Live And Let Die / 1
Monter un club de foot pro de toutes pièces, c’est facile. Le faire durer, c’est autre chose, comme le prouvent trois expériences aventureuses en Autriche...
Auteur : Toni Turek
le 17 Sept 2010
Bâtir un club de foot, c’est l’aider à grimper un à un les échelons du monde amateur, pour le faire arriver – et rester – au haut niveau professionnel. Un travail harassant mais passionnant, qu’on ne trouve pas que dans les jeux vidéo: le club allemand du 1899 Hoffenheim, cher au milliardaire allemand Dietmar Hopp, est un cas réel (lire "Hopp, Hopp, Hopp, voilà Hoffenheim"). Pour cela, il faut de l’argent, mais surtout du temps: Hopp a dû attendre presque vingt ans pour voir son club accéder à la 1. Bundesliga.
Pour les impatients, le plus simple est encore d’acheter un club de foot déjà professionnel; un cas marquant est l’Austria Salzbourg, devenue "FC Red Bull Salzbourg" quand le groupe Red Bull du richissime Dietrich Mateschitz s’en est emparé, en 2005 (lire "Le taureau par les cornes"). Mais il est une autre méthode, plus détournée, qui consiste à récupérer la licence d’un club pro consentant. En Autriche, ce petit jeu a permis la création de plusieurs clubs (lire "Licence to kill")… pour des résultats discutables.
SK Austria Kärnten: carinthien… ne vaut plus rien
Déménagement de Pasching (Haute-Autriche, Nord) à Klagenfurt (Carinthie, Sud): 250 km.
Naissance
Après la descente du FC Kärnten en 2004, le Land de Carinthie (Kärnten en allemand) ne compte plus aucun représentant dans l’élite autrichienne. Les barons politiques locaux, parmi lesquels le populiste Jörg Haider, souhaitent ardemment le retour d’un grand club de foot dans la capitale régionale Klagenfurt. L’occasion rêvée est donnée en 2007, avec le retrait du club de la ville de Pasching selon la volonté de son président Franz Grad, lassé du foot et des "affaires" d’alors, malgré les bonnes performances de son équipe (1). En mai 2007, le FC Superfund Pasching part à Klagenfurt et est renommé en "Austria Kärnten". Dans le fauteuil de président, Mario Canori: un politicien carinthien sans lien avec le foot, mais qui est un pote de Haider. Assurément un gage de sérieux.
Vie
La saison 2007/08 est celle de l’apprentissage. Dans la douleur. Pas de stade au début, parce que celui-ci n’est pas immédiatement disponible. Pas de fans, puisque le club surgit à Klagenfurt presque ex nihilo. Peu de repères pour les joueurs, entre ceux déménagés de Pasching, ceux recrutés au FC Kärnten voisin et les internationaux venus du Grazer AK (alors relégué de deux divisions). Résultat: une annus horribilis où le club aux couleurs noire et argent dégage son coach Walter Schachner après à peine cinq mois, perd la moitié de ses matches et pleure son chouchou polonais Adam Ledwon, décédé à trente-quatre ans. Seule satisfaction, l’équipe se maintient malgré une inefficacité patente: 26 buts pour 33 points en 36 journées!
La saison 2008/09 est plus heureuse: mieux en place, disposant enfin d’un stade et d’un (modeste) soutien populaire, l’Austria Kärnten conquiert une honnête sixième place avec Frenkie Schinkels comme entraîneur. Le trio offensif brésilien Adi-Sandro-Schumacher inscrit vingt buts. Bémol: la fin de saison est ratée, avec un seul point glané en dix matches. Mais le pire est encore à venir…
Car la troisième saison est celle de tous les problèmes. La crise est passée par là: mal géré par Canori & Cie, le club est en proie à de graves soucis financiers, au point que les salaires des joueurs sont versés avec retard. Sportivement, l’équipe qu’a rejointe le Français Jocelyn Blanchard n’est pas mieux lotie: elle cumule blessures et cartons rouges, maladresse devant et porosité derrière. Dépourvu de solutions, Schinkels abandonne sa fonction en novembre 2009. Diminuée avec un groupe devenu trop juste et trop jeune, l’Austria Kärnten n'inscrit que 15 points en championnat, pour deux succès en 36 matches. Seule la Coupe permet aux jeunots alignés de sourire, avec une qualification en demi-finale obtenue grâce à une victoire 3-2 en quarts sur le Rapid de Vienne.
Mort
Au printemps 2010, les instances du foot autrichien refusent à trois reprises d’octroyer pour la saison à venir une licence pro à l’Austria Kärnten, jugeant les garanties financières insuffisantes. Principale raison: le départ du sponsor principal Kelag – l’EDF locale – qui n’entendait pas maintenir sa présence en cas de descente. Relégué de facto en D3, perclus de dettes (les sommes évoquées vont de trois à six millions d’Euros), le club carinthien se déclare en faillite à l’été 2010. Rideau.
Bilan
Trois ans passés dans l’élite… pour rien. Tout au plus, l’Austria Kärnten aura contribué à la perte de l’autre club local: privé de son stade et de son sponsor Kelag, relégué en D3 en 2008, le FC Kärnten a fait le grand plongeon à l’hiver 2009, finissant sa saison et son parcours à coup de forfaits (0-3). Il n’y a maintenant plus de club carinthien dans les deux divisions professionnelles de l’Autriche.
Vite créée, l’Austria Kärnten sera vite oubliée; d’ailleurs, le SK Austria Klagenfurt a déjà pris sa succession et repris une douzaine de ses joueurs. Objectif: promouvoir le foot régional et les jeunes talents locaux. Il faudra au moins cela pour gagner le soutien populaire qui avait fait défaut à l’Austria Kärnten. Avec ce nouveau club qui repart de D3 et qui évolue dans une Hypo-Group-Arena de 32.000 places trop grande pour lui, la Carinthie devra patienter avant de compter retrouver un statut à la hauteur de ses attentes (2).
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(1) Raison plus officieuse de ce retrait: avec Pasching, Ried et le LASK Linz (qui remontait en 2007), le Land de Haute-Autriche aurait compté trois représentants dans l’élite, créant une forte concurrence locale dont Pasching aurait vraisemblablement pâti le premier, à cause de son trop faible poids historique et économique.
En cinq ans passés dans l’élite, Pasching a toujours fini entre les rangs 3 à 5, se qualifiant une fois pour l’Intertoto (finaliste en 2002), trois fois pour la C3 (pour autant d’éliminations au premier tour).
(2) Ironie de l’histoire: le nouveau FC Pasching évolue cette saison dans le même groupe de troisième division que l’Austria Klagenfurt.