Où va passer le football ?
Équipe de France, Coupe du monde ou Ligue 1: les télés jouent à qui perd gagne et les spectateurs consomment du saucisson de football.
Auteur : Jérôme Latta
le 1 Fev 2010
Limiter les dégâts: telle semble être la devise de ceux qui vendent les droits de diffusion du football aussi bien que de ceux qui les achètent. Si les meilleurs produits trouvent encore des clients, l'heure est au pragmatisme... ou aux solutions d'urgence.
Les Bleus se remarient avec TF1
Avec ou sans "divorce" entre eux et les Français, même qualifiés avec la main en jouant comme des pieds, les Bleus n'ont pas encore perdu toute valeur commerciale. Dans un contexte de déflation des droits télévisuels et après un premier appel d'offres déclaré infructueux en juin, avec un prix de réserve non atteint, TF1 a tenu à rester le "partenaire historique de l'équipe de France" en remportant le contrat de diffusion pour 2010-2014, discuté de gré à gré avec la Fédération durant plusieurs mois. L'adversité insuffisante de M6, dont l'offre était sensiblement inférieure, a tout de même permis à la chaine lauréate de faire baisser son investissement: 4,1 millions d'euros par match contre 5 auparavant, 45 millions par an contre 55 auparavant. Ce furent tout du moins les chiffres annoncés à la mi-décembre, mais selon L'Équipe (27 janvier), l'accord prévoit en réalité un tarif pouvant varier à la baisse selon le jour et l'heure de la programmation du match, ainsi qu'une pénalité au cas où un match irait à la concurrence – comme ce fut le cas avec Irlande-France en novembre (1).
La FFF ne s'en sort pas si mal dans la conjoncture économique et sportive actuelle (2), et TF1 conserve en vitrine un produit de prestige... qu'elle aura de toute façon du mal à rentabiliser en dépit du rabais obtenu. Car même si l'équipe de France rassemble quoi qu'il arrive des téléspectateurs qui se comptent en millions, l'investissement n'est que rarement compensé par les rentrées publicitaires (3). Pour optimiser l'opération, la Fédération a toutefois prévu des adversaires huppés pour les matches amicaux de la sélection, qui affrontera L'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, les Pays-Bas et le Brésil entre 2010 et 2014...
La Coupe du monde en tranches
Il en va de même pour les droits de la Coupe du monde, que TF1 possède en intégralité pour les éditions 2010 et 2014, acquis respectivement pour 120 et 130 millions d'euros alors que la crise n'avait pas encore corrigé l'inflation des droits. Sauf parcours exceptionnel des Bleus, il s'agira surtout de valoriser le prestige de l'événement pour en tirer des bénéfices d'image. Dans un premier temps, il s'agit de négocier la cession d'une partie de ces droits pour la phase finale en Afrique du Sud, TF1 n'ayant pas vocation à "devenir une chaîne uniquement de football", ainsi que l'avait déclaré son président Nonce Paolini en décembre. Et surtout, comme l'allègement de la facture est une nécessité, il est plus indiqué de rétrocéder des rencontres que de les réserver à la filiale Eurosport – ce que la FIFA n'agréerait probablement pas, compte tenu de la disponibilité limitée de la chaîne sportive.
Encore en suspens, l'accord concernerait, aux dernières nouvelles, 28 matches de la compétition: dans Les Échos de mercredi, on parlait d'un montant de 33 millions d'euros répartis entre France Télévisions (25) et Canal+ (8). TF1 conserverait une vingtaine d'affiches, dont les matches de l'équipe de France. Selon des informations parues en début de mois, la Une laisserait Canal+ programmer une émission quotidienne à 22h30 (L'Équipe, 9 janvier). Mais avec le jeu des diffusions en différé ou simultanées, le téléspectateur ignore encore le programme télé de son mois de juin. Exit M6, en tout cas, qui avait diffusé 32 rencontres de l'édition 2006 en Allemagne, France Télévisions prenant en quelque sorte sa place.
Télé Thiriez, arme de dissuasion
Notre chère Ligue 1, pour sa part, ne devrait avoir qu'à se féliciter des 668 millions annuels perçus de Canal+ et Orange, mais les nuages s'amoncèlent aussi au-dessus de la LFP. Un rapport sur l'audiovisuel remis au Premier ministre en début d'année conseille ainsi de remettre en cause les exclusivités que Canal+ et surtout Orange mettent à disposition de leurs abonnés. Voilà qui "remet en cause la concurrence naissante entre les opérateurs" et constitue "une grave menace pour le financement du sport", selon Frédéric Thiriez. On imagine en effet Orange devoir renoncer à ses prétentions sur le marché des droits sportifs et laisser Canal+ en position de force pour réduire la facture (4). Un prochain changement de direction à la tête d'Orange semble en outre renforcer cette hypothèse, le futur boss Stéphane Richard ayant laissé filtrer quelques doutes sur la vocation d'Orange à produire des contenus.
Alors qu'un appel d'offres périlleux est sur le point d'être lancé pour la Ligue 2, la Ligue ressort un épouvantail: la création de "sa" chaîne, qui serait diffusée sur le bouquet basique de CanalSat. "Nous n'excluons pas de devenir opérateur s'il n'y avait plus de concurrence dans la télévision payante et Canal+ retrouvait une position de monopole", déclarait le président de la Ligue le 19 janvier. Le projet n'aurait de chances de voir le jour que si la Ligue 2 ne trouvait pas preneur aux montants espérés (5), afin de créer une concurrence sans empêcher la vente des droits aux candidats éventuels. Lancée sur la deuxième division pour 2010-2012, la chaîne prévoirait l'intégration de la Ligue 1, dans deux ans, à la suite du contrat actuel.
Un scénario catastrophe, auquel le foot pro veut se préparer, ou qu'il veut simplement exorciser. Et qui confirme que malgré les projets de nouveaux stades, la fin de la "télé-dépendance" des clubs français – dont les droits de télévision constituent près de 60% de ses ressources – n'est pas pour demain. Surtout dans une conjoncture qui voit fondre les plus-values liées aux transferts (lire "La crise, c'est maintenant?"). Le téléspectateur, lui, subit le découpage du football en tâchant de suivre le mouvement, à l'image des amateurs de football africain amassés sur les trottoirs devant les rares cafés à disposer d'Orange TV. Selon la règle que plus il y a de ballon à la télévision, moins on en voit?
(1) La Fédération n'étant propriétaire que des droits des rencontres à domicile, TF1 reste à la merci d'une fédération étrangère trouvant un meilleur accord chez un autre diffuseur français.
(2) Quels que soient les montants nets, la FFF compensera la majeure partie de la décrue en gérant directement ses droits, grâce à la fin de sa collaboration avec Sportfive, intermédiaire qui consommait 12 à 15% des sommes obtenus. Elle va aussi enregistrer les rentrées du contrat conclu avec Nike pour équiper les Bleus à partir de 2011 (42 millions d'euros) et renégocier à son avantage celui qui le lie avec le Stade de France.
(3) M6 avait déboursé 4,8 millions d'euros pour dérober à TF1 le match aller des barrages et ressortir Thierry Roland de la naphtaline, sans espérer engranger plus de la moitié de cette somme en recettes de publicité.
(4) Canal+ et Orange se livrent en outre une bataille juridique devant les tribunaux, Canal+ contestant précisément le droit des opérateurs "triple play" à commercialiser des exclusivités.
(5) Les droits précédents n'avaient été attribués à Eurosport et Numéricable qu'après un appel d'offres laborieux.