Rocheteau, l'ange vain
Autoportrait craché – Dominique Rocheteau, chevalier de l'éthique de retour chez les Verts, gère sa carrière sans forcer. L'auréole sous le bras.
À l'époque, je ne supportais pas qu'on m'appelle l'Ange vert. Aujourd'hui, le malentendu ne me gêne plus. J'écoutais Dylan quand la France s'adonnait à Sardou, et j'avais les cheveux plus longs de quelques centimètres que la moyenne de mes contemporains, en cette époque pileuse. Mais j'étais beaucoup trop sage pour incarner un George Best à la française. Deux cartons jaunes dans toute ma carrière, l'épopée stéphanoise et la naissance du PSG, 49 sélections dans la plus belle équipe de France de l'histoire: un parcours céleste, quoiqu'un peu marqué par la fatalité avec Glasgow et Séville comme points d'orgue.
Éthiqueté
On me disait décalé dans le milieu du football, mais c'est quand il a fallu quitter le terrain que je n'ai plus réussi à trouver ma place. Agent de joueur, premier rôle à contre-emploi. "J'étais parti dans cette voie plus par philosophie que pour le business", ai-je dit un jour. Avec Ginola et Pedros comme clients, je pouvais repasser, pour la philosophie. J'ai continué avec les erreurs de casting, mais chez Pialat, pour Le Garçu avec Depardieu. Pas très concluant, mais pas pire que Cantona, l'autre rebelle présumé du foot français.
J'ai pantouflé chez Darmon, qui a souvent fait dans le social pour les anciennes gloires. Je me suis attelé, mollement et en pure perte, à presque tous les projets de second club à Paris: Saint-Denis-Saint-Leu, Red Star, Paris FC. Et puis j'ai créé mes stages de foot à Royan en 2003, après les autres mais comme les autres. Ça au moins, ça marche. J'ai aussi fait le consultant plan-plan pour Stade 2 et Radio France, chez Vendroux. Ah, Vendroux... C'est bien au Variétés Club de France qu'on fait les plus belles carrières dans le football français, si vous l'ignoriez.
La mienne, je l'ai surtout faite dans l'éthique. Président du Conseil national de l'éthique de la Fédération dès sa création en 2002. Le truc le plus inutile de la terre. Du bénévolat, heureusement. Missions: "Informer les organes supérieurs du football des faits susceptibles de nuire à l'image du football". Comme si les organes supérieurs n'avaient pas la télé. On s'est battus pour avoir un pouvoir de sanction, avant de demander à ce qu'on nous le retire, puisque nos décisions finissaient toujours par être cassées.
Je remerciais les présidents de club quand ils daignaient répondre à nos convocations après avoir insulté un arbitre en plusieurs langues. On s'est fait Fiorèse, quand même. On ne l'a pas raté. Il faut dire qu'il était à terre. Le reste du temps, j'ai avalé les couleuvres, essuyé les affronts. "Notre action est peut-être vaine, j'ai parfois le sentiment de me battre dans le vide". Les gens me demandaient souvent pourquoi je ne démissionnais pas, mais ça allait bien à mon spleen, cette inutilité.
L'ange vert du décor
Et puis c'est porteur, l'éthique. Il faut des vrais spécialistes comme moi, qui ont bien compris qu'en réalité tout le monde s'en fout, de l'éthique. La preuve: je suis aussi membre du Comité d'éthique de la FIFA. Il y a plein de petits boulots: après les sifflets de France-Tunisie, Laporte m'a demandé de présider un groupe de travail afin d'améliorer le civisme dans les stades. Il y avait Roustan dans le groupe, alors pour le travail, on ne craignait rien. Après, c'est Bachelot qui m'a confié une commission "pour réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour combattre la violence dans les stades". Les missions impossibles, personne ne te reproche de ne pas les mener à bien. J'ai gardé une image de missionnaire – d'ailleurs je parraine un centre de formation à Hô Chi Minh-Ville et je pigeais encore tout récemment pour Sportfive (ancienne maison Darmon) au profit du marketing de la Coupe de France.
Les malentendus ne se dissipent pas. Je porte des polos Lacoste, j'ai cautionné "l'outrage à l'hymne national", et il y en a encore pour me croire de gauche. Je ne suis pas de droite pour autant, notez bien: je m'applique à être le moins de choses possible. "Il n'est ni bon, ni mauvais, il est différent", a dit de moi Patrick Chêne. Pas mal. En tout cas, j'ai compris que l'Ange vert, c'était mon ange gardien, et je me suis réconcilié avec lui. Le titre de ma biographie en 2005: On m'appelait l'Ange vert. Je vous montrerai mes ailes, un jour.
À cinquante-cinq ans, pourtant, j'ai décidé qu'il était temps de me lancer, et j'ai répondu à l'appel de l'AS Saint-Étienne. Ils m'ont préféré à Sagnol, probablement parce qu'ils savaient que je n'allais fâcher personne, alors que Willy avait déjà énervé tout le monde. À mon arrivée, j'ai bien précisé que je venais d'abord pour observer, que mes responsabilités n'étaient pas très définies. Pas question de changer mes habitudes. Et puis au bout de deux mois, l'ASSE est en tête du championnat, les médias nous refont le coup du retour des Verts. Je n'ai rien eu le temps de faire, mais on m'en attribue déjà le mérite. J'ai pourtant pris garde de rester dans l'abstrait: je suis là pour restaurer les "valeurs" du club, je l'ai bien martelé.
Maintenant, Romeyer me demande de remplacer Comolli, qui ne servait à rien. Un rôle sur-mesure pour moi. Me voilà vice-président du conseil de surveillance, conseiller spécial du président, membre de la cellule de recrutement, chargé d'un plan de développement sportif... S'ils créent une sous-direction de l'éthique, je sens qu'elle sera pour moi.
Commencer avec la tête de Rimbaud jeune et finir avec celle de Pierre Perret vieux, c'est toujours mieux que de finir avec la tête de Rimbaud vieux.
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