan Pagot et Ilivier Tombes
le 2 Dec 2010
Parmi les nombreux reproches adressés à Claude Puel (en plus d'organiser quatre footings de vingt kilomètres par semaine), la déliquescence du jeu lyonnais est souvent attribuée à sa prétendue frilosité. Il s'agit pourtant d'une légende urbaine. Les joueurs ont souvent démenti les intentions défensives de leur entraîneur. Surtout, le système de jeu lyonnais – avec deux ailiers, une pointe, un milieu offensif et, selon les matches, un relayeur plus ou moins porté vers l'avant – est un des dispositifs les plus offensifs que Lyon a connu dans son histoire récente. Le profil des ailiers (Bastos, Briand, Pied, Lisandro cette année) rajoute un peu d'excentricité à l'organisation. Il y a peu, Lyon alignait à ces postes des profils plus "travailleurs" (Govou, Malouda).
Puel a certes souvent aligné une paire de milieux défensifs (Toulalan-Makoun et/ou Gonalons) qui a rarement donné satisfaction. Mais le profil de ces joueurs n'est pas plus défensif que celui d'Essien et Diarra: ils apparaissent simplement moins talentueux. Et si l'on s'ennuie plus qu'avant en regardant Lyon, c'est peut-être surtout parce que les joueurs sont moins bons. La qualification de milieu défensif est d'ailleurs discutable: on a pu voir Makoun occuper à tour de rôle avec Gourcuff un poste de 8 tirant vers le 9 et demi. L'envie de placer en défense centrale un joueur capable de relancer proprement (Bodmer puis Toulalan) ne plaide pas non plus pour la qualification d'entraîneur défensif.
L'ivresse de l'Europe
S'il est difficile d'interpréter la langue de bois de Jean-Michel Aulas et Claude Puel, il semble que l'ex-Lillois avait pour mission, en plus de structurer le club, de lui faire passer un cap en Ligue des champions. Avec une bourse moins garnie que celle de l'élite européenne, Lyon ne pouvait pas aisément entrer dans le dernier carré en passant par le jeu, tant cette capacité dépend étroitement du talent des joueurs alignés et se monnaye au dessus des moyens actuels de l'OL (1).
Les idées de Puel pour y parvenir sont simples: pressing agressif, explosivité vers l'avant à chaque récupération (d'où la nécessité d'avoir un bon relanceur en défense centrale), espace réduit entre les lignes. Une politique sportive gourmande en énergie, que les Lyonnais ont inconsciemment réservée (notamment l’an passé) à la Ligue des champions. Face à l'enjeu et à la valeur supposée des adversaires, les Lyonnais ont souvent fait preuve d'une solidarité qui les rendait difficiles à manœuvrer, au point de réaliser le seul véritable exploit de leur histoire en C1 contre le Real Madrid.
Politique de relance
Pourtant, le Bayern n'a eu besoin de respecter que trois principes pour écraser Lyon: du mouvement pour faciliter des transmissions simples, une puissance athlétique équivalente ou supérieure à celle des Lyonnais, et une volonté permanente de couper la liaison entre le lourd bloc défensif lyonnais et la grinta argentine de l'avant. Jean-Michel Aulas pouvait cauchemarder en imaginant son équipe vierge de tout sponsor perdant face aux hommes de Van Gaal sur des scores plus ou moins fleuves.
Ce constat amer a paru confirmer un des souhaits de Puel: mettre en avant la qualité de relance de son bloc. Toulalan est descendu en défense, Gourcuff devait permettre à l'OL de disposer de deux relayeurs techniques à différentes hauteurs du terrain, consolidant les relations techniques du collectif lyonnais. La méforme persistante du lutin bosniaque, couplée à la déprime post-Mondial de Toulalan et aux traditionnels problèmes physiques lyonnais, ont rendu ce plan caduc. Obstiné peut-être, ou ayant excessivement confiance dans la capacité de rebond de ses joueurs, Puel a failli y laisser sa peau.
Métamorphose collective
L'équipe actuelle est souffrante. Et c'est le manque de mouvement qui la paralyse – merci pour le pléonasme. Combien de fois a-t-on vu les ailiers dans l'obligation de percuter seuls, faute de propositions? Les milieux se situent mal, et sont souvent en retard, en appui offensif ou en repli défensif. Chaque attaque qui débouche sur une frappe lyonnaise ressemble à un chemin de croix, et il faut combiner trois ou quatre exploits individuels pour se créer une occasion.
Les joueurs ne semblent plus savoir si ils doivent accompagner une attaque ou au contraire se préparer à repousser un contre imminent. À cela s'ajoute un problème mental. La fin de match très crispée face à un Nice pourtant apathique, ou la première mi-temps complètement hors-sujet à Lens n'ont pas d'explications rationnelles. Les Lyonnais se font peur à chaque match et la deuxième mi-temps face aux Lensois a montré l'absurdité de leur situation. Si Gourcuff et Lisandro ont changé la donne, neuf joueurs se sont transformés à la mi-temps, devenant tout à coup mobiles, disponibles, généreux et appliqués dans le jeu court.
Des leaders à installer
Rien ne permet de savoir ce qui se serait passé si les Lyonnais n'avaient pas perdu autant de joueurs cadres entre août et octobre, mais les performances satisfaisantes – lors de Lyon-Benfica, en deuxième mi-temps contre Lens ou contre le PSG – laissent à penser que les Lyonnais ne souffriraient peut-être pas d'autant de maux si leurs leaders techniques étaient alignés plus régulièrement.
Puel doit cependant trouver la bonne formule au milieu, notamment concernant le positionnement de Gourcuff et Pjanic qui détiennent la clé technique du jeu lyonnais. Pour le moment, Gourcuff se tient en numéro 10 très avancé, et l'ancien Messin semble cantonné sur la touche. Si Jean-Michel Larqué n'a pas craint le ridicule dernièrement en affirmant ne pas se souvenir d'un seul bon match de Miralem Pjanic à Lyon, on se souvient en revanche que l’énième successeur désigné de Juninho s'épanouissait souvent quand l'OL jouait à l'endroit, à défaut d'être le joueur qui remettait ce collectif dans le bon sens.
Collectif intermittent
Lisandro mis à part, Lyon ne possède pas de joueurs de caractère, qui à eux seuls peuvent infléchir le cours d'un match. Mais chacun de ces joueurs peut s'épanouir au sein d'un groupe doté d'une identité collective forte. À Lens par exemple, l'équipe a collectivement offert une autre perspective à chacun des joueurs. Gomis, esseulé, lent et approximatif dans un premier temps, s'est transformé en combattant capable de trouver les décalages, d'effectuer les bons déplacements et d'avoir le geste juste au moment de frapper.
Cette identité, encore sur courant alternatif, semble se consolider. Mais il faudra cultiver cette envie de jouer ensemble (ce qui n’est pas toujours le cas, les déclarations de nombreux joueurs à l’issue du désastre de Schalke le confirment) pour retrouver la solidité, la sérénité et le soupçon de chance qui fuit l’équipe depuis le début de la saison. C'est tout ce qui sépare l'OL d'une saison réussie.
(1) Les investissements consentis à l'intersaison 2009 et l'été dernier avec Gourcuff sont toutefois considérables, et leur rendement peut légitimement être interrogé (lire "Lyon entre trois feux"). Le Bayern de Munich a dépensé des montants comparables sur le marché des transferts pour cette période.